Chapitre 19


Derek emmena doucement son protégé devant le miroir de sa chambre. Sentant ce dernier se crisper instantanément, le loup se plaça derrière lui et entoura sa taille de ses bras avant de poser son menton sur son épaule. Leur différence de taille n'était pas énorme, mais le loup jouissait de ces quelques centimètres de plus qui lui permettaient ce genre de positions intimistes qu'il adorait. L'odeur de Stiles, qui se teintait peu à peu d'angoisse, ne l'effraya pas le moins du monde : pour être honnête, il s'attendait à ce genre de réactions... Et au fait que son regard ambré fuyait son reflet plus que de raison.

- Stiles, regarde-toi, dit-il simplement.

L'hyperactif secoua la tête, pas d'accord pour un sou avec cette demande qui lui paraissait on ne peut plus... Stupide. Et impossible à réaliser – de son point de vue. Se regarder ? Il détestait ça et évitait le plus possible de croiser son propre regard dans un miroir. Il n'aimait pas son apparence, n'appréciait pas le moins du monde l'être qu'il était : alors pour se supporter, il s'ignorait.

- Stiles, s'il te plaît, regarde-toi.

Stiles ne répondit pas, resta immobile. Il gardait les yeux rivés au sol sans pour autant chercher à s'éloigner du loup d'une quelconque manière. D'une certaine façon, son contact le rassurait, lui apportait une sorte de réconfort muet. Grâce à lui, il ne paniquait pas, ne sombrait pas, mais si Derek s'obstinait à vouloir faire en sorte qu'il se regarde... Les choses pouvaient changer. Et pourtant... Et pourtant, l'insistance de Derek, qui renouvela à nouveau sa demande, eut raison de lui.


C'est avec une appréhension certaine que Stiles plongea son regard mordoré dans son reflet. Aussitôt, son cœur se mit à battre plus vite, son odeur fut envahit par le stress et le dégoût, sa peau pâlit. Il baissa les yeux. Derek le rappela à l'ordre. Alors, il réessaya, mais ce fut une épreuve.

- Ça rime à rien... Soupira-t-il en fermant les yeux une seconde seulement.

- Qu'est-ce que tu vois ? Demanda Derek, sans se préoccuper une seule seconde de sa remarque.

- Moi, répondit Stiles d'un ton un tantinet agacé, comme si la réponse était évidente.

- Ce que je veux savoir, c'est comment tu te vois, comment tu te décris, le corrigea le loup.

- Tu connais déjà la réponse...

- Stiles ?

- Oui, bon, ok...

Car l'hyperactif avait profité de leur menu dialogue pour détourner le regard de ce reflet qui le dégoûtait tant. Il exploitait chaque faille pour se soustraire à ces yeux qui étaient les siens, une façon de s'échapper de lui-même. Son corps, il avait l'habitude de plus le sentir que de le regarder, ce qui l'arrangeait fortement, alors devoir supporter la vision qu'il lui rendait, son reflet dans le miroir... C'était une chose réellement difficile qu'il n'était pas capable de faire seul. Ces quelques secondes étaient déjà un exploit à ses yeux, un exploit qu'il ne réalisait sans doute que parce que Derek était là. Qu'il insistait. Qu'il ne le lâchait pas. Il le tenait toujours contre lui, d'une manière intime et Stiles sentait la chaleur de son corps à travers leurs vêtements. Une chaleur rassurante, agréable.

Alors, il soupira et finit par ancrer à nouveau ses yeux dans ceux de son vis-à-vis, qui n'était autre que lui-même.

- Honnêtement, précisa Derek avant qu'il ne puisse prendre la parole. Je veux que tu décrives honnêtement comment tu te vois.

- Je ne peux pas de décrire toi, plutôt ? Essaya l'hyperactif, sans réel espoir.

- Stiles, je ne me répèterai pas.

Nouveau soupir. Tremblant, cette fois-ci. Cela faisait à peine quelques secondes qu'il se regardait et... Déjà, ça n'allait pas. Dire qu'il n'aimait pas ce qu'il voyait était un euphémisme.

Stiles avait toujours évité de se regarder au maximum, ne s'accordant un coup d'œil rapide dans la glace en général que pour essayer, de temps à autres, de dompter sa crinière sauvage. En fait, il ne se regardait même pas directement. Son regard se fixait, la plupart du temps, sur ses cheveux, ses vêtements, ou le mur derrière lui. Il n'avait ainsi qu'à entrapercevoir ce dont il avait besoin et il agissait en conséquence, aussi bien que possible malgré le handicap qu'il s'imposait. N'étant pas masochiste, Stiles évitait donc de se faire souffrir en s'évitant lui-même. Mais Derek le mettait face à ce qu'il détestait le plus : son propre corps, son propre visage... Tout ce qui faisait de lui ce qu'il était physiquement. Il ouvrit la bouche.

- Je vois...

Sa voix tremblait déjà et ses yeux... Il devait réellement se faire violence pour ne pas les baisser et faire plaisir à Derek en... En se regardant. Et déjà, il se sentait mal. Ses jambes le soutenaient encore, certes, mais... Ce n'était qu'une question de temps avant que ses angoisses ne prennent le dessus et ne le plongent dans une crise dont Derek aurait sans doute du mal à le sortir. Ces crises-là étaient toujours violentes, et rares, par chance. Disons que Stiles se préservait en faisant de son mieux pour éviter miroirs, objectifs photos de téléphone et compagnie. C'était ça, de connaître la moindre de ses faiblesses. C'était ça, de ne pas s'aimer. C'était ça, d'avoir essayé de s'en sortir seul et de n'avoir pas réussi. Il était désormais coincé et incapable d'avancer. Il se mit alors doucement à trembler. Pour l'instant, c'était léger, trop pour que Derek y accorde une réelle attention, selon lui. Néanmoins, l'hyperactif était loin de se douter que le loup était au fait du moindre changement chez lui. Qu'il soit au niveau de son corps, de son odeur, de la couleur de son visage – pâlissant à vue d'œil –, Derek le voyait. Son esprit était vif et son regard, aiguisé. De plus, l'étreindre ainsi lui permettait de percevoir avec une facilité déconcertante le moindre tremblement, le moindre frisson. Son inconfort ? Bien sûr qu'il le sentait, au sens propre comme au figuré. Malheureusement, il était nécessaire de passer par là... Mais Derek savait ce qu'il faisait, du moins... Il en avait l'impression. En tout cas, son loup intérieur ne s'affolait pas.

Après quelques secondes interminables, Stiles entrouvrit la bouche. La referma. La rouvrit.

Et dit le fond de sa pensée :

- Je vois un monstre. Un gros tas, un... Un truc dégoûtant qui ne doit pas être vu.

Bien sûr, Derek s'attendait à une description peu flatteuse. Il savait que Stiles ne s'aimait pas, mais... Au point de se désigner comme un monstre ? Le regard ambré de l'hyperactif, aussi révélateur de son état que son odeur, était déjà rivé au sol. Vraisemblablement, il jugeait en avoir assez dit. Et rien que cela fit prendre conscience à Derek de l'étendue de cette vision déformée que l'hyperactif avait de lui-même. Elle lui pourrissait la vie et le loup avait pu en voir les stigmates à de nombreuses reprises : chaque fois qu'ils se voyaient, chaque fois qu'ils s'unissaient. Stiles était incapable d'accepter l'idée que son corps puisse être vu, il en était déjà arrivé à faire des crises de panique. Même lorsqu'il était seul, il s'habillait de manière à ce que la quasi-entièreté de son corps soit cachée par ces chiffons informes qui ne le mettaient pas du tout en valeur. Cette dépréciation de lui-même fit mal au loup-garou tant ce qu'il avait déjà vu... Était à l'opposé de ce point de vue plus toxique qu'autre chose. Dans un sens, il empêchait Stiles de vivre et le poussait à cacher jusqu'au fait qu'ils se fréquentaient. Si Derek n'avait pas l'intention d'étaler la nature de leur relation devant tout le monde, il se fichait qu'on la découvre. Mais Stiles avait une si mauvaise estime de lui-même qu'il avait peur de lui porter préjudice. Il était terrifié à l'idée qu'on juge son amant, Derek Hale, qu'on le déprécie comme lui se dépréciait. Si cela partait d'un bon sentiment et que son loup intérieur se retrouvait légèrement attendri par cette forme de protection que Stiles lui proposait, l'humain en Derek se devait d'apprendre à l'hyperactif que les choses n'avaient pas à se passer comme cela. La vie n'était pas une dissimulation permanente.

- Regarde-toi encore, demanda-t-il doucement.

- Non, j'ai déjà donné, refusa aussitôt l'hyperactif.

Mais Derek, à force d'une nouvelle vague d'insistance, parvint à le faire changer d'avis. Le regard de l'hyperactif, exprimant une terreur claire et indéniable, se posa avec une certaine fébrilité sur le miroir. Les deux orbes ambrées rencontrèrent à nouveau leurs homonymes. Son souffle se fit court, son cœur fit une embardée. Il n'aimait pas ça, il n'aimait vraiment pas ça... Pourquoi le loup lui infligeait-il cela ? D'autant plus qu'il restait là, contre lui, les bras ramenant son corps contre le sien.

- Tu sais ce que je vois ? Lui demanda Derek, les yeux fixés dans le reflet de l'hyperactif.

- Je ne suis pas sûr de vouloir le savoir, souffla Stiles, qui luttait réellement pour l'écouter.

Disons qu'il n'était pas en état de recevoir la moindre critique. L'air de rien et malgré le soutien apparent de Derek, les paroles perfides de Scott étaient encore fraîches. Trop récentes. Leur poison continuait de lui faire mal et Stiles sut qu'il n'allait plus pouvoir garder son regard fixé dans le miroir très longtemps. Dans un sens, il avait déjà dépassé ses limites. Si Derek le lâchait, il était capable de s'effondrer tant ses jambes ne le tenaient plus. Il était pâle, atrocement pâle et l'angoisse transpirai au travers de chacun des pores de sa peau blanche. Alors, Stiles n'eut pas envie de connaître la pensée du loup-garou le concernant. Déjà, il était là... Sans réellement savoir ce que l'ancien alpha lui voulait et ce simple fait lui nouait le ventre. Et s'il désirait simplement se moquer de lui ? L'humilier ? Cette idée-là, bien que probable, ne collait pas avec les agissements du Derek qu'il connaissait. Celui qui le maintenait debout avec une certaine fermeté, celui qui l'avait étreint durant de longues minutes en lui disant de ne pas écouter Scott. Celui qui, chaque fois qu'ils s'apprêtaient passer un moment torride, s'assurait qu'il le voulait vraiment.

- Moi, reprit Derek en faisant fi de sa remarque, je vois un humain. Un humain formidable et qui a un charme indéniable.

Stiles se crispa et détourna aussitôt le regard du miroir tandis qu'une chappe de plomb semblait s'écraser sur son cœur. Alors finalement, il avait opté pour la moquerie ? Il le savait crédule. Ainsi... Avait-il réellement décidé de l'amadouer pour mieux le descendre ? Mais encore une fois, ça ne collait pas. Son instinct légendaire lui soufflait que Derek n'était pas comme ça.

- Lâche-moi, murmura-t-il toutefois.

- Je vois une personne géniale qui n'a pas conscience de sa beauté, rétorqua Derek, sérieux.

- Tais-toi.

- Je vois une personne sublime qui ne se met pas en valeur.

- Derek...

- Je vois...

- Tais-toi ! Le coupa brusquement l'hyperactif. Tais-toi...

Stiles ne tenait définitivement plus sur ses jambes qui cédèrent sous son poids, mais jamais il ne tomba. Derek le tenait et ne le laisserait tomber d'aucune manière. Que ce soit sur le plan physique ou moral, il le soutenait. Et malgré la réaction de l'hyperactif, il savait qu'il était sur la bonne voie, qu'il n'était pas encore allé trop loin. Stiles devait entendre ces mots qui lui étaient étrangers, ces mots qu'il pensait ne pas mériter.

Ces mots qui le faisaient trembler. Le cœur serré, Derek se demanda encore et encore ce qui avait bien pu lui arriver pour qu'il en vienne à se haïr de cette façon et à ce point-là... Ainsi, le loup décida de mettre fin au supplice du miroir – que Stiles ne regardait définitivement plus – et le porta jusqu'à le déposer sur le lit. Bien évidemment, son loup intérieur s'égosilla et remua la queue : la partie humaine le fit instantanément taire. Pas maintenant.

De son côté, Stiles continuait de trembler, de ne pas être à l'aise, de... Il était à deux doigts d'hyperventiler. Pas précisément à cause de ces mots-là – si, beaucoup – mais surtout... Parce que malgré ce que lui disait la partie rationnelle de son cerveau, l'autre, bien moins lucide, attendait la suite. La fin de cette immense blague. La pluie de moquerie. Derek n'est pas comme ça. Et pourtant, il fut réellement persuadé que le loup allait lui montrer son vrai visage, alors... Que le véritable se trouvait déjà là, sous ses yeux. Que l'une de ses facettes les plus intimes était surmontée d'un regard mêlant douceur et inquiétude, cette même facette le gardait auprès de lui, avait cherché à le consoler par rapport aux mots de Scott... Et qui était bien déterminée à lui faire comprendre qu'il se trompait sur toute la ligne.

La lumière de Stiles était là, sous ses yeux. Si elle n'était auparavant que limitée car illusoire – le fruit d'une comédie qui avait ses limites –, Derek en sentait la puissance. Stiles était quelqu'un de formidable et ses tares n'en étaient pas vraiment. Chacune était en réalité un mécanisme de protection, dissimulait ses blessures intérieures au plus grand nombre.

Stiles manqua de sursauter lorsque les bras puissants de son amant s'enroulèrent à nouveau autour de lui dans une étreinte qui devint intime lorsque le loup les fit tous deux s'allonger sur le matelas moelleux de son lit. L'hyperactif, toujours au bord de sa crise, ne dit rien mais, déjà, il eut le réflexe de se pelotonner contre ce corps beaucoup trop agréable pour son bien. Comment se protéger d'une potentielle douche froide alors même qu'il ne pouvait s'en éloigner ? Stiles eut l'impression de chercher le bâton pour se faire battre, mais... Avec le loup, se laisser aller se révélait d'une simplicité hors du commun, sans doute parce qu'ils étaient proches... Physiquement. Que leurs étreintes avaient de nombreuses fois dépassé les limites du raisonnable. Que Stiles avait déjà gémi, crié son plaisir dans ses bras. Que Derek avait laissé échapper un certain nombre de râles appréciateurs, la bouche effleurant le lobe sensible de son oreille. En un sens, le fait que l'hyperactif se sente aussi à l'aise contre lui, dans ses bras, était peu étonnant. Contradictoire, mais peu étonnant. Et pourtant, déjà, il se calmait, laissant la vérité des corps parler pour lui, pour eux. Parce que, sans qu'il ne l'ait réellement vu venir, Derek avait entamé une danse langoureuse et l'avait déjà embarqué. Stiles le laissa faire et se mit à participer avec une passion désespérée. Il s'accrocha alors à lui en serrant si fort le tissu de son haut que ses phalanges blanchirent. Les mains à la forte poigne de son amant descendirent jusqu'à agripper ses hanches et le coller d'autant plus contre lui.

Parce que si Derek avait bien compris une chose avec Stiles, c'est qu'il fallait le laisser digérer cet exercice éprouvant... Et lui donner toute cette affection dont il semblait cruellement manquer.

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