désir.

13 Novembre 2034.

ÉVIDENCE.

Je remonte, d'un geste maîtrisé depuis des années, mes lunettes. Tout en mordillant mon crayon à papier, je cherche une nouvelle définition dans mon mots fléchés.

Exemple de nudité...

Je soupire. VER. Cette grille m'ennuie.

Il fait un triomphe à Paris...

— Trop simple, marmonné-je, désabusé.

ARC.

Les bruits d'Ezra en train de jouer avec nos animaux me font sourire. Son rire retentit même à quelques moments, me déconcentrant.

Précipitation pour agir...

Je n'ai aucun doute pour avoir assez vu Dae se comporter ainsi toute sa vie. Je lève les yeux de mon carnet pour les poser sur Blue. Peut-être est-ce moi aussi parce qu'après tout, je ne le connais que depuis un peu plus d'un mois. C'est peu et pourtant, il y a quatre jours, je l'ai embrassé. J'ai sauté le pas. Moi. Alors que je mettais toujours du temps à tergiverser, réfléchir à toutes mes responsabilités, à tout ce que mon action allait impacter. Cette fois, j'avais cessé de penser aux autres, pour me concentrer sur Ezra et moi. Parce qu'avec lui, j'ai constamment...

HÂTE.

Hâte de le retrouver dès qu'il part. Hâte de l'embrasser. Hâte de le voir sourire. Hâte de lui parler. Hâte de tout. Il me donne envie de tout, mais surtout d'être heureux et vivant. C'est la première fois de ma vie que j'ai cette sensation au fond de moi. Celle d'être au bon endroit avec la bonne personne. Cette réalisation soudaine me surprend.

Je referme mon carnet, coinçant mon crayon dedans puis le lance à côté de moi. Ma tempe s'appuie sur mon poing serré alors que mon coude repose sur le dossier du canapé sur lequel je suis assis depuis de longues minutes. J'observe Blue pendant une éternité sans qu'il ne le remarque, tellement son esprit est occupé par les jeux.

Il a ce regard d'une douceur infinie qui inonde mon cœur, le remplissant de sentiments en pagaille. Qui me donne envie de le prendre dans mes bras, de l'embrasser, de le chérir comme il le mérite. Une chaleur inconnue prend naissance dans mon ventre, s'intensifie et irradie lentement tout mon corps. Elle est très agréable, mais ignorant ce qu'elle signifie, elle m'effraie un peu.

— Tu es libre dimanche ?

Je n'ai pas réfléchi avant de parler. Ma bouche a été plus rapide que mon cerveau. Ezra relève les yeux vers moi, se souvenant de ma présence. Cependant, je ne lui en tiens pas rigueur, il oublie tout le reste dès qu'il est avec Crumpet et Pancake.

— Je sais pas trop, souffle-t-il en haussant les épaules. Je travaille toute la nuit, alors je vais sûrement dormir une bonne partie de la journée.

— Tu pourrais dormir là, lui proposé-je.

Sa main qui s'apprêtait à caresser Pancake se fige dans les airs tandis qu'il m'observe. Il semble chercher une explication à mes mots alors que c'est simple. Je ne bosse jamais le dimanche et je voudrais juste être avec lui parce que je crois que je ne peux plus me passer de lui.

— Je ne sais pas, répète-t-il. Ça serait bizarre de venir chez toi juste pour dormir, non ?

— Je ne trouve pas... J'aimerais que tu sois là.

Longuement, dans un lourd silence, son regard glisse sur mon visage, sur chacun de mes traits, me mettant un peu mal à l'aise. J'ignore ce qu'il cherche. Mon cœur s'emballe avant qu'Ezra ne dise :

— Je verrai alors.

Le fait qu'il n'ait pas refusé me rassure, mais je suis frustré de ne pas être certain d'être avec lui dimanche. Je souhaiterais le presser, le pousser à passer du temps avec moi, l'obliger à me promettre de me retrouver. La folie s'empare de moi. Ni plus ni moins pour oser penser de telles choses. Je ferme un instant les paupières pour tenter de me calmer. J'expire un grand coup.

— Tu habites où, au fait ? changé-je de conversation, voulant tout savoir de lui.

Il se redresse et derrière mes lunettes, je ne peux m'empêcher de le dévorer du regard. Pour la première fois depuis que je le connais, il a abandonné ses éternels hoodies et porte une large chemise blanche qui laisse ses clavicules visibles.

Je me mords inconsciemment la lèvre inférieure tandis qu'il me rejoint sur le canapé, s'installant à quelques centimètres de moi. Ses clavicules semblent alors me narguer, me supplier de les caresser, les lécher, les mordiller, les sucer.

— À l'hôtel.

Je suis comme hypnotisé. Ma main quitte sa place. Mon bras toujours accoudé, mon index glisse dans ses mèches. Mon regard suit le mouvement. Ses cheveux bleus sont ondulés aujourd'hui et partent un peu dans tous les sens. Mon doigt câline sa joue avant d'atteindre sa lèvre. Sa douceur me procure quelques frissons dans la nuque. Il déglutit.

Puis finalement, je prends conscience qu'il vient de me répondre. Mes paupières papillonnent en revenant à la réalité du moment. Tout en posant ma main sur son bras, je l'interroge, incrédule :

— Tu habites là où tu bosses ?

Il se contente de hocher la tête tandis que Pancake saute lestement sur ses genoux. Il s'intéresse au chat, lui parle même et je détaille son visage en essayant de comprendre ce qu'il m'a appris avec un naturel déconcertant. Ezra vit dans un hôtel. Pour une raison qui me dépasse, cependant, je n'arrive pas à enregistrer cette information et passer à autre chose. Les sourcils froncés, je poursuis mes questions :

— Tu as une chambre là-bas ?

— Oui.

Comment cela peut-il être possible ? Je sais que son patron n'est pas une mauvaise personne et qu'il l'a beaucoup aidé. Encore aujourd'hui. Mais comment un propriétaire peut laisser un de ses employés occuper une chambre au quotidien ?

— Enfin, non, se corrige-t-il, soudainement. J'en prends une vide qui ne gêne personne. Ça ne dérange pas Troy.

— Et si l'hôtel est plein ?

— Je travaille de nuit, je te rappelle alors je dors la journée.

Il semble amusé, presque heureux. Mon cœur, lui, se serre de plus en plus à l'écoute de ses mots.

— Tu ne bosses pas tout le temps, Blue, lui fis-je remarquer.

Il hausse les épaules et lève les doigts en l'air pour jouer avec Pancake. Le voir agir ainsi m'agace. Le voir si peu affecté par le fait de ne pas avoir de chez lui me révolte presque. J'attrape sa main et il porte enfin son attention sur moi, les yeux un peu ouverts sous la surprise.

— C'est quoi cette histoire ?

— Quoi ?

— Tu... Tu vis dans un hôtel, dis-je en ayant l'impression d'être obligé de lui rappeler sa situation. Tu changes de chambre tous les jours.

Mon regard passe alors de mon carnet de mots fléchés entre nous sur la pile de Bluray que nous nous faisons un plaisir de faire diminuer au fil de notre visionnage. Glisse sur la porte de la chambre de mon frère. Se pose sur le comptoir de la cuisine où se trouve un gâteau que j'ai fait ce matin. Pour finir sur mes chaussons.

Il revient finalement sur Ezra qui continue de m'observer, ne comprenant pas mon comportement. C'est stupide peut-être. Mais tous ces éléments forment ma vie, mon quotidien, mes habitudes. Mes repères. Ezra n'a pas tout ça. Et que fait-il de ses objets personnels ? Il est obligé de les transporter d'une pièce à l'autre à chaque fois ?

— Pour... Et tes affaires ?

— Je...

Cette fois, il baisse les yeux pour éviter les miens.

— Je n'ai pas grand-chose, tu sais. J'ai quelques habits, c'est tout. Ce qui compte le plus, c'est Crumpet et... la photo de mon frère. Les objets n'ont pas d'importance pour moi.

Instinctivement, j'amène sa main que je tiens toujours jusqu'à mes lèvres et l'embrasse avec toute la tendresse que j'ai. Ce garçon, au-delà de mes sentiments pour lui, me touche réellement.

— Tu devrais pouvoir avoir un endroit où tu te sens en sécurité, lui soufflé-je, la gorge serrée par l'émotion.

Il se laisse glisser sur le canapé pour se rapprocher de moi. Ses doigts dégagent une mèche qui tombait devant mon regard avant de frôler la monture de mes lunettes. Ils me procurent quelques frissons le long de la colonne vertébrale quand ils effleurent les petits cheveux de ma nuque. Ezra dépose un baiser sur le bout de mon nez alors que sa main se cale puissamment dans mon cou.

Nous ne nous quittons pas des yeux. Le fragile et innocent Blue est parti. Le jeune homme autoritaire et sûr de lui que j'ai pu apercevoir le jour de notre rencontre est là, à quelques centimètres de moi. Il se mordille la lèvre en me dévorant du regard. Une nouvelle émotion passe dedans, me faisant déglutir dans la seconde. Je ne l'ai jamais vue jusqu'à présent, je la découvre et l'apprécie déjà. Le désir.

— Je me sens en sécurité avec toi, chuchote-t-il.

Alors qu'il se redresse un peu sur ses genoux, son visage se rapproche de moi, accélérant mon rythme cardiaque. Ma gorge s'assèche dès que le souffle d'Ezra s'échoue pour la première fois sur ma peau, me promettant une suite plus qu'agréable. Son sourire en coin est fugace, mais bien visible juste avant qu'il m'embrasse.

Nous ne nous sommes jamais embrassés ainsi. Bien que notre premier baiser date d'il y a seulement quatre jours, nous en avons échangé quelques-uns tout de même – peut-être pas autant que je l'aurais voulu, c'est vrai. Mais aucun ne ressemblait à celui-ci. Je me demande si j'ai déjà partagé un tel baiser avec qui que ce soit.

C'est passionnel, possessif et incroyablement excitant. Je ne me serais jamais attendu à ça avec Ezra, n'y ayant pas réfléchi. Cependant, maintenant qu'il me tient le cou et bouge ses lèvres sur les miennes, son changement de comportement me plaît beaucoup. Je ne veux surtout pas que nous nous arrêtions.

Alors que jusque-là, j'étais resté figé par la surprise, mon cerveau reprend vie. Mes mains viennent encadrer son visage, lui intimant de pencher la tête sur le côté m'offrant ainsi un meilleur angle pour approfondir notre baiser. Quand nos langues entrent en contact, Ezra échappe un gémissement qui me fait révulser les yeux de plaisir, sous mes paupières.

L'excitation monte en moi et je ne réussis pas à comprendre comment nous en sommes arrivés là. À tout ça. À ce moment exact où Blue passe une jambe par-dessus les miennes pour s'asseoir à califourchon sur moi. Ça n'a aucun sens, mais je m'en contrefous complètement.

Les ongles d'Ezra s'enfoncent légèrement dans mes épaules. Mes mains agrippent finalement ses hanches. Bien malgré moi, elles se sont glissées sous sa chemise trois fois trop grande pour lui, découvrant la chaleur et la douceur de la peau de Blue. Il me fait perdre la tête.

Nous continuons à nous embrasser, sans penser au reste. Ni aux animaux, ni à l'endroit où nous nous trouvons, ni même à qui nous sommes. Nous profitons. Ezra croise ses bras derrière moi, rapprochant son corps du mien. Je remonte sur ses flancs, je le sens frissonner à mon toucher. Je ne peux empêcher un sourire de se glisser dans notre échange, heureux de sa réaction.

Des émotions tourbillonnent en moi. Le désir, la passion, l'impatience, la tendresse. Mais au-delà de ça, l'amour. Je suis confus. Bien que je connaisse peu Ezra voire presque pas, j'ai la sensation que personne d'autre ne m'a jamais fait ressentir tout ça à la fois. Que je n'ai jamais autant aimé. Ça me fait soudain peur.

C'est pour cela que je mets fin à notre baiser et me recule un peu. J'ai besoin de calmer le jeu, de le voir, de comprendre ce qu'il provoque en moi. Les joues d'Ezra sont toutes rouges et doivent refléter à merveille l'état des miennes. Et son doux sourire. Ses mains prennent appui sur mon torse et ses yeux se baissent à cause de la gêne. Il est redevenu mon Blue.

— Je suis...

Ma voix se perd quand des rires résonnent de l'autre côté de la porte de l'appartement qui finit par s'ouvrir. Nos têtes font un brusque quart de tour pour voir mon frère et un inconnu entrer. Au lieu de reprendre une position plus classique et moins compromettante, nous restons là à les regarder retirer leurs chaussures en continuant de discuter d'un événement qui a eu lieu à leur école :

— C'était juste inconscient de faire ça, déclare le blond. Surtout avec ce prof !

— Tu m'étonnes, confirme Dae en accrochant sa veste à la patère. Il va se faire virer, c'est sûr.

Un petit silence suit avant qu'ils explosent à nouveau de rire. Dae est même obligé de s'appuyer au mur tout en se tenant le ventre. Avec Ezra, nous échangeons un regard d'incrédulité.

— Mais c'était tellement drôle, affirme Dae entre deux éclats. Comment il a...

— Trop !

Mon frère relève les yeux et son attention tombe sur nous. Son hilarité cesse dans la seconde. J'ignore si c'est à cause de notre présence ou alors notre position peu conventionnelle. Il est vrai que nous pourrions bouger, nous rasseoir correctement, mais je n'ai pas envie de m'éloigner de Blue dans l'immédiat. J'aime bien le sentir sous mes doigts, avoir sa chaleur près de moi.

— Bonjour, dis-je.

En m'entendant, l'inconnu se fige, mais à peine quelques secondes plus tard, un sourire s'épanouit sur son visage hâlé, mis en valeur par la blondeur de sa chevelure. Avec une facilité naturelle qui m'impressionne, il traverse le salon en nous saluant :

— Bonjour, je suis Chad !

Il tend la main. Je suis le premier à réagir, Ezra s'étant rapproché un peu plus de moi par timidité et la lui serre.

— Sun. Le colocataire !

Ledit Chad semble surpris par mes mots. Je ne sais pas ce qui m'a poussé à dire ça, mais je crois que je suis fier de moi. Dae et moi ne sommes plus frères depuis longtemps, j'en prends conscience maintenant, c'est tout. Quoique... Je suis peut-être plus son majordome que son colocataire.

Quand le blond se recule, je peux apercevoir Dae, debout devant le comptoir de la cuisine. La bouche entrouverte, il me fixe, déboussolé. Mon sourcil se lève alors que mon sourire devient plus sincère.

— Et Ezra, mon petit-ami.

Une douche glacée aurait eu un effet identique sur Dae. Tandis que Blue se contente d'un hochement de tête pour dire bonjour, Dae et moi semblons nous être lancés dans un duel de regard. Le premier qui le détournera perdra.

— Enchanté ! Moi, je suis dans la même classe de danse classique que Dae.

Le silence s'élève, parasite l'atmosphère agréable que nous avions avant leur arrivée. Ezra se tortille au-dessus de moi.

— S'il te plaît, Sunny, murmure-t-il.

J'entends sa gêne et peut-être un peu la panique dans son ton. Même si ça m'embête d'abandonner, je ne peux pas faire autrement que de faire cesser ce stupide jeu pour m'intéresser à Blue dont les joues ont une couleur identique à celle des écrevisses cuites. Je passe une main dans ses cheveux pour le rassurer.

— On va dans ma chambre, annonce finalement Dae en partant.

Chad le suit, mais arrivé à la porte, il se tourne vers nous et s'exclame, joyeusement :

— Vraiment cool tes cheveux, Ezra !

Il disparaît dans la pièce et Blue sourit, touché par ce compliment. Maintenant que nous ne sommes plus seuls ici, nous ne pouvons pas continuer ce que nous faisions.

— Tu veux faire quoi ?

Je lui embrasse la tempe.

— Pourquoi tu as dit que tu étais son colocataire ?

Je hausse les épaules. Ça a été instinctif, mais je ne regrette toujours pas. J'attrape le menton de Blue entre mes doigts et lui annonce :

— Parce que c'est vrai.

Malgré la légère étreinte, il secoue la tête en fronçant les sourcils.

— C'est ton frère, Sun. Tu ne devrais pas dire ça. Vous êtes importants l'un pour l'autre.

— Je sais, Blue. Mais c'est compliqué entre lui et moi.

— Essaie de rendre les choses plus faciles alors, réplique-t-il du tac au tac. On a toujours besoin de son frère quoiqu'on en pense. C'est sacré.

A son intonation, » il ne fait pas seulement référence à Dae et moi. Qu'il y a bien plus derrière ses mots. Son propre frère. J'ouvre la bouche pour l'interroger, en savoir plus, mais il dépose un baiser sur ma joue comme pour mettre fin à notre discussion.

— On fait un de tes trucs tous les deux ?

Il pointe mon carnet que nous avons un peu malmené plus tôt. Son sourire m'incite à ne pas insister. Pas tout de suite du moins. Nous avons tout notre temps pour nous découvrir, nous comprendre à la perfection.

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