Chapitre 14


Les yeux ambrés de Stiles fixaient le miroir dans un mélange d'horreur et de dégoût. Sa tête était pleine de pensées, si bien qu'il était difficile pour lui de réfléchir calmement. De réfléchir tout court. De respirer, aussi, car son souffle était déjà en train de devenir irrégulier. La crise de panique s'installait en lui, à moins qu'elle ne soit là depuis un moment, dormante, n'attendant qu'un moment de faiblesse de sa part pour se manifester. Ledit moment était arrivé : il s'était réveillé seul dans ce lit et son regard avait tout de suite accroché ce foutu miroir, maître de ses cauchemars. Il s'était alors rendu compte qu'il était simplement vêtu de son pantalon et d'un t-shirt, rien ne cachait ses bras nus. Derek les avait vus et il devait sans doute en être de même concernant les autres. Stiles ne s'imagina pas qu'on pouvait l'avoir vu et ne rien en penser, même carrément s'en foutre. Mentalement, un torrent d'insultes déferla dans son esprit. Il n'avait pas fait attention, il n'aurait pas dû être aussi imprudent, il aurait dû... Ne pas dormir ? Oui, voilà, ne pas dormir. Partir, même.

Mais la fatigue provoquée par les nombreux rounds partagés avec le loup qui lui servait d'amant était impossible à combattre. Il s'était senti si bien, si plein, si serein qu'il s'était simplement affalé sur un matelas en bas avec les autres et... Oui, il était bel et bien en bas, qui l'avait donc emmené en haut ? Et pourquoi ? Dans sa panique, il n'imagina pas que cela ait pu être l'œuvre de Derek qui l'avait emmené à l'étage pour son confort, pour qu'il dorme simplement bien, sans être dérangé. Le regard toujours fixé dans ce miroir de l'horreur, il était diablement conscient que ses bras étaient visibles et même s'il n'y avait rien de particulier dessus, il n'avait qu'une envie : les cacher. Il ne les aimait pas, pas plus que le reste de son corps. S'il pouvait tout cacher de lui, tout détruire, tout faire disparaître, il le ferait : mais de corps, on n'en avait qu'un et Stiles devait vivre avec le sien. D'où venait une telle aversion pour lui-même ? De tout et de rien à la fois. Parfois, quelques évènements de la vie nous persuadaient que telle ou telle chose était moche, mauvaise. D'autre fois, il suffisait d'un certain nombre de remarques. Enfin, pouvaient s'ajouter à cela bon nombre de réflexions personnelles étayant lesdites remarques. A force d'entendre certaines choses, on les prenait pour réelles, elles s'ancraient et déposaient leur marque. Si l'on s'ajoutait à ses propres détracteurs, sortir de cette spirale infernale s'avérait compliqué.

Mais pas impossible.

Ce n'est pas voir le reflet de Derek dans le miroir qui poussa Stiles à tourner la tête vers lui, mais bien le contact de sa main sur son bras nu. Muet mais horrifié, il fut incapable de faire autre chose que de le regarder, une douleur sourde frappant son crâne de l'intérieur. Derek s'assit près de Stiles et, lâchant son bras, posa une veste sur ses épaules. Le lycéen était pâle comme un linge, à deux doigts de s'évanouir s'il en croyait ses yeux vacillants et son rythme cardiaque fort élevé. La priorité était donc de le calmer. La discussion viendrait ensuite. La provoquer trop tôt ne servirait à rien. A vrai dire, ce serait complètement contreproductif. S'il s'y prenait mal, Stiles se refermerait comme une huître – s'il ne perdait pas connaissance avant.

- Tout va bien, Stiles. Personne ne t'a vu, à part moi.

Très franchement, il continuait de peiner à prendre une voix douce. A vrai dire, ce n'était pas vraiment son fort.

- C'est déjà trop, souffla Stiles en tirant les bords de la veste, la refermant sur lui, comme pour se cacher.

Seuls ses doigts étaient visibles entre les deux pans. Ils étaient crispés sur le tissu. Et malgré le fait qu'il avait parlé, presque chuchoté ces quelques mots, Stiles était toujours en pleine crise. Il tremblait, semblait continuer de pâlir – si c'était encore possible – et avait l'air de peiner à garder un regard fixe sur Derek. Ce dernier se mordit la lèvre mais décida d'agir. Hors de question pour lui d'attendre que ladite crise passe. Il allait s'attaquer au déclencheur présumé de la crise : le miroir. Derek enjoignit Stiles de ne pas bouger – l'hyperactif était capable de se lever, mais nul doute que ses jambes vacilleraient et qu'il s'éclaterait sur le sol – et sortit de la pièce un instant. Il revint quelques secondes plus tard et recouvrit le miroir d'un drap immense, qu'il fixa à l'aide d'épingles. Le problème de Stiles étant son reflet, autant le lui cacher pour l'instant. Sur le long terme, il était clair que ce n'était pas viable, mais Derek avait bien l'intention de changer ça. Il le lui devait. Revenant s'assoir à ses côtés, le loup fit plusieurs tests et cette fois, Stiles fut incapable de prononcer un mot, tout comme il eut bien du mal à réguler sa respiration qui partait en vrille. Des larmes d'il ne savait trop quoi se mirent à couler sur ses joues alors que, complètement tétanisé, il laissa Derek prendre le relais et l'aider comme il le pouvait.

xxx

Il fallait avouer que la technique de Derek n'était pas vraiment recherchée, mais elle avait au moins le mérite d'être efficace. En un quart d'heure, la crise de Stiles s'était évaporée. Il avait d'abord failli perdre connaissance, puis s'endormir. Mais le voilà encore éveillé, la veste complètement enfilée. Sous les draps. Le dos contre le torse de Derek. Son bras autour de lui. Son souffle chaud heurtant délicieusement la peu délicate de sa nuque. Sa respiration, sans être trop rapide, était encore irrégulière, mais c'était largement supportable et contrôlable. De temps à autres, de légers soubresauts secouaient son corps de manière aléatoire, réminiscences de sa crise passée. Dans ces moments-là, Derek resserrait son étreinte. Honnêtement, Stiles ne savait pas pourquoi il faisait ça, tout comme il n'avait aucune idée de la raison pour laquelle il restait ainsi, avec lui. Aussi proche. Au fond, il n'était même pas obligé de l'étreinte, il aurait juste pu lui dire « hé, calme-toi » et Stiles l'aurait tout aussi bien pris. Non, en fait, peut-être qu'il aurait bégayé l'équivalent d'un « je t'emmerde » parce qu'une crise ne se calmait pas aussi simplement.

Alors voilà ce que Derek avait fait : au départ, il l'avait simplement étreint. Puis, il lui avait fait enfiler la veste – un exploit lorsqu'on était conscient de son secret –, l'avait remis sous les draps et s'était glissé à ses côtés, sans le lâcher. Puis, Stiles s'était calmé petit à petit. Et un moment plus tard, ils en étaient là. Stiles était épuisé mentalement, mais il ne dormait pas. Seul, sans doute se serait-il tourné et retourné dans l'espoir de se rendormir malgré une nuit complète, mais là... Non. L'étreinte de Derek était agréable et puis... Pas la peine de se ridiculiser plus qu'il ne l'avait déjà fait. Il soupira discrètement – pour lui. Quelle plaie... Pourquoi n'était-il pas capable de réagir normalement et de cacher plus que ça ce mal-être qui le rongeait ? Et puis... Non, définitivement, il ne comprenait pas comment Derek pouvait rester là, à perdre son temps à ne rien faire plutôt qu'à vaquer à des occupations nettement plus intéressantes telles que... Ses occupations habituelles ? En dehors de leurs moments intimes et partagés dans le noir, il ne savait pas ce qu'il faisait. Il ne le connaissait, au fond, pas vraiment. S'amusait-il à plaquer d'autres gens contre des murs ? Elevait-il en secret des portées entières de jolis petits chatons ? Avait-il un master en cuisine ? Derek était si secret que tout était aussi imaginable que possible.

Et sans réellement savoir pourquoi, réfléchir à cela le calmait un peu plus, si bien qu'il se calait davantage contre le loup. Il n'y fit pas attention le moins du monde, trop plongé dans ses réflexions. Au moins, sa crise était passée et il n'y pensait plus vraiment. En soi, c'était l'essentiel. Ses cheveux étaient en bataille et malgré son horreur envers lui-même, il ne cherchait pas à les arranger. A quoi bon ? Il était déjà moche de base mais au moins, son corps était caché, dissimulé par ses éternelles guenilles... Et cette veste qui n'était pas à lui. Ses joues étaient mouillées des larmes qui n'avaient, pour certaines, pas complètement séché. Il avait les yeux qui piquaient, trop secs à cause de ses précédents pleurs. Bien sûr que la honte le prenait en tenaille, bien sûr que, mortifié, il avait envie de s'enfuir et de s'enterrer dans son petit jardin, à côté de la place de parking de son père. Oui mais, Derek était là, contre lui, sans doute pas prêt à le laisser partir et à vrai dire, la honte mise à part, Stiles était bien, là. Cette étreinte lui apportait chaleur et réconfort, des choses dont il manquait cruellement. Derek ne devrait pas être synonyme de réconfort et pourtant, il l'était. Il n'y avait qu'avec lui qu'il se sentait bien – dans une certaine mesure. Alors non, il n'avait pas envie de s'extirper de ces bras qui lui apportaient tant. Et en même temps, du peu qu'il connaissait de Derek, il savait que celui-ci risquait de lui demander des comptes.

Stiles releva les yeux vers le miroir que cachait le drap grossièrement étendu dessus. Oh oui, Derek lui demanderait effectivement des comptes. Déjà qu'il en savait beaucoup sur son souci, voilà qu'il l'avait surpris à faire une crise alors... Qu'il se regardait. Quel idiot, mais quel idiot... En tous les cas, une chose était sûre, il ne voulait pas parler, pas s'expliquer, rien. Il avait juste envie de rester là, et c'était tout.

- Tu te sens mieux ?

La voix de Derek équivalait à un souffle, une berceuse et aussitôt, Stiles sentit ses yeux se fermer. Finalement, peut-être qu'il arriverait à dormir et ce serait sans aucun doute une bonne chose. Quoi de mieux que ne penser à rien et d'oublier ses soucis durant quelques heures et ce, sans rien faire d'autre que fermer les yeux et se laisser porter ?

- Oui, murmura-t-il.


C'était sincère. Il n'allait peut-être pas bien à proprement parler, mais il y avait du mieux. Pour autant, il savait que c'était provisoire. Et il préféra prendre les devants avant que Derek ne vienne l'embêter avec de potentielles questions :

- J'peux... Ne pas parler ? J'ai pas envie... Pas maintenant.

Non, ce qui pourrait lui faire du bien, outre dormir, c'était quelque chose d'un tout autre domaine. Mais il n'allait pas faire l'affront de demander à Derek de l'aider à se vider la tête, pas alors qu'il venait de gaspiller son temps à le calmer et à l'aider. En fait, sans même le savoir vraiment, il faisait beaucoup pour lui et Stiles se devait de s'en satisfaire. Le contraire serait mal, méchant de sa part.

Comme s'il avait lu dans ses pensées, Derek se colla encore plus à lui, comme si c'était possible. Une chaleur irradia dans sa nuque, là où le souffle du loup s'échouait tel une vague s'écrasant contre un frêle littoral.

- Et de quoi tu as envie ?

Le ton du loup n'était pas spécialement joueur. Il ne sentait pas d'excitation chez Stiles, puisque celui-ci n'en ressentait absolument pas à l'heure actuelle. Tout ce qu'il voulait, c'était se vider la tête : l'envie était là, mais pas le reste. Alors, la demande de Derek était encore innocente.

Mais Stiles fit une erreur...

- Juste de me vider la tête.

... Celle d'être honnête.

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