Pancake.

Nuit du 09 au 10 Octobre 2034.

— Nous y sommes presque, chuchoté-je au chat en montant les dernières marches.

Comme s'il me répondait, il miaule doucement dans mes bras qui commencent à s'engourdir. Je soupire quand j'entre enfin la clé dans la serrure. Mon pied pousse le battant pour refermer derrière moi tout en m'exclamant :

— Dae Hyun, viens m'aider !

Malgré l'heure, je sais qu'il n'est pas couché. De la lumière passe sous la porte de sa chambre. Mais il ne me rejoindra pas. Il va faire comme s'il ne m'avait pas entendu. C'est comme ça depuis que nous avons emménagé ensemble, il y a deux mois.

— Ramène-toi ! tenté-je à nouveau.

Rapidement, je me déchausse à l'entrée en laissant tomber mon sac. Une musique s'élève alors, me faisant bien comprendre qu'il ne veut pas me parler.

— Quel gamin, grommelé-je en caressant la tête du félin.

Je me dirige dans la salle de bain où je retire les habits que nous avions mis. Mon regard analyse la patte de l'animal et je suis soulagé de voir que ça ne saigne plus. C'est toujours ça de gagné. J'ignore les bons gestes à avoir dans ce genre de situation alors tout en priant pour ne pas faire de bêtise, je suis mon instinct, mais aussi mes souvenirs.

Un jour, Dae Hyun s'était coupé le pouce avec un couteau, voulant se faire un sandwich tout seul. Mais à huit ans, il n'était pas très habile pour ça. Encore maintenant, d'ailleurs, mais heureusement, il ne s'était pas profond. J'avais appuyé avec un torchon sur sa blessure. Je revois ma mère se précipiter sur nous et mettre le doigt sous l'eau du robinet.

Je décide d'en faire de même avec la patte du chat. Je suis assez épaté que l'animal ne bouge pas. Peut-être n'a-t-il plus la force de faire quoi que ce soit. Ou alors, peut-être a-t-il confiance... Je la passe sans problème sous le jet pour nettoyer la plaie. Plus les secondes s'écoulent, plus la blessure devient visible. Ce n'est pas beau à voir, mais je crois que je m'attendais à pire. Je soupire.

— Ça va aller, petit chat !

J'attrape à bout de bras une serviette propre que je mets sur lui puis cherche le nécessaire pour le soigner. Mentalement, je fais la liste des choses que je vais devoir faire. S'occuper de la blessure, lui donner à manger, lui trouver un endroit dans l'appartement où il pourra dormir, dénicher un vétérinaire dans le quartier, me réveiller tôt, l'emmener demain chez le spécialiste et me rendre au travail... Je ne suis pas sorti de l'auberge.

— Dae Hyun ! crié-je dans un dernier espoir.

— Lâche-moi, Kwang Sun !

Une fois tout mon nécessaire en mains, je quitte la pièce. Si Dae a cru qu'il en échapperait si facilement, il se met le doigt dans l'œil. Je ne vais pas pouvoir tenir le chat et le soigner en même temps. Je peux être doué, mais pas encore à ce point. Sans même prendre la peine de frapper à la porte de la chambre, je l'ouvre et trouve Dae, allongé sur son lit en train de tapoter sur son téléphone.

Dès qu'il entend le battant rebondir plus violemment que je ne le voulais sur le mur, il sursaute et se redresse pour me regarder. Prêt à hurler son mécontentement. Cependant, quand il voit ce que je tiens entre mes bras, il s'adoucit dans la seconde. Ses yeux brillent de bonheur. Son amour pour les chats n'a aucune limite. Je le savais, c'est pour ça que je n'ai pas hésité longtemps à le ramener à la maison.

— Mais... où tu l'as trouvé ? me demande-t-il, à genoux sur son matelas.

Je viens m'asseoir sur son lit, à quelques centimètres de lui et lui réponds :

— Dans la ruelle derrière le resto.

Il le caresse doucement, un sourire aux lèvres.

— Mais il est trop mignon...

— Et blessé surtout, ajouté-je

Dans un mouvement brusque bien maîtrisé, je colle la trousse de secours dans le ventre de mon frère qui se plie légèrement avec la force.

— Quoi ?

Il ne comprend pas ce que je veux dire. Je hoche la tête et retire la serviette qui protégeait la plaie.

— Qu'est-ce qui lui est arrivé ? s'inquiète Dae.

— Il s'est coincé dans des fils barbelés.

— Oh le pauvre, souffle-t-il en lui faisant à nouveau des caresses.

Je lève les yeux au ciel. Le corps du félin se remet alors à frissonner. Je le rapproche au maximum de mon torse tout en laissant un accès suffisant à la patte meurtrie.

— Bon, tu désinfectes sa blessure ou on attend qu'il meure d'une gangrène dans mes bras ? grogné-je.

Dae ne semble pas remarquer mon ton sec et s'empresse d'étaler le contenu de la trousse sur son lit, tremblant. Il est inquiet. Cela se voit à ses gestes incertains, à ses sourcils froncés et à cette manie qu'il a de se mordiller l'intérieur de la lèvre. Quand il fait tomber pour la troisième fois la bouteille d'alcool en essayant de la déboucher, je décide d'échanger nos rôles.

— Prends-le, exigé-je, en lui tendant notre patient.

— Tu... Tu... Mais... Je...

— Prends-le, bon sang.

Lentement, il s'empare de l'animal et le plaque contre lui, sans se soucier de tacher ou non son tee-shirt blanc.

— Comme ça ?

La tête penchée vers le félin, il semble apeuré.

— Parfait.

J'en profite pour verser du désinfectant sur un coton.

— Attention, tiens-le bien parce que ça ne va peut-être pas être agréable pour lui.

Le chat pousse un petit miaulement, comme s'il savait ce qui l'attendait. Lorsque Dae me donne l'impression d'être apte à garder l'animal, je m'exécute.

— Oh merde ! Il me plante ses griffes, ce con ! râle-t-il sans pour autant lâcher ledit « con ».

Je ricane en voyant la grimace de Dae et reporte mon attention sur le soin. J'essaie de m'appliquer tout en me dépêchant pour que le chat ne souffre pas trop longtemps. J'utilise une tonne de coton et ce qui me semble être des litres de désinfectant.

— J'ai presque fini... Je...

Je jette la compresse souillée à même le sol de la chambre de mon frère sans la moindre honte. Mes mains farfouillent dans les affaires encore étalées sur le lit.

— Je vais juste lui bander la patte pour la nuit.

— Tu vas l'emmener chez le vétérinaire ? se renseigne-t-il en m'aidant à mettre le pansement.

— Oui, demain matin. Il a peut-être besoin de suture ou de vrais soins...

Il baisse les yeux sur l'animal qui commence étonnement à ronronner. Il semble à son aise. Même le chat a adopté Dae en moins de dix secondes, ça en devient désespérant.

— Mais... il n'a rien de grave, hein ?

Sa voix est basse, enfantine. Je l'observe un instant jouer avec les poils du minou, un fin sourire aux lèvres. Le petit que je protégeais à notre arrivée en Angleterre est là, devant moi. Ça me fait un choc.

— Je ne pense pas, murmuré-je, un peu perturbé.

— Tu crois qu'on peut le garder ?

Il relève son regard plein d'espoir sur moi et je le revois me demander de lui ramener de la limonade rose que nos parents nous refusaient ou alors me supplier de le pousser à la balançoire du square où nous habitions à l'époque. Il gagnait à chaque fois. Et ça n'a pas changé...

— S'il n'appartient à personne...

Je ferme les yeux un court instant. Même si je sais que tout ça va me retomber dessus, que je serai celui qui devra tout acheter, le nourrir et passer derrière lui s'il fait une bêtise, j'abdique :

— Bien sûr...

— Chouette !

Un immense sourire barre son visage, faisant disparaître ses iris. Mon cœur fond devant le bonheur de mon frère.

— On peut lui donner un nom alors, s'enthousiasme-t-il.

— Il n'est pas encore à nous, Dae.

— Oui, mais... s'il te plaît !

Je secoue la tête, désabusé et il sait qu'il a remporté une autre manche avec facilité.

— Minou ! Non... Trop banal. Pompon... Sushi... Non ! Calico !

Je détaille le chat dont le pelage possède en effet trois couleurs. Calico est donc plutôt approprié, mais je mets mon veto pour celui-ci.

— Ce n'est pas un nom, ça, lui fis-je remarquer en reprenant mon bandage.

— Pas faux, alors... Euh... Boulette ?

— Boulette ? T'as toujours été aussi nul ou c'est juste pour cette occasion ? me moqué-je.

Il fait la moue et ça me fait sourire.

— Trouve quelque chose, toi !

Je reste interdit quelques secondes, surpris qu'il me demande mon avis. Même si je suis à peu près sûr qu'il va refuser ma proposition, quel que soit le mot que je lui dirai, je réfléchis sérieusement. Alors que j'entoure la patte, je repense au gamin qui a découvert le chat, à son chien Crumpet, à notre début de conversation surréaliste... Et ça fait tilt !

— Pancake, affirmé-je, avant de déchirer un bout de scotch avec les dents.

Je le colle pour faire tenir le tissu et me redresse satisfait de moi.

— Hein ?

Dae semble indécis, cherchant à déterminer si je suis sérieux ou non, mais je ne lâche pas. Il doit s'appeler Pancake, ça serait comme un clin d'œil à celui qui l'a réellement sauvé.

— Ça va très bien avec les crumpets, tu ne trouves pas ?

— Mais quel est le rapport entre ce chat et la bouffe ?

Un sourire en coin, je hausse les épaules pour seule réponse. Je ne désire pas lui raconter ma rencontre de cette nuit. J'ai envie de conserver le souvenir de cet apprenti serial killer pour moi...

— C'est pourri, marmonne-t-il.

— Moins que Boulette ou Calico ! Et puis, c'est son nom. J'ai décidé.

— Mais moi, je...

— C'est ma seule condition pour qu'on le garde à l'appartement, le coupé-je.

La bouche grande ouverte, Dae me fixe longuement, étonné que je lui dise ça.

— Tu es sûr que...

— Certain à cent pour cent ! Maintenant je vais aller lui donner à manger et à boire.

Je me lève, attrapant mes habits sales au passage.

— Hey ! m'interpelle Dae au moment où je vais passer sa porte.

Je me tourne un peu vers lui, tout en réfléchissant à ce que je vais bien pouvoir trouver pour le nourrir.

— Merci.

Mes sourcils se froncent.

— De quoi ?

— D'accepter de le garder.

— Oh... Je savais à quoi m'attendre en l'emmenant ici de toute façon.

Je reprends ma marche et l'entends dire :

— Merci quand même...

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