passé.
17 Décembre 2034.
Il a donné sa vie pour moi.
Je ne peux empêcher mon corps de réagir à cette déclaration. Je me redresse sur les genoux et plonge mon regard dans le sien toujours empli de larmes. Mes mains moites frottent mon pantalon de pyjama avec frénésie. Mon cerveau est en ébullition. Ou il présente une panne. Je ne sais plus.
— Quoi ? bafouillé-je stupidement.
Il ne fonctionne plus.
Ezra se relève à son tour, s'adossant au mur à la tête du lit. Il entoure ses jambes repliées contre lui et soupire. Il ferme les yeux. Pour essayer de ne pas pleurer. Pour contrôler ses souvenirs. Pour ne pas me voir alors qu'il me narre son histoire :
— Mes parents étaient horribles. Ils ne m'ont jamais aimé. Au début, je mettais tous les torts sur mon père, me disant que ma mère avait peur de lui et subissait autant que moi. Mais le fait est qu'aucun d'eux ne m'a même jamais toléré...
Il renifle et pose sa tempe sur son bras.
— Après mes opérations, j'ai eu un espoir qui s'est vite évanoui. Il y avait toujours une différence entre leur comportement avec Adam et avec moi. Je savais qu'ils le préféraient, mais... ce n'était pas ça le plus dur. C'était leur... obsession pour me faire devenir une fille. Les dessins animés, la danse, la gym, les jeux, les habits, les coiffures... ça m'étouffait. Je n'aimais pas tout ça, mais ils s'en fichaient.
L'entendre me raconter tout ça est difficile. Je l'imagine subir tout ça sans rien pouvoir dire. Et soudain, comme venu de nulle part...
— Elya...
Il relève le visage, ses yeux à présent ouverts. Ils m'observent. Je ne fais le lien qu'aujourd'hui comme le nul que je suis. Pourtant, tous les indices étaient là depuis un moment.
— C'était toi ? La petite fille à l'association ? Celle qui pleurait assise par terre ?
Un sourire triste s'empare de ses lèvres tandis qu'il hoche la tête. À nouveau, tout s'aligne en moi. Il est mon...
— Je pensais que tu ne t'en souvenais pas.
— Pendant des semaines, j'ai espéré te revoir, mais...
Il hausse les épaules.
— Après ce jour, ma mère a décidé d'arrêter la danse et m'a envoyé faire de la gymnastique. Il y a eu aussi le patinage artistique, la natation et même le twirling bâton...
Je comprends mieux pourquoi je n'avais jamais recroisé la petite Elya les cours suivants. Et moi qui espérais que ça s'était arrangé pour elle... J'étais loin du compte. Je baisse la tête, honteux.
— Je suis désolé...
Il passe ses doigts sous le menton et pousse dessus. Quand nos regards s'accrochent, il affirme, sûr de lui :
— Tu ne pouvais rien faire. Personne ne le pouvait. Et de toute façon, rien ne pouvait les arrêter. Mon père a commencé à boire. Beaucoup. Il a perdu son boulot à cause de ça...
Il essuie à nouveau ses joues comme pour faire de la place pour les prochains pleurs. Cette histoire, la sienne me comprime le cœur à chaque nouveau mot qu'il prononce. Je m'interroge sur le fait qu'il puisse même vivre avec de tels souvenirs.
— Ce soir-là, quand il est rentré, il était complètement ivre. C'était à la fois mon père et un inconnu. Il hurlait des choses incompréhensibles. En découvrant qu'il n'y avait plus d'alcool à la maison, il a envoyé ma mère en acheter.
Il ramène des mèches en arrière, sa lèvre inférieure tremblante. Il est sur le point de pleurer et je ne peux pas supporter de le voir ainsi. Dans un élan, j'attrape sa main. D'une voix paniquée, je débite tout ce qui me passe à l'esprit :
— Tu n'es pas obligé. Je ne veux rien savoir si ça te fait malcomme ça... Je...
— Je ne suis pas obligé, c'est vrai. Mais je dois le faire... Je souhaite que tu sois honnête avec tes parents, mais avant, il faut que je le sois avec toi. Que tu aies toutes les cartes en main à propos de moi.
Il tire sur mes doigts et me fait signe de m'asseoir à côté de lui. Je m'exécute dans la seconde comme si prendre mon temps allait changer quelque chose à son récit.
— Les jours qui ont suivi cette soirée, je n'ai cessé de me dire que si Adam était allé acheter cette bouteille et que ma mère était restée, elle aurait réussi à le calmer. Et j'ai tellement regretté que ça ne se soit pas passé ainsi. Tout aurait été différent... Puis j'ai réalisé que le scénario n'aurait pas été meilleur. Nos rôles avec Adam auraient juste été inversés...
Cette fois, c'est l'impatience qui m'envahit. Je ne saisis pas ou plutôt, je ne veux pas comprendre tant qu'il ne l'aura pas dit clairement. Parce que je ne peux pas imaginer ce qui a pu se dérouler ce soir-là. Nos mains toujours liées s'agrippent l'une à l'autre comme pour nous empêcher de sombrer.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? l'interrogé-je, tout bas, de peur qu'il m'entende.
— Mon père s'est énervé après moi, en disant que tout était ma faute, que je n'étais qu'un monstre... Qu'ils auraient dû me noyer à la naissance comme on le fait avec les chatons.
Ces mots sont durs. Je souffle comme si je venais de me prendre un coup de poing dans l'estomac. Je tourne la tête vers lui. Il a le regard fixé dans le vide, les traits déformés dans une grimace et les bras autour de son ventre. Revivre tout ça le fait souffrir psychologiquement, mais physiquement aussi.
— Il était ingérable. Adam tentait de le calmer, mais ça ne servait à rien. Mon père était fou. Puis finalement, il a attrapé un couteau de cuisine... Il s'est approché de moi en se promettant de régler enfin tous leurs problèmes. J'ai fermé les yeux, mais au lieu de sentir la lame, j'ai entendu le cri de douleur de mon frère. Un hurlement.
Je lâche sa main et l'attire brusquement à moi. C'est le chaos, entre nos gestes anarchiques et mes pensées embrouillées, je ne sais pas comment nous avons fait, mais Ezra se retrouve à califourchon sur moi, ses bras autour de mon cou et son visage caché dedans.
— Je suis désolé... Je suis désolé... Je suis là, lui répété-je.
Ses pleurs mouillent ma peau, mais c'est le cadet de mes soucis. Dans des mouvements amples, je lui caresse le dos pour tenter, sans grand espoir, de le calmer.
Son père a voulu le tuer et son frère s'est interposé.
Son père a tué son frère.
Son père a tué son frère.
Si j'avais lu ça dans un de mes livres, j'aurais affirmé que l'auteure se foutait de nous. Pourtant, c'est la réalité. La dure et froide réalité. Tous les enfants n'ont pas un quotidien rempli d'amour et de joie. Penser le contraire, c'est se voiler la face. Ce bas monde ne porte pas que des anges malheureusement.
C'est égoïste de ma part, mais à l'écoute de son histoire, je relativise ma propre vie, mes responsabilités et même mon coming out. Mes proches attendent beaucoup de moi, mais jamais, ils n'agiraient comme ça. Jamais. Réaliser ça me fait du bien, me réchauffe le cœur. Ce dernier déborde alors d'amour. Sans réfléchir, je déclare à Ezra :
— Je suis là... Je suis ta famille maintenant. Dae et mes parents aussi. Mes amis. Ils seront tous ta famille. On sera là pour toi. Quoiqu'il arrive.
Il se recule pour pouvoir me regarder. J'en profite pour l'embrasser avec tout l'amour que je lui porte puis avec la manche de mon haut, je sèche ses pleurs.
— Tu vois... c'est de cette gentillesse que je parlais, murmure-t-il.
Il pince ses lèvres et même si sa voix est cassée à cause de ses sanglots précédents, il poursuit sa narration :
— Et la sienne a toujours été là aussi... Quand j'ai réouvert les yeux, ce soir-là, Adam n'était pas à terre comme je l'imaginais. Non, il continuait de se battre avec mon père. Les derniers mots qu'il m'a dits... c'est...
Il a un hoquet.
— Cours, Ezra...
Un nouveau sanglot lui brise la voix. Pendant quelques secondes, il tente de retrouver une respiration moins chaotique.
— Cours, Ezra, répète-t-il.
Ces mots semblent toujours le hanter aujourd'hui.
— Il était en train de mourir et j'étais encore sa priorité. Je me suis précipité jusqu'à l'appartement de la voisine pour qu'elle nous aide et pendant qu'elle téléphonait la police, j'étais tellement déboussolé que... la seule chose que j'arrivais à penser c'est qu'on allait se faire disputer parce qu'il m'avait appelé Ezra.
Son esprit n'est plus là, je le vois à son regard dans le vide. À l'absence soudaine de larmes. À son corps figé au-dessus de moi. Ma bouche baise délicatement son front pour le réconforter même si c'est impossible. Au moins, tenter de le ramener à moi.
— Ton frère était... incroyable...
— Il l'était.
Il se plie en deux de manière à pouvoir poser son front sur mon épaule. Mes mains caressent chaque parcelle de peau d'Ezra qu'elles peuvent atteindre. J'essaie d'être partout à la fois, pour qu'il ne se sente pas seul, mais au fond, je ne sais pas comment agir après avoir entendu tout ça. Ai-je la bonne réaction ? Les gestes corrects ou les mots adéquats ? Y en a-t-il réellement ? Est-ce qu'un jour quelqu'un a inventé des termes qui peuvent atténuer cette douleur qui émane de mon petit-ami.
— Il ne méritait pas de mourir comme ça... à cause de moi...
Je pose mes mains sur ses joues et l'oblige à relever la tête pour qu'il me regarde.
— Bien sûr que non, mais... Ce n'est pas à cause de toi, mais de ton père. C'est lui qui a agi, pas toi.
Il a quelques soubresauts à cause des sanglots qui menacent de monter. Je l'embrasse chastement avant de souder nos fronts. Je ferme les yeux parce que je sens mes larmes venir aussi. Alors que j'ai l'impression qu'il ne peut plus rien dire, il reprend, d'une voix qui n'est plus vraiment la sienne :
— Il m'avait promis qu'une fois qu'il serait majeur, on partirait tous les deux... Qu'il m'offrirait une belle vie au soleil. Il voulait qu'on aille en France ou au Portugal, mais à la place, il est mort dans le camion des secours. Et j'ai été balloté chez différentes familles d'accueil.
— Et tes parents ?
Il se racle un peu la gorge, elle doit lui faire mal après avoir autant pleuré. Il renifle et annonce, sèchement :
— Mon père est en prison et ma mère... Après tout ça, elle a été envoyée dans une maison de repos ou un hôpital psychiatrique, je ne sais pas trop.
J'ouvre les yeux. Ses larmes continuent de couler en silence.
— J'ai fui en juin dernier parce qu'elle en est sortie et ils voulaient que je retourne avec elle, mais j'en étais incapable. Pas après tout ce qui s'est passé. Puis, de toute manière, elle ne souhaitait pas plus que moi que je sois chez elle.
Je l'écoute avec toute mon attention et l'amour que je lui porte. Comment un gamin comme lui peut avoir vécu autant de merdes et être encore debout ? Continuer à se battre pour survivre ? Avoir toujours autant d'amour en lui ?
— Je t'aime, murmuré-je avec émotion. Merci de m'avoir tout raconté. Je sais que ça n'a pas dû être facile de le faire, mais... Putain, je t'aime tellement. Je ne te lâcherai jamais. Tu m'entends ?
Je pose à nouveau mes mains sur ses joues et nos regards se captent.
— Je ne te lâcherai jamais, c'est promis !
J'ai à peine le temps de finir ma phrase qu'il se jette sur mes lèvres. Son baiser est désespéré et j'y réponds de la même manière. C'est urgent. Chaotique. Enflammé. Il a besoin de se raccrocher à moi. J'ai la nécessité de le garder auprès de moi.
Alors qu'il nous fait basculer sur le lit en approfondissant notre échange, ma peine s'évanouit. J'ai enfin saisi une chose ce soir. En prenant connaissance de notre passé. En écoutant son récit. En pleurant pour lui. En le sentant sous mes doigts. En humant son odeur caractéristique. En voyant sa confiance en moi. J'ai compris qui il était.
Ezra...
Blue...
Mon Blue...
Il est mon âme sœur...
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