aspirateur.
17 Novembre 2034.
Un frisson remonte le long de mon échine. La chaleur de l'eau a disparu maintenant que je suis sorti de la douche. J'ébouriffe mes cheveux en relevant la tête. Mon regard se pose sur mon reflet dans le miroir au-dessus du lavabo. Pendant de longues secondes, je m'observe, passant de mes larges épaules à mon torse glabre pour arriver à mon ventre peut-être un peu flasque.
Je prends conscience de ma minceur. Je l'ai toujours été, peu importe mon alimentation, mais ça ne m'avait jamais sauté aux yeux comme à cet instant. Le physique, que ce soit le mien ou celui des autres, ne m'avait jamais intéressé. Je peux apprécier un visage ou une partie d'un corps, mais ça n'a jamais été essentiel.
Mon reflet me fait grimacer tout en passant les mains sur ma peau comme si cela allait changer quelque chose. Mais rien n'y fait, je n'aime pas ce que je vois dans la glace. Mon esprit ne cesse de tourner en rond en se répétant que je ne pourrais jamais me déshabiller devant Ezra. Je ne lui plairai jamais ainsi... Avant que l'angoisse s'empare de moi, mes paupières se ferment presque d'elles-mêmes et mon cerveau tente de se reprendre. Avoir des complexes et des doutes sur soi-même, c'est normal, mais il ne faut pas que je tombe dans l'exagération. Il est très clair que si Ezra me le demandait, je me mettrais à nu pour lui. Au sens littéral comme au sens figuré. Peu importe à quoi je ressemble ou ma confiance en moi.
Un sourire fleurit sur mes lèvres alors que mes yeux s'ouvrent. C'est la première fois de ma vie que j'ai cette impression invincibilité et de totale sécurité avec quelqu'un. Je n'ai jamais ressenti ça, pas même avec ma propre famille. Ça fait peur. Ça m'effraie un peu de me dire que je pourrais me donner corps et âme pour cet homme qui est presque un inconnu, mais c'est ainsi. Ça ne s'explique pas. C'est peut-être l'attirance, la nouveauté, l'insouciance ou alors l'amour...
Je sursaute quand le bruit de l'aspirateur envahit tout l'appartement. Je tourne sur moi-même, stupidement, cherchant d'où il peut provenir. Jamais, je ne l'entends en dehors des fois où je le passe. Je fronce les sourcils et même si je ne porte toujours que ma serviette autour de la taille, je sors de la salle de bain. Aussitôt, l'image d'un Dae, dos à moi, légèrement courbé, s'impose à moi.
Ma bouche s'entrouvre sous la surprise. J'avais bien remarqué que depuis quelques semaines, l'appartement était moins poussiéreux certains soirs, mais j'avais du mal à me faire à l'idée que cela était dû à Dae. C'est la première fois de toute ma vie que je le vois faire le ménage et je n'en reviens pas. Je m'accote au mur, les bras croisés devant moi et l'observe faire.
C'est peut-être bête à dire, mais je suis fier de lui. Il passe seulement l'aspirateur. Ce n'est pas d'une complexité incroyable, tout le monde sait le faire, mais... Il le fait ! Même au restaurant, il ne réalise jamais le ménage. Il aide assez régulièrement au service, en plus les clients les aiment bien, lui et son sourire avenant, mais il ne reste jamais jusqu'au moment où il faut tout ranger.
Je ricane face à mes pensées. Mon regard se baisse un quart de seconde, juste le temps pour que Dae se tourne vers moi et soit surpris en me voyant. Il éteint l'appareil puis retire ses écouteurs tout en se mordillant la lèvre inférieure, mal à l'aise. Je penche la tête pour l'observer, le visage neutre. Je ne veux pas qu'il imagine que je me moque si je lui souris.
— Je croyais que tu étais parti au resto, souffle-t-il finalement.
— J'ai échangé mes horaires avec Ewan, il a besoin de finir plus tôt ce soir.
Il hoche la tête même si cette information ne l'intéresse pas du tout, ignorant qui est Ewan.
— Tu comptes me regarder longtemps ? m'interroge-t-il, un peu sèchement.
— Non, non...
Je fais demi-tour pour rejoindre la salle de bain et enfin m'habiller quand l'idée qui me trotte à l'esprit depuis deux jours explose dans mon cerveau. Tous les éléments me poussent à en parler maintenant. Nous sommes tous les deux à l'appartement en même temps, Dae semble être d'assez bonne humeur et j'ai un soupçon de courage en moi.
— Dae ! l'interpellé-je en faisant quelques pas dans sa direction pour me rapprocher de lui.
Alors qu'il s'apprêtait à rallumer l'aspirateur, il relève ses yeux vers moi, les sourcils froncés. Un de ses écouteurs pend dans le vide tandis que l'autre a repris sa place initiale.
— Je... J'ai un truc à te demander. Euh...
Cette fois, il lâche complètement le tuyau qui tombe au sol. Je me passe une main dans les cheveux et en réalisant qu'ils sont toujours mouillés, je grimace.
— Ezra, tu vois qui...
— Ouais, ton mec, me coupe-t-il.
Je hoche la tête avant de déglutir. Après ma déclaration devant son ami, Chad, nous n'avons pas parlé du fait que je sortais avec quelqu'un, un homme de surcroît. Bien entendu, je me doute qu'il ne va pas faire son homophobe, il serait mal placé, mais nous aurions peut-être dû en discuter. Je n'en sais rien de ce qui se fait ou non entre frères.
— On n'est pas ensemble depuis...
— Tu fais ce que tu veux, Sun. Ça me regarde pas.
Je hausse les épaules, pas certain de ce qu'il dit.
— Un peu quand même. Il va être souvent ici, alors j'imagine que ça te regarde d'une certaine façon, lui expliqué-je le fond de ma pensée.
Le silence entre nous est seulement interrompu par les ronronnements de Pancake, installé sur le rebord de la fenêtre.
— Je veux juste que tout se passe pour le mieux, tenté-je. Vous...
— Il a l'air cool...
Je ne peux empêcher un sourire de s'afficher à cette remarque. Ce n'est pas un compliment de fou, mais il a dit quelque chose de gentil, alors je prends avec plaisir. Son regard me fuit, il se pose partout sauf sur moi. Ma tenue ne doit pas non plus l'aider.
— D'ailleurs... J'aimerais savoir un truc, me lancé-je enfin.
— Quoi ? s'exclame-t-il, en plongeant finalement ses yeux dans les miens.
— Ezra... a une vie compliquée...
J'ignore comment expliquer les choses, je ne suis pas sûr qu'Ezra apprécie que j'en parle à mon frère, mais si je veux aller jusqu'au bout de mon idée, je n'ai pas le choix.
— Il n'a pas vraiment de toit fixe... Il dort toujours à l'abri... a priori...
J'essaie d'éloigner la pensée de mon Blue obligé de vivre dehors parce qu'il n'y a plus de chambres vides à l'hôtel. Alors que je m'attendais à ce que Dae me réponde qu'il s'en fiche, il ne bouge pas et je vois même un masque de tristesse passer furtivement sur son visage.
— Alors je me demandais si ça te dérangerait qu'il dorme ici de temps en temps, qu'il...
— Qu'il emménage là ?
La proposition de Dae me stoppe net. Je n'avais pas pensé à ça, ne connaissant pas Ezra depuis assez longtemps pour qu'elle me vienne naturellement à l'esprit. Mais maintenant que j'entends ces mots dans la bouche de mon frère, j'aime l'idée de partager mon lit, ma chambre, ma cuisine avec Ezra, tous les jours de l'année. Mon sourire revient à la charge, mais je le dissimule rapidement.
— Je ne pensais pas à ça. Juste... à ce qu'il ait un endroit...
Tout en réfléchissant, ses dents maltraitent à nouveau sa lèvre. Il tord ses doigts dans tous les sens et je me demande même comment il fait pour ne pas avoir mal. Il a une petite bouille d'enfant qui, pour une raison obscure, me donne envie de le prendre dans mes bras.
— Tant qu'il me laisse de l'eau chaude et une part de tes plats, c'est okay pour moi, finit-il par déclarer. Il peut emménager ici.
— De mes plats ? répété-je, abasourdi par la facilité avec laquelle j'ai son accord.
Il se baisse et ramasse le tuyau. Quand il se redresse, il me répond :
— On dirait pas comme ça, mais il a un bon coup de fourchette, ton mec.
De sa main libre, il ramène ses cheveux en arrière. Il poursuit d'une voix plus douce :
— Mais ça s'explique peut-être avec le fait qu'il n'ait pas de toit fixe...
De la pointe du pied, il rallume l'aspirateur et reprend là où il a arrêté quelques minutes plus tôt. Je reste immobile au milieu du salon cependant, abasourdi. Depuis qu'Ezra m'a explicité succinctement sa situation, j'avais cette envie de lui fournir un endroit où il pourrait se réfugier les nuits où son hôtel est plein, mais j'avais un peu peur de la réaction de Dae à cette demande, nos rapports n'étant clairement pas au beau fixe. Mais a priori, je m'en faisais pour rien.
— Merci, crié-je pour être entendu au-dessus du vacarme.
Il fait un geste de lamain pour me signifier qu'il se fiche de mes remerciements. Il ne se rendsûrement pas compte du bonheur qu'il vient de m'offrir. Entre ça et le ménage,j'ai l'impression qu'il fait des efforts pour que ça se passe mieux entre nouset ça me réchauffe le cœur. Cette fois, je laisse mon sourire s'épanouir sanssouci alors que je retourne dans la salle de bain. Notre vie londonienne n'estpeut-être pas vouée au désastre...
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