vernis.

22 Décembre 2034.

— Arrête de tirer, Crumpy !

Je soupire, les yeux posés sur le chien d'Ezra qui tente de se faufiler dans l'appartement alors que je le tiens en laisse. S'il y a quelque temps, il refusait de faire ses promenades avec une autre personne que Blue, Dae et moi pouvons maintenant le sortir sans souci. Cependant, les retours sont encore un peu chaotiques. Il couine toujours pour que nous nous dépêchions de le détacher.

— J'arrive !

J'accroche mon manteau à la patère et m'accroupis pour le libérer. Il jappe une fois et court dans le salon. Non pas pour retrouver son maître qui est assis par terre devant la table basse avec Dae, mais Pancake. Il pose ses pattes avant sur le rebord de la fenêtre où notre chat somnole. Quand le chien lui lèche le museau, il se lève et se décale pour lui laisser de la place. Je hausse un sourcil, abasourdi en remarquant Crumpet utiliser le repose-pied pour rejoindre le félin.

— Depuis quand ils partagent cette fenêtre ? interrogé-je les garçons.

— Depuis que j'ai mis le pouf à cet endroit, me répond Dae.

Tout en secouant les mains dans tous les sens, il me montre d'un mouvement du menton l'objet en question. En le voyant agir ainsi, je ne sais plus qui me surprend le plus. Nos animaux ou lui.

— Il me faisait trop de peine à regarder Pancake avec ses petits yeux tout tristes.

Je hoche la tête en essayant de faire abstraction de son comportement. Je me penche vers Ezra pour quémander mon bisou de retour. La promenade avec Crumpet n'a duré qu'une vingtaine de minutes, mais ça m'a quand même manqué. Je me redresse et réalise que Dae continue son manège.

— Tu apprends à voler ? le taquiné-je.

— Non ! Je fais sécher mon vernis, s'exclame-t-il.

Il tend ses bras devant lui pour rapprocher ses doigts de mon visage. Ses ongles sont peints en blanc. Je souris.

— Ezra était en train de faire ses ongles alors...

Mon frère hausse une épaule avant de ramener les mains vers lui. Il les fixe longuement et une moue s'affiche sur ses lèvres. Il relève les yeux et nous demande d'une petite voix :

— C'est pas ridicule, hein ?

— Bien sûr que non, lui affirmé-je tandis qu'Ezra se contente de secouer la tête.

Il semble encore un peu dubitatif. Je lui ébouriffe les cheveux en ajoutant :

— Ça te va très bien, Dae-Dae.

Nos regards se croisent et il finit par sourire, soulagé. Je m'installe sur le canapé au moment où Ezra commence à ranger dans une trousse de toilette, les quelques vernis qu'il possède. Mes yeux se délectent de lui et de sa peau hâlée laissée visible par son t-shirt puis ils se portent sur ses ongles bleus. J'aime cette couleur sur lui.

Il se lève et part dans le couloir. Mon regard glisse le long de son dos jusqu'à ses fesses cachées sous un short qui doit appartenir à Dae. Je serais presque à deux doigts de remercier mon frère d'avoir un jour eu l'idée d'acheter ce vêtement. Je ricane.

Quand Blue disparaît dans la salle de bain, mon attention se porte alors sur Dae. Il a un grand sourire et un sourcil bien trop haut pour être naturel. Il semble avoir remarqué mon regard insistant sur Ezra. Mes joues se réchauffent même si je n'ai rien fait de mal. Je me racle la gorge pour retrouver un peu de contenance et me redresse en déclarant tout bas :

— C'est mon copain, j'ai le droit !

Il rit en levant ses mains en signe d'innocence.

— Je n'ai rien dit, tu sais !

— Ouais, c'est ça... Sinon c'est pas ce soir le spectacle de ton école ? me renseigné-je pour changer de conversation.

Son sourire en coin m'agace parce qu'il sous-entend tellement de choses. Certaines sont sans doute vraies, mais beaucoup sont fausses...

— Si, si ! Je me suis même mis sur mon trente-et-un, tu as vu ça ?

Il se lève, les bras en croix pour me laisser le loisir d'apprécier son jean sombre troué aux genoux et sa chemise noire à motifs rouges.

— Pas mal !

— Ezra m'a aidé à choisir.

— Il était prêt à y aller en pyjama, intervient Ezra en revenant dans le salon.

— Arrête, ce n'en était pas un, s'insurge mon petit-frère, m'amusant au passage.

— Ça y ressemblait en tout cas...

Tout en répondant, mon petit-ami s'installe sur le canapé, à l'autre bout. Je souris, voyant son invitation silencieuse pour que je m'allonge sur lui. Je ne me fais pas prier et pose dans la seconde ma tête sur ses genoux, en soupirant d'aise.

— Tu ne comprends rien à mon style, râle Dae en pénétrant dans sa chambre.

— Sûrement !

— En tout cas, t'es canon comme ça, crié-je pour le rassurer.

Il revient dans la pièce principale, un bomber rouge sur le dos. Son visage rayonne, me prouvant que mes mots ont eu l'effet escompté.

— Merci... Enfin, ça me gonfle d'y aller.

Mes yeux ont le réflexe de se révulser sous les marmonnements de Dae. Ce soir, son école organise un spectacle de Noël. Malheureusement pour lui, les premières années n'ont pas le droit d'y participer et ça, il a du mal à l'encaisser. Je crois qu'il se voyait déjà faire Casse-Noisette ou un autre ballet de ce genre.

— Oh arrête, je suis sûr que ça va te plaire.

— Y'a intérêt, marmonne-t-il, en fourrant ses clés et son portefeuille dans ses poches. En tout cas, après, on sort boire un verre avec Chad.

— D'accord. Tant que tu es ici demain matin à huit heures, le reste ne me regarde pas, affirmé-je. Enfin, fais pas trop de bêtises quand même.

Il se dirige vers l'entrée en nous lançant :

— Je serai sage comme une image, comme toujours !

Je me redresse un peu pour pouvoir le voir enfiler ses Derbys.

— Tu as préparé tes affaires au moins ?

— Oui, papa, se moque-t-il. Mes sacs sont au pied de mon lit.

— Parfait.

Cependant, je ne me rallonge pas. Je réponds à son geste de la main avant qu'il ne sorte. Quand la porte claque derrière lui, je me remets à ma place.

— Je suis content de vous voir comme ça, chuchote Ezra en me caressant les cheveux.

— Moi aussi...

Tandis qu'il allume la télé, je ferme les paupières, bien décidé à me laisser porter par ses doigts qui me câlinent à présent le visage. Cependant, mon cerveau ne semble pas du même avis. Il m'oblige à tout vérifier dans les moindres détails. À repasser encore le programme que nous avons mis en place, tout ce que je dois faire. Il ajoute à ça, quelques vagues de stress qui me retournent l'estomac.

Demain, Ezra rencontre mes parents... Certes, pour eux, Blue ne sera qu'un ami, mais ça n'empêche rien. La première impression est toujours importante. Je sais comment peut être le comportement d'Ezra quand il ne connait pas les gens et c'est sans parler de celui de mes parents... Ma mère peut être un vrai espion du KGB qui cherche toutes les informations possibles et inimaginables.

Depuis le début de semaine, mon esprit ne cesse de monter des scénarii horribles. Il me montre tout de ce qui pourrait se dérouler de travers durant ces vacances et ce soir ne fait pas exception. C'est même sûrement pire...

— À quoi tu penses ?

Je reviens soudain à la réalité, ignorant combien mes songes ont duré. Si sur le moment, j'ai cru que seules quelques minutes étaient passées, en voyant une nouvelle émission démarrer, je comprends que cela fait bien plus longtemps. Je relève le regard vers Ezra qui attend quelque chose de moi.

— Hein ?

Son sourire en coin me plaît et me rassure.

— Tu penses à quoi ? répète-t-il.

— Juste... Je fais la liste des trucs que je ne dois pas oublier demain pour les vacances.

Il ricane, ses yeux se plissent et pétillent sous la moquerie qui s'empare d'eux.

— Tu ne te détends jamais ?

Malgré ma position, je hausse les épaules. Je suis chez moi, en tête-à-tête avec mon petit-ami, ma tête sur ses genoux pendant que ses doigts frôlent délicieusement la peau. Mais les seules choses qui me viennent à l'esprit sont tout ce qui pourrait faire capoter notre bonheur.

— Tu sais le nombre de boxers que tu dois emmener chez tes parents n'a pas d'importance !

Cette fois, c'est mon rire qui emplit l'espace. Il est loin de la réalité de mes pensées, mais ça me fait du bien de l'entendre plaisanter comme s'il n'avait aucune appréhension pour demain.

— Je suis désolé, soufflé-je, sincère. Je suis ridicule, je sais.

Il se penche en avant et m'embrasse délicatement. Il reprend une position correcte en me répétant pour la énième fois :

— Tu vas chercher la voiture pour huit heures, juste après le petit-déjeuner. Pendant ce temps, Dae et moi, on regroupera nos affaires dans le salon...

Je m'apprête à ouvrir la bouche, mais il me devance :

— Tu as entendu Dae, ses sacs sont déjà prêts et les nôtres aussi. J'ai tout vérifié pendant que tu promenais Crumpet.

Mon index se lève comme pour demander l'autorisation de parler, mais il me la refuse, souriant pour ajouter :

— Et on s'occupera des affaires des petits...

Les petits, sa nouvelle expression pour qualifier nos animaux. Pour une raison qui m'échappe, je l'aime beaucoup.

— Ainsi que de les mettre dans leur sac de voyage respectif.

Mon bras retombe le long de mon corps, il a réponse à tout. Il me sourit, content de lui.

— Tu crois que ça sera assez grand pour eux ? m'inquiété-je encore.

— C'était les plus larges du magasin et puis, ce ne sont pas non plus des gros gabarits.

Je jette un coup d'œil à la fenêtre où ils sont tous les deux installés. C'est vrai que s'ils arrivent à tenir tous les deux sur ce rebord, ils seront à l'aise.

— Cesse de stresser. Tout se passera bien.

Je hoche la tête en essayant d'assimiler ce qu'il m'explique.

— Même avec tes parents...

Son ton s'est fait plus doux presque intimiste pour me dire ses quelques mots qui me surprennent. Je déglutis et ferme les paupières. Finalement, il me connait bien et sait que ce ne sont pas mes boxers qui m'accaparent l'esprit. Il se doute de ce qui me perturbe.

— Il n'y a aucune raison pour que ça se passe mal, commence-t-il en posant une main sur mon ventre. Je vais être hyper poli et serviable. Crumpy sera adorable avec eux. Toi et Dae allez m'aider en leur rappelant régulièrement à quel point je suis mignon. Et quand ils auront fini par m'aimer, on pourra leur dire pour nous deux.

Je reste un peu abasourdi à l'écoute de sa tirade.

— Tu as déjà tout prévu ?

— Ouais, susurre-t-il.

Son regard glisse sur l'entièreté de mon visage et c'est comme si je pouvais le sentir sur ma peau.

— On y arrivera, insiste-t-il.

Sa confiance en nous transparaît dans ses mots et son ton. Ça me transcende presque. Me donne l'impression qu'il a raison. Nous réussirons. Un jour, je ne serai plus lâche. Je ferais entendre ma voix.

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