"J'ai rarement vu des larmes sur les joues de ton père, à côté de lui j'ai toujours été une sacrée fontaine à larmes. Les hormones n'ont rien arrangé d'ailleurs..."

Jisung et Seungmin avaient été différents sur bien des points, et pourtant, ils se ressemblaient plus que quiconque, comme s'ils étaient trop spéciaux pour trouver une âme parfaitement identique à la leur. En tout cas, le confort qu'ils avaient tant cherché valait bien plus que n'importe quelle âme sœur. Et peut-être qu'ils en étaient, des âmes sœurs, les plus semblables possibles bien qu'opposées, car les opposés s'attirent. En tout cas, à cet instant, Jisung se remémorait ces instants où il avait vu les larmes de son amant couler, ces larmes qui lui semblaient si étrangères, alors qu'il en était affreusement habitué. Les pleurs et les sanglots n'allaient pas à Seungmin, mais il était humain, et Jisung l'avait oublié bien trop souvent.

"Ses larmes ont coulé quand il m'a demandé ma main, quand je lui ai annoncé que j'étais enceint et..."

Les mots peinaient à sortir. Bien que les larmes de son fiancé aient coulé, elles étaient toujours faites de joie et d'étoiles. Mais, il y avait ce jour où Jisung l'avait vu se briser, où il avait deviné ses fissures, il aurait pu dessiner les contours de son âme meurtrie. Ce regard rempli de tristesse, il ne l'oublierait jamais.

"Le jour où j'ai compris que notre avenir de conte de fées, ensemble et heureux était compromis, ça a été notre unique dispute"

Hayun fronça les sourcils. Il voyait la peine et la douleur tremper le regard de l'homme à ses côtés. Il ne comprenait pas comment une dispute si ancienne pouvait laisser de si profondes cicatrices, telles celles qu'il lisait parfaitement en lui à cet instant.

"Mais les disputes dans un couple c'est normal.."

Jisung secoua la tête, baissant son regard humide sur le sable froid. Il épuisait son stock de larmes pour les dix prochaines années ces heures ci, mais il était conscient que toute cette souffrance était le prix à payer pour rendre leur garçon heureux. Alors il marchait dans les pas de son fiancé, réalisant ses derniers désirs pour mettre Hayun sur sa route, celle qui lui était destinée. Il prit une profonde inspiration, rassemblant tout son courage pour continuer.

"Je crois qu'aucun couple qui s'aime n'aurait souhaité avoir la discussion que nous avons eu ce jour là."

"C'était encore ici ?"

"Ce sera toujours ici.."

En y réfléchissant, il était vrai que tous les tournants de leur relation avaient eu lieu les pieds dans le sable, face à la vague et à l'horizon. Et si on pouvait penser à un cadre magnifique pour développer une relation toute aussi belle, Jisung savait bien que ce n'était pas le cas. Il connaissait les moindres recoins obscures de ce qui l'avait toujours relié à Seungmin. Mais malgré tout, il ne s'arrêterait jamais d'espérer, car s'ils fermaient les yeux, c'était bien trop beau pour être laissé.

"J'ai toujours pensé que si nous devions nous retrouver un jour ce serait ici.."

"C'est possible ?!"

"C'est surtout désillusionné..."

Et il éclata en sanglots, prononcer à voix haute cette idée, celle qu'il ne reverrait jamais Seungmin, ça lui faisait mal, très mal. Dire les choses à haute voix, c'était les rendre réelles, et pour certaines, Jisung aurait préféré rester profondément dans le déni, même si c'était malsain. Car c'était trop beau, tellement époustouflant qu'on ignorait toute la laideur, celle qui les avait brisé tous les deux.

Ce rêve, celui où il retrouvait son amant sur cette plage si chère à leur cœur, il l'avait fait des centaines de fois. Il était si beau habillé de blanc, face au lever du soleil, les pieds dans l'eau. Il lui aurait tendu la main, et Jisung l'aurait rejoint. Leurs regards seraient restés bloqués l'un dans l'autre, et ils auraient fini par retomber amoureux, après dix-huit ans de séparation, célébrant cet amour presque neuf par un baiser.

Et même en sachant que tout finirait par éclater, qu'ils se déchireraient encore et encore, il n'aurait pas hésité une seconde.

Même si, bien avant le départ de Seungmin, leur amour était déjà abîmé et vieilli, avant même d'avoir fini d'éclore, ils étaient déjà voué à la peine et la tristesse.

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Jisung avait passé sa journée à attendre son petit-ami à la librairie, mais passé l'heure de fermeture, celui-ci ne s'y était jamais présenté. Le jeune homme savait au fond de lui que quelque chose clochait, il n'y avait rien de plus précieux pour Seungmin que leurs lectures serrés entre deux bibliothèques. Alors, Jisung n'avait pas attendu que les étoiles apparaissent dans le ciel pour se mettre à rouler à pleine vitesse dans les rues de Busan. La nuit était déjà bien trop avancée pour qu'il ne s'aventure dans les bidonvilles seuls. Il avait donc puisé dans ses dernières forces pour rejoindre la plage, suivant son instinct.

Il déboula sur le sable, laissa sa planche rouler quelques mètres plus loin sur les pavés vides de monde. La situation était bien trop urgente pour que Jisung ne s'inquiète pour son skate, sa priorité était de retrouver Seungmin comme lui hurlait son instinct. Et finalement après plusieurs minutes à fouiller la plage plongée dans la pénombre, une silhouette légèrement éclairée par la lune et recroquevillée sur le sable fit son apparition au loin. Le jeune homme n'eut aucune peine à reconnaître son fiancé de dos, alors il accourut vers lui, sentant son cœur s'affoler dans sa poitrine, quelque chose n'allait vraiment pas. Ce fut à quelques pas de son objectif que Jisung s'arrêta, appelant doucement son petit-ami tremblant.

"Seungmin ?"

Ses mots résonnèrent dans le silence de la nuit, sa question ne trouva aucune réponse pendant de longues minutes. et pourtant, Jisung ne bougea pas d'un poil, il connaissait son homme, il avait souvent besoin de temps pour chercher ses mots. Mais à cet instant, Jisung aurait presque préféré le silence alors qu'il sentit son cœur faire une chute libre dans sa poitrine.

"Ca ne peut pas continuer comme ça Jisung.."

"Hein ?"

Ses pas précipités, étouffés par le sable froid, résonnèrent alors qu'il s'approcha à toute vitesse de son copain. Il tenta de s'accroupir à ses côtés, mais Seungmin évita de justesse son regard, il ne s'attendait pas du tout à ça, pas alors que leur idylle semblait si belle, son cœur se brisait à chaque nouvelle parole de son amant.

"On ne peut pas rester ensemble."

"Mais qu'est ce que tu racontes..."

Un soupir retentit dans l'air, et finalement Seungmin se tourna vers un Jisung totalement désemparé par la situation. Il ne lui semblait pas avoir déjà vu ce visage qu'il aimait tant aussi mutilé. Des traces de sang séché étaient encore visibles, son arcade sourcilière et sa lèvre semblait profondément coupées alors qu'un œil au beurre noir se formait sur son œil, son visage déformé par la violence finit d'achever Jisung qui sentit les larmes couler sur ses joues. Sous la pression, il se laissa tomber au sol, effrayé par le déchirement de cette scène. Il fut incapable de prononcer le moindre mot, dévisageant son amant avec tristesse et frayeur. Celui-ci laissa un nouveau soupir s'échapper de ses lèvres, et ses mains tremblantes vinrent soutenir sa tête qui semblait bien trop lourde à cet instant, comme si tous les malheurs du monde s'étaient abattus sur ses épaules.

"Leur violence n'a jamais été aussi importante, ils sont à deux doigts de savoir la vérité, de connaître ton existence, mes missions sont de pire en pire. je ne veux pas être celui qui sera responsable de ta chute."

Les paroles de Seungmin semblèrent sortir Jisung de sa transe, ses sourcils se froncèrent et il trouva enfin la force de se redresser face au jeune homme. Il détestait ce qu'il entendait et où cette discussion semblait aller, il aurait tout fait pour apaiser la situation d'un claquement de doigt à cet instant, éviter simplement le conflit. mais tout était trop lourd à porter, ils faisaient semblant que tout était parfait depuis bien longtemps, alors qu'ils savaient, et à cet instant, il comprit que c'était sûrement leur pire erreur.

"Comment tu peux me dire ça.."

Seungmin baissa les yeux sur le sable qui s'étendait sur leurs pieds, pris de honte sous le regard accusateur de son petit-ami. Il avait sa part de tort, c'était ce que retiendrait un conte de fées, mais au fond il savait que Jisung s'accrochait à un infirmier espoir. Dans ce tourbillon de toxicité, il préférait fermer les yeux pour ne plus ressentir que la chaleur qui faisait vivre son être, cette lueur amoureuse. Mais malgré tout, il s'en voulait terriblement de mettre son amant en danger, c'était impardonnable. Les mains de Jisung glissèrent dans les siennes, et en sentant cette chaleur rassurante, il sut qu'il aurait bien du mal à tenir ses arguments face à lui.

"Kim Seungmin regarde-moi dans les yeux et dis moi que tu m'aimes."

"Jisung..."

C'était bien trop dur, affronter son regard c'était échoué, admettre qu'il avait raison et se jeter dans la gueule du loup. En faisant ça, ils s'engageraient tous les deux dans une relation incertaine qui finirait par les briser, et contrairement à Jisung, Seungmin en était parfaitement conscient.

"Si tu m'aimais réellement comme tu le prétend, tu resterais.. Tu cherches juste une excuse pour t'enfuir."

Son emprise sur les mains de son amant se fit plus forte, il guettait la moindre réaction, cherchant une réponse à son monologue dans ses iris perdus et déconnectés, en vain.

"Tu sais très bien que tout ça m'est égal, je suis conscient des risques-"

"Non, tu n'as jamais rien connu de tout ça Jisung, tu as toujours vécu dans la sécurité."

Ce fut au tour du nommé de soupirer, il savait bien que Seungmin utilisait le plus infime de ses faux pas pour démonter son argumentaire, il le connaissait. Sa réflexion était très certainement bien plus profonde que cela, il cherchait juste à gagner du temps.

"Oui, tu as sûrement raison, chez moi la misère n'est pas dans ce que je possède certes... Mais ça fait trois ans qu'on se connaît Seungmin, tu sais bien que je souffre d'autres maux invisibles, tu ne peux pas me reprocher d'être inconnu au malheur.. Ça n'a pas de sens."

Jisung avait toujours souffert d'anxiété généralisée, depuis aussi loin qu'il s'en souvienne, il avait toujours connu cette boule dans la gorge et cette angoisse constante dans le creux de son ventre. Cette maladie l'avait empêché tant de fois de sortir, elle le ralentissait tous les jours, elle était comme une colocataire non désirée qui lui pourrissait sa jeunesse. En voyant que son petit-ami restait prostré dans ses pensées sans réellement l'écouter, il décida finalement d'utiliser une méthode bien plus radicale pour le faire réagir. Il détestait forcer Seungmin à quoique ce soit, il ne voulait pas être de ceux qui bride sa liberté, mais l'ultimatum ressemblait à son dernier recours à cet instant.

"J'ai vu toutes les blessures sur ton visage, j'ai connu ces moments où tout te semblait trop lourd, je te connais bien plus que tu ne le pense. Si il y a bien une personne sur cette putain de planète qui peut t'aider et rester avec toi contre vents et marées c'est bien moi. Tu n'es plus seul, c'est notre histoire que nous écrivons maintenant, alors si tu m'aimes autant que la réciproque, si tu tiens vraiment à moi et à notre bonheur, tu ne partiras pas."

Et Jisung se leva, laissant retomber les mains froides de Seungmin sur le sable dans un bruit sourd. Son sang pulsait dans ses tempes, au fond il était terrifié. Il aimait Seungmin de tout son cœur, et il craignait plus que tout que le jeune homme l'abandonne ici pour sa sécurité.

Il était conscient que la situation dangereuse décrite par Seungmin était réelle, il savait qu'il finirait par être mêlé à tout cela, il était sûr que tout finirait mal. Il n'était sûrement pas fait pour finir ensemble dans cette vie, il l'avait compris dès que les premières cicatrices de Seungmin lui étaient apparues. Mais son amour était passionné, il ne pouvait pas vivre sans son petit-ami, alors il choisissait de rester dans un déni bien confortable, et sans en avoir conscience il entraînait l'autre dans sa chute, car Seungmin ne pouvait pas résister au semblant de bonheur dont on l'avait privé si longtemps.

Et alors qu'il progressait sur le sable mouillé, les vagues chatouillant ses pieds, il sentit qu'on l'étreignait. un front posé sur son dos et des larmes mouillant son t-shirt. Il laissa reposer sa tête en arrière, respirant cette odeur familière qui le rassurait tant.

Et alors, peut-être qu'avec quelques années de plus, ils auraient trouvé de l'aide, une solution légale ou autre chose.

Car aussi longtemps qu'ils vivraient, ils seraient incapables de respirer l'un sans l'autre.

Mais s'il suffisait d'une vie supplémentaire pour tout chambouler ?