Chapitre 16


Ce matin-là, Stiles passa les portes du lycée sans aucune envie. Il n'avait pas très bien dormi, se sentait très mal et avançait le regard baissé, la gorge serrée. Il n'avait pas envie d'être là. Les raisons pour lesquelles il s'était levé ainsi étaient multiples. La principale, l'habituelle, c'était cette peur insidieuse de se retrouver au milieu des autres, croiser leur regard, y voir du jugement. Stiles apprécierait beaucoup venir entièrement recouvert par un sac poubelle. Ses vêtements toujours trop amples et informes dissimulaient son corps à la vue de tous, mais jamais assez à son goût. Il restait son visage, ses mains, son cou. Tous les plis qu'il voyait, sentait, toutes ces imperfections sur lesquelles il faisait une fixette. Ça n'allait pas et ça n'était pas près de s'arranger. Derek était un beau parleur, mais si Stiles lui-même ne voyait pas comment changer d'avis sur sa personne, alors comment le loup pourrait-il s'y prendre ? Oui, le loup, celui-là même qu'il le prenait régulièrement, disait qu'il le rendait fou ? Même si Stiles était heureux de l'échange de bons procédés qu'ils avaient mis en place, il ne comprenait vraiment pas l'engouement de l'ancien alpha à le faire sans arrêt avec lui. Lui, et seulement lui. L'hyperactif le croyait, quand il disait qu'il n'allait voir personne. Le loup n'était pas homme à mentir. Il avait toujours été d'une franchise incroyable, peu importe la situation.

Si cela ne le rassurait pas sur sa propre personne, cela avait au moins le mérite de le faire se dire que Derek avait dû lui trouver quelque chose, un petit détail. Était-ce sa disponibilité ? Cette acceptation sans limite ? Stiles n'imagina pas un seul instant que son corps l'attire – corps qu'il dissimulait toujours à sa vue. Pour lui, c'était autre chose de bien plus subtil qu'une paire de fesses. Il voyait Derek comme quelqu'un d'exigeant et de très sélectif. Pour autant, il en vint à se dire, en régressant une nouvelle fois dans sa réflexion, que la saison de chaleurs qu'il traversait faussait un peu son jugement et assouplissait ses critères. Pour autant, Stiles n'eut pas l'impression d'être son objet, sa chose, prêt à lui servir quand bon lui semblait. Il fallait dire que Derek lui avait toujours laissé le choix, allant même jusqu'à réfréner ses instincts pour lui laisser de l'air. Et en même temps, ils ne couchaient pas toujours ensemble lorsqu'ils se voyaient. Ils parlaient, parfois, ne disaient rien, ne faisaient rien. Et Derek avait l'air d'essayer sincèrement de comprendre comment il avait pu en arriver là. Sur le moment, Stiles n'avait pas su quoi lui dire parce qu'en soi, son appréciation actuelle était l'accumulation d'années et de choses qu'il serait difficile pour lui de démêler. C'était d'autant plus difficile qu'il n'avait jamais réellement essayé de remédier à cela. Passer outre, oui, il avait tenté. Mais guérir le mal à la racine ne lui était pas venu à l'idée lorsque c'était encore possible.

Dans ce genre de moments, Stiles détestait devoir sortir de chez lui. Bien sûr, aller en cours était important, mais il n'avait pas le cœur de discuter avec son père pour sécher un jour ou deux. L'on ne se doutait pas d'à quel point il était éreintant de discuter avec quelqu'un qui ne nous comprenait pas. Noah était vaguement au courant du problème de son fils et à vrai dire, il ne voyait pas en quoi c'était réellement un problème. A ses yeux, c'était un passage de l'adolescent, l'âge ingrat, l'âge où on se déconstruisait, se trouvait tout un tas de défauts, avant de regagner en confiance et de passer outre. Alors forcément, négocier une ou deux absences juste parce qu'il se sentait mal vis-à-vis de son corps serait contre-productif et épuisant mentalement.

Ainsi, il se forçait à affronter chaque jour ce monde qu'il redoutait tant, juste pour ne pas avoir à entrer en conflit avec son père le soir venu. Les journées avaient, pour lui, tendance à être fatigantes et c'était exactement pour cela qu'il tenait à ce que le soir soit calme et sans accroc pour sa santé mentale. Si Stiles se menait la vie dure par rapport à son corps, il essayait de préserver un minimum sa psyché.

- Stiles !

L'hyperactif se figea, s'empêchant ainsi de sursauter. Scott ne lui avait jamais fait peur et cela n'était pas aujourd'hui qu'il allait le faire. Simplement, il était d'humeur à être surpris par quiconque se retournerait sur son passage, quiconque ferait attention à sa présence. Dans ce genre de moments, tout ce qu'il voulait, c'était simplement passer inaperçu, ne pas être vu. Faire partie du décor lui plaisait bien, c'était une idée à laquelle il pensait régulièrement. La vie avait toutefois tendance à jouer avec ses nerfs. Lorsqu'il avait besoin d'aide ou d'attention, on l'ignorait. Mais lorsqu'il désirait simplement faire sa journée dans son coin, on semblait tout d'un coup le remarquer et avoir l'envie de venir discuter avec lui, l'humain inintéressant de la meute. Quelle ironie.

Mais parce qu'il devait faire un effort et ne pas ignorer son meilleur ami même s'il avait tendance à les lui briser un tantinet en ce moment, Stiles s'obligea à se retourner et à esquisser un léger sourire des plus faux. Scott, comme d'habitude, rayonnait. Son teint était parfait, sa peau, sans une imperfection à part cette cicatrice discrète dans un coin de son visage, et ses yeux brillaient. Bien sûr, ce n'était pas aller en cours qui le mettait dans un tel état d'excitation et de joie, mais bien l'idée d'aller rouler des pelles à sa copine du moment. Il en changeait régulièrement. Selon lui, il était important de profiter des petits plaisirs qu'offrait la vie, sinon, elle ne valait pas la peine d'être vécue. Si Stiles aimerait beaucoup vivre avec autant de légèreté, il ne partageait pas vraiment son point de vue des plus particuliers. Disons que ses valeurs étaient un peu différentes de celles de son ami.

- J'ai cru que tu n'allais jamais ramener tes fesses en cours ! Dit-il en lui faisant une accolade un peu brusque. T'as eu une panne de... Attends.

Dans son geste à tendance affective, il s'était rapproché et le reniflait ostensiblement. Stiles se pétrifia sur place une seconde avant de s'écarter brutalement de lui.

- T'approche pas aussi près de moi pour me renifler comme ça, t'es taré ! S'emporta-t-il légèrement. Les gens pourraient se poser des questions !

Par cela, il entendait le côté animal de la chose. Scott n'était pas toujours des plus discrets quand il s'agissait d'utiliser ses capacités lupines en public.

- Men fiche, tu sens Derek et genre... Super fort. Ça se sent de loin, mais je voulais vérifier ça.

Stiles se figea à nouveau.

- Je sens... Derek ? Répéta-t-il d'une voix blanche.

- Ouais, confirma le latino. Et pas qu'un peu, mec. J'avais déjà senti son odeur sur toi mais pas comme ça, et pas autant. Là, tu sens comme si vous couchiez sans arrêt ensemble.

Stiles sentit son cœur arrêter de battre dans sa poitrine l'espace d'un instant alors que les mots montaient en lui. Sans se préoccuper ou même remarquer son mal-être, Scott continua :

- Ce serait bizarre. Après, si c'est le cas, vous faites ce que vous voulez, mais ça serait quand même vachement surprenant. Je veux dire, Derek et toi... Vous êtes clairement pas du même monde.

L'hyperactif, incapable de bouger, fixait le sol de son regard absolument vide duquel ne filtrait absolument aucune émotion. Chacune d'elles semblait bloquée au fond de lui. Impossible d'en exprimer une seule pour l'instant. Il digérait à une lenteur folle les mots que sortaient son meilleur ami.

- Non mais tu imagines ? Toi, l'humain moyen, l'éternel célibataire, maladroit, qui ferait ce genre de choses avec Derek ? On parle bien de Derek Hale, l'apollon muet de la meute ? N'empêche, si c'était le cas, je me demande comment il pourrait te supporter. C'est pas méchant, Stiles, mais tu parles tout le temps.

Si l'hyperactif avait été dans un meilleur état mental, nul doute qu'il lui aurait fait remarquer qu'à l'heure actuelle, il était en train de monopoliser la parole. Puis, il aurait terminé par un mot dur, un peu sec, quelque chose qui lui aurait cloué le bec. Mais il en était incapable. Parce que Scott soulevait de réelles problématiques. Problématiques qui n'étaient autres que les exactes raisons pour lesquelles Stiles n'avait aucune envie que l'on apprenne pour ses coucheries avec Derek.

- Puis... Le mec peut avoir n'importe quelle femme à ses pieds. Ça serait quand même le comble que tu aies réussi à atterrir dans son lit et pas elles.

Stiles frissonna. Scott riait. Il riait en le rabaissant subtilement, sans même se rendre compte des effets que pouvaient avoir ses mots. Des paroles blessantes, des énonciations indécentes. Alors que quelque chose se brisait en lui, l'humain ne parvint même pas à lui dire que quelle que soit la réalité, cela ne le regardait pas. Il était figé par ces faits qui, il le savait, étaient véridiques et le mettaient face à une situation inconfortable, horrible.

Il était un imposteur. Un imposteur qui avait si peu confiance en lui et dont le moral était si bas qu'il n'était même pas capable d'user de son bagout habituel. Il était là, bouche bée, simple auditeur de ce qu'il considérait comme des faits. Et d'un coup, l'angoisse monta.

Stiles retrouva l'usage de la parole aussi simplement que cela.

- On ne couche pas ensemble.

Bête comme il l'était, Scott ne fit pas le moins du monde attention aux battements rapides et erratiques de son cœur, ni même à son attitude générale. Il rit à nouveau :

- Encore heureux ! Imagine, ce serait tellement ridicule !

- Ouais, ridicule, répéta l'hyperactif d'un ton inexpressif.

Mais l'angoisse montait, encore. Elle continuait, traçait sa progression à l'intérieur de son esprit aux pensées peu reluisantes. En temps normal, il aurait réagi. Envoyé valser Scott. Les piques sur son physique, ça allait, il avait l'habitude. Mais là, il s'attaquait à quelque chose de bien plus intime, bien plus profond qu'une simple histoire de moqueries. Il tapait là où ça faisait réellement mal.

- Il est passé chez moi hier, je l'ai soulé, il m'a plaqué contre le mur, comme d'habitude, raconta-t-il d'un air absent.

Un mensonge comme un autre. Avec Scott, il se rendait compte de plus en plus souvent qu'il n'avait pas à se triturer l'esprit pour sortir quelque chose de crédible. Puis, son ami n'irait pas vérifier. De toute manière, même si c'était le cas, Derek accréditerait sa version.

Lui non plus ne devait pas avoir envie que l'on sache qui s'était porté volontaire pour la saison des chaleurs.

Coucher avec Stiles, c'était la honte.

- Ouais, du Derek tout craché ! Bon après, tu le cherches aussi... Oh, je ne t'ai pas raconté. En ce moment, tu sais, c'est...

Stiles ne l'écoutait plus. Son angoisse parasitait ses pensées.

- J'ai des trucs à faire, à plus tard, lâcha-t-il d'une voix blanche.

Et il laissa ses jambes le porter, sans percevoir quelque bruit de pas que ce soit derrière lui. Scott ne le suivait pas, tant mieux. Il n'avait pas envie d'avoir à expliquer son départ soudain, départ vers les toilettes, qui plus est. Très vite, ses jambes accélérèrent, jusqu'à ce qu'il se mette à courir, abandonnant son sac au détour d'un couloir. Dans sa poitrine, son cœur battait à tout rompre et les larmes montaient doucement. Il avait besoin d'être seul. Ignorant les quelques élèves qu'il croisait, il accéléra la cadence et s'enferma dans la première cabine libre qu'il vit. La porte verrouillée, il s'effondra, mais ne pleura pas tout de suite. D'abord, il s'affaira à calmer cette angoisse qui le tiraillait de part en part et envoyait des décharges douloureuses au niveau de sa tête et de son cœur, dont le rythme continuait d'être inquiétant tant il était rapide.

Ce qui était triste, c'était qu'une part de lui s'entêtait à penser qu'il était le seul responsable de cette situation et que s'il réagissait aussi mal, c'était son problème.

Mais l'origine de son angoisse qui le faisait trembler et menaçait de lui faire perdre les pédales, restaient les remarques de Scott. Plus précisément le sujet qu'il avait abordé.

Il ne fallait surtout pas que l'on sache pour Derek et lui. Si Scott, le plus idiot de tous, proférait ce genre de remarques, qu'en serait-il des autres ? Certains, comme Isaac ou Lydia, n'avaient pas leur langue dans leur poche. Ils étaient adorables, mais disaient ce qu'ils pensaient sans aucun filtre, et avec des tournures de phrases qui donnaient encore plus de poids à leurs propos.

Mais le pire restait Derek.

Stiles espéra vainement que Scott garderait ses hypothèses et remarques pour lui. Puis il se souvint de la teneur des capacités de réflexion de son ami... Qui ne savait pas garder de secrets. Déjà que sa vie n'était pas des plus joyeuses, il n'avait pas besoin de problèmes en plus. Et sa tête, qui n'avait besoin que de se vider, se retrouva bien pleine en trop peu de temps.

Les mains tremblantes et alors que sa respiration se faisait laborieuse, l'hyperactif envoya un petit message à son amant qui risquait de ne plus l'être très longtemps. Au bout d'un moment, il se leva. Ses jambes flageolantes lui permirent de faire quelques pas, puis finalement de quitter le bâtiment principal du lycée. L'entrevue avec Scott lui avait fait perdre le peu de motivation qu'il avait pour aller en cours. Les yeux embués et le corps tremblant d'angoisse, il trouva refuge dans la carcasse bleue qui lui servait encore de moyen de locomotion.

Personne ne devait apprendre pour lui et Derek. Personne.

Stiles étouffa un sanglot et se laissa submerger par les pensées et émotions qui étaient restées bloquées jusqu'à maintenant. C'est à peine s'il se fit la réflexion qu'il devrait faire plus attention à l'avenir.

Il s'effondra purement et simplement dans sa vieille carlingue.

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