I. C'est qui cette fille ?

Les enquêteurs observaient à travers la vitre la jeune femme, installée à une table dans la salle d'interrogatoire. Cette mystérieuse femme, aux cicatrices visibles sur les bras, qui possédait des yeux gris à glacer le sang. Cette femme qui avait une coupe à la garçonne d'une couleur entre le châtain et le blond. Et les enquêteurs étaient très interloqués par son comportement. Là où d'autres auraient crié, pleuré, démenti, là où ils auraient stressé face aux preuves accablantes... Elle, elle était avachie sur la table, baillant tranquillement, prête à piquer un somme si on ne la dérangeait pas dans les cinq minutes à venir. Certes, elle n'était pas comme cela depuis qu'on l'avait arrêté, car au début, elle ressemblait à une vache comprenant qu'elle était arrivée à l'abattoir. Mais après trois jours de détentions, elle était passée d'un extrême à l'autre...

Les deux enquêteurs se regardèrent. Voilà une semaine qu'ils essayaient de lui soutirer des informations. Mais rien. Elle n'avait pratiquement pas parlé. Et le gouvernement, suite à l'attentat, commençait à s'impatienter... C'est sûr, ils allaient passer un mauvais quart d'heure. La porte de leur salle s'ouvrit, leur supérieure entrant, suivie d'un homme, dans la trentaine. Il était assez fin, pour un homme, mais son regard, dur, interpella les deux policiers. Le nouvel arrivant se présenta :

- Peter Osborn. Nouveau dirigeant de la cellule d'enquête. Je viens interroger cette Jane Doe, pour me faire un propre avis sur la situation. Parce que j'ai entendu dire que ça n'avançait pas, alors, je viens faire le boulot à votre place.

Les deux policiers se crispèrent. Cet inconnu, plus jeune qu'eux, venait leur faire la leçon et en plus, il sous-entendait qu'ils étaient incompétents. L'un d'eux, le plus ridé et costaud, voulut répondre à ce commentaire, mais ce ne fut pas le cas de sa cheffe, qui le stoppa d'un signe de main.

- C'est quoi les dernières nouvelles ? Et pitié, dites-moi qu'il y a du nouveau... " continua le trentenaire à la barbe de trois jours.

Les enquêteurs se regardèrent, dépités. Un regard qui signifiait tout.

- Bon. J'y vais alors.

Peter s'exécuta dès qu'il finit sa phrase, sortant de la salle. Les deux autres hommes, qui n'avaient presque pas bronché depuis que l'autre était rentré, se mirent à se mouvoir.

- Il est... Très direct, ce type. J'ai cru qu'il allait nous tuer au début ! " s'exclama le plus vieux, Bill Katler.

- Ouais... Il est nouveau dans le coin, non ? Je l'avais jamais vu. En même temps, vu l'affaire...

Et quelle affaire. Le nouveau dirigeant, avant d'entrer dans la salle d'interrogatoire, feuilleta une dernière fois le dossier et relut les notes qu'il avait inscrite le matin même :

" Tout d'abord, la situation. Lundi dernier, soit le 8 Mars, plusieurs bombes ont été activées dans la zone industrielle de New York. L'une d'elles, la plus grosse notamment, a détruit trois usines et un stockage d'hydrocarbures. Les neuf bombes au total ont fait 415 morts et des milliers de blessés. Un choc pour les États-Unis, le pays était en deuil. L'attentat a été revendiqué par une organisation, encore inconnue jusqu'à ce jour, qui ne porte pas de nom, mais juste un symbole. On les a nommé les " Haters " sur les réseaux sociaux, puis cela a été repris par les médias.

Les bombes ont été activées depuis un ordinateur. On a pu capté le signal grâce à une bombe défectueuse, la dixième, qui n'a heureusement pas explosé. Les services de cyber sécurité ont pu retracé le signal jusqu'à un appartement dans le Bronx.

Là-bas, on a retrouvé l'ordinateur et Jane Doe. C'est le nom qu'on a donné à cette inconnue, non répertoriée, qui n'avait aucun papier d'identité sur elle. Elle refuse de déclarer son identité, son âge, n'importe quelles informations précieuses pour l'enquête. Elle est muette depuis mercredi soir, depuis qu'on lui a dit... Quel jour on était. On l'a interrogé sur l'organisation des " Haters ", mais elle ne semble rien connaître. Elle ne laisse rien filtrer.

L'appartement était celui d'une jeune femme décédée récemment dans un accident de voiture, Tania Brooks. N'ayant pas de famille proche, les affaires de la jeune femme avait été laissé sur place, le temps que sa famille arrive d'Australie. L'identité de Jane Doe ne correspond pas à celle de Tania Brooks, leur empreinte digitale sont différentes. D'après les premiers interrogatoires, Tania ne semblait pas connaître Jane, et l'inverse aussi. On a montré des photos de la jeune femme décédée à Jane, qui n'a eu aucune réaction. On s'interroge toujours sur pourquoi la principale suspecte se trouvait sur les lieux et comment elle a fait pour entrer dans cet appartement. "

Beaucoup trop de conditionnel, de questionnement dans ce rapport. Il était temps de mettre tout cela au clair. Peter prit une grande bouffée d'air et entra brusquement dans la salle où se trouvait la suspecte.

- On se réveille, ici. C'est bon, t'es fichue. On a trouvé ta véritable identité, c'est plus la peine d'être muette.

Jane, qui était sortie brutalement de son demi-sommeil, observa l'inspecteur, minutieusement. Son visage aussi fin que son corps, mais avec une mâchoire carrée, ces cheveux plutôt longs pour un homme, qui lui tombaient jusqu'au menton, légèrement bouclés, sa barbe... Malgré son air renfrogné, il était plutôt mignon. Et jeune. Et bien sûr, elle savait qu'il bluffait.

- C'est pas la première fois qu'on me fait le coup, c'est raté, Monsieur le nouveau. " déclara-t-elle.

Derrière la vitre teintée, les deux policiers étaient stupéfaits. Elle venait sérieusement de parler ? Qu'est-ce qui se passait ? Une mouche l'avait piqué ? Même Peter était surpris. Il s'attendait à une autre réaction que cela... Il se pencha vers elle.

- Pourtant, on a lancé un avis de recherche sur toi et ton joli visage. Dans le monde entier. Et on a eu quelques appels intéressants... " continua-t-il, essayant d'être le plus impassible.

- Aaah, ces fameux témoins ou membres de la famille qui me dénoncent ! Ils vont bien ? Leur chat aussi est un terroriste ? " répondit-elle, du taque au taque.

- C'est grave, ce qu'il s'est passé, Mademoiselle. 415 victimes de vos bombes, et vous osez vous moquer de potentiels témoins ?!

Elle s'arrêta de sourire. Et elle commença à pleurer, tout doucement.

- Monsieur l'inconnu qui a daigné se présenter, est-ce que vous savez à quoi je pense, quand personne n'est là, à m'interroger ? À ces gens, morts. Toutes ses victimes qui étaient au mauvais endroit, au mauvais moment. Et... "

Il la coupa brutalement, s'installant enfin sur la chaise en face d'elle.

- Gardez cela pour les jurés, histoire que votre peine de prison soit diminuée d'un ou deux ans. Moi, je veux savoir qui vous êtes et pourquoi vous avez fait cela.

Elle se recula dans sa chaise en plastique, puis passa une main dans ses cheveux courts. En soupirant, elle croisa les bras. Elle n'avait pas autant ouvert la bouche depuis qu'elle était arrivée, et était relativement calme. Mais là, elle semblait repartir dans son mutisme. Le jeune lieutenant ne pouvait pas la perdre, donc il enchaîna :

- Vous ne voulez toujours pas d'avocats ?

La jeune femme, qui devait avoir dans la vingtaine, fit non de la tête, les larmes coulant à flot sur ses joues. Elle craquait, enfin. Le brun se devait de prendre cette opportunité :

- Vous êtes fichue, vous le savez, non ? Arrêtez de vous enfoncer, et pour de bon, dites nous la vérité. À commencer par votre identité.

Elle releva la tête, croisant son regard. Il découvrit, dans ses yeux, une profonde tristesse, sincère. Elle devait continuer à parler...

- C'est pourtant simple, non ? Je n'existe pas. Personne ne me connaît. Vous avez dû avoir des milliers d'appels, mais rien de concret. Bien sûr, vous avez cherché, cherché, mais non, rien. C'est parce que c'est le cas, putain !

Elle avait soudainement haussé le ton.

- Tenez vous tranquille, bon sang.

Elle déglutit et inspira profondément avant de reprendre, essayant de paraître la plus calme possible.

- Vous voulez que je vous dise la vérité, et bien la voilà ! Je n'existe pas. J'étais dans cet appartement, oui, mais je n'ai pas déclenchées foutues bombes. Je sais même pas comment me servir de cet ordi ! Donc oui, je suis la parfaite coupable pour vous. Vous ne voyez aucune autres raisons pour lesquelles je me trouverai dans cet appart, avec cet ordi. Pourquoi je ne parle pas, parce que je ne peux pas me défendre. Personne ne le peut. Tout ce que je peux vous dire, c'est que quelque chose a bugé.

- Oui, on sait pour la dixième bombe que...

- Non, autre chose.

Elle avait l'air, à présent, extrêmement sérieuse et grave.

- Et qu'est-ce que c'est ?

- Je ne sais pas.

- Comment vous pouvez l'affirmer alors ?

- Je le sais, c'est tout. Quelque chose a bugé.

Il haussa un sourcil. Il ne comprenait pas ce qu'elle avait voulu dire par là... Et si cette fille était tout simplement folle ? Non... Elle avait subit des examens médicaux, dont un avec un psychiatre. Il avait conclu que cette femme était tout ce qu'il avait de plus saine d'esprit, même si elle ne parlait pas beaucoup, elle semblait intelligente. Pourquoi disait-elle ce genre de propos, alors ?

- Ça ne m'avance en rien, tout ça. " soupira-t-il. Il observa les bras nus de Jane, couverts de cicatrices. Il y en avait tellement. Les médecins avaient soupçonné que la femme était une suicidaire, qui avait raté son cas très souvent. Ces cicatrices étaient anciennes, 3 à 4 ans au moins. Peter devait prendre des pincettes avec elle, s'il ne voulait pas se trouver avec un cadavre sur le dos. Mais, toujours d'après le psychiatre, cette femme avait beaucoup changé, et ne semblait plus posséder la moindre tendance suicidaire. Les avis des médecins étaient si différents... Qui croire ? Qui écouter ?

Remarquant qu'il observait ses bras, elle rougit, les cachant sous la table. Le policier se dit qu'elle en avait honte, sûrement.

- Qu'est-ce que c'est ? " osa-t-il demander.

- Mes erreurs du passé, et il y en a assez pour me prendre pour une folle, je suppose. Je suis désolée de ne pas être une grande aide, Monsieur.

Elle le fixa dans les yeux visiblement en colère. Elle venait de ressouder ses lèvres, pour un bon moment, visiblement. L'enquêteur tiqua face à ce regard. Il venait d'avoir une impression de déjà-vu... Non, c'était sûrement son cerveau, qui assimilait cette jeune femme aux autres criminels qu'il avait déjà passé à la casserole. Cette femme... Il doutait après en. L'avait-il déjà vu ? Il devait s'en souvenir... Il jeta un coup d'œil au dossier. Ce symbole, cette femme, qu'est-ce qui les liait ? Étaient-ils seulement liés ?

Il grimaça. Ce n'est pas aujourd'hui qu'elle parlerait, mais au moins, ils avançaient, ne serait-ce que de quelques millimètres. Il se leva.

- Ce sera tout pour aujourd'hui. Demain, on recommence, jusqu'à ce que vous nous dites tout. Votre petit jeu sera bientôt percé à jour. " il se tourna vers le garde qui gardait la salle. " Emmenez-la dans sa cellule. Et surveillez-la. "

Le garde acquiesça et attrapa la jeune blonde au bras, pour l'obliger à se lever. Elle protesta :

- Hé, attendez ! Vous ne m'avez même pas dit votre nom !

- Vous le découvrirez quand vous m'aurez dit le vôtre. " souffla-t-il.

Elle grommela quelque chose pour elle-même.

- Quoi ? " lui dit-il, en se retournant.

- Un jour, vous le connaîtrez. Ça, je peux vous l'assurer. Mais pas maintenant.

Il se stoppa dans sa marche. Elle ne faisait que le narguer... Pourquoi ? Il soupira, il avait besoin d'une cigarette, et d'un grand café. Qui était-elle, bon sang ?

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