anniversaire.
04 Janvier 2034.
La liste des choses que je dois faire demain s'allonge au fil des secondes. Appeler notre fournisseur de produits d'entretien pour modifier notre contrat. Passer une commande de viande et de Soju. M'occuper de ce fichu frigo qui n'en fait qu'à sa tête. Prévoir le nettoyage des plafonds... Puis accessoirement, ne pas oublier de cuisiner le midi et le soir pour nos clients.
— Il faut racheter des boîtes pour les livraisons aussi...
J'enfonce les mains dans les poches de mon pantalon tout en avançant dans la rue de la maison de mes parents. Les lampadaires éclairent à peine le chemin ou alors c'est la fatigue.
— Sun ! Sun !
Sa voix me sort de mes pensées. Je m'arrête et tourne pour faire face à la jeune fille qui court vers moi, les cheveux noirs volant autour de son visage. Je fronce les sourcils, surpris et légèrement inquiet de la trouver là. Certes, elle habite dans le centre de Barnard Castle tout comme moi, mais j'ignore ce qu'elle peut bien faire ici en pleine nuit.
— Sun, dit-elle une dernière fois en se pliant en deux devant moi pour reprendre son souffle.
— Adele ? Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
Elle se redresse, la tête haute. Pendant de longues secondes, nous nous observons, nous détaillons comme si c'était la première fois que nous nous croisions. Pourtant cela fait plus de deux ans que nous nous connaissons. Que ses cheveux noirs au carré et ses yeux d'un bleu glacial n'ont plus de secret pour moi ou que son cynisme n'a plus d'effet sur moi.
Mon regard glisse le long de son corps et je remarque alors qu'elle n'est pas habillée comme d'habitude. Sous son manteau, elle semble porter son pyjama dont le pantalon est entré dans des bottes. Un petit rictus apparaît sur mes lèvres, ce qui me vaut un coup dans le ventre.
— Ne te moque pas, me réprimande-t-elle.
Faussement innocent, je lève les bras en l'air.
— Je ne me permettrais pas.
— C'est ça, ouais...
Elle se met à faire la moue, sa bouche devenant boudeuse et comme chaque fois, je craque... Je pose les mains sur ses épaules et souris, attendri cette fois.
— Fais pas la tête ! Dis-moi plutôt ce que tu fais à me courir après dans les rues en pyjama.
Elle baisse le regard, gênée, et cela ne lui ressemble pas. Même si elle n'est pas à son avantage vestimentairement parlant, Adele n'est pas le genre de filles à se soucier de ça. Elle a un fort tempérament, n'a peur et honte de rien. Elle assume tout. Alors la voir ainsi est déroutant pour moi. Mes pouces commencent malgré moi à la caresser.
— Adele...
— Jeff m'a dit que c'était ton...
— Quel est le rapport ? la coupé-je, sèchement.
Je fais un pas en arrière, laissant mes bras retomber. Je renifle discrètement, cherchant une manière de garder mon calme. Si je n'en parle à personne, c'est pour une bonne raison alors pourquoi Jeff le répète à tout le monde ?
— Je voulais te le souhaiter en personne.
— Oh... Il ne fallait pas te donner cette peine, lui affirmé-je.
— Si ! Comment j'aurais pu t'engueuler sinon ?
Sur ces mots, elle m'assène un nouveau coup dans le ventre avec tellement de force que je me penche un peu en avant, tout en posant une main par-dessus ma veste.
— Tu as aussi l'intention de me perforer l'estomac ce soir ? lui demandé-je, mi-figue, mi-raisin.
Tout en se mordillant la lèvre, elle se rapproche de moi, doucement, mais elle fait tout pour ne pas rencontrer mon regard. Quand elle n'est plus qu'à quelques centimètres de moi, je fais abstraction du malaise qui s'empare de moi d'être si proche d'elle pour l'écouter :
— Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?
Je hausse les épaules, ne désirant pas parler de ça avec elle.
— Sun, s'il te plaît ! Je pensais que j'étais ta meilleure amie. C'est bien ce que tu m'as dit au Réveillon, non ?
— Oui et...
— Alors tu m'as menti ? s'exclame-t-elle, les sourcils froncés.
— Pas du tout !
Je suis choqué qu'elle puisse croire ça.
— Si c'était le cas, tu me l'aurais dit. C'est l'une des premières choses qu'on dit aux personnes à qui l'on tient...
— Et bien, je ne suis pas tout le monde, on dirait, rétorqué-je, agacé.
— Mais Sun...
Je lève les yeux au ciel. Il faut que je me reprenne. Tout de suite. Adele n'y est pour rien dans toute cette histoire. J'inspire profondément et reporte mon attention sur elle.
— Tu es réellement ma meilleure amie, je tiens beaucoup à toi.
Ses joues rougissent fortement à l'écoute de mes mots.
— Ça n'a rien à voir avec toi si je ne parle pas de ça.
Je souffle, vaincu. La tristesse que je peux lire dans ses yeux me brise le cœur. Je ne mens pas quand j'affirme que je tiens à elle. M'éloignant d'elle, je vais m'asseoir sur un muret tout près. Mes pieds tapotent le sol en rythme en attendant qu'elle s'installe à mes côtés.
— Je n'aime pas spécialement ce jour.
— Pourquoi ? s'intéresse-t-elle.
Je me racle la gorge, mal à l'aise. Elle patiente le temps que je trouve un mensonge qui fasse l'affaire à défaut d'avoir les bons mots. Mais je crois que je n'ai pas ça en stock. Je ne sais pas mentir de toute manière.
— Je n'ai pas de très bons souvenirs avec ce jour, avoué-je en partie la vérité.
— Donc tu ne le fêtes plus à cause de ça ?
Je hoche la tête pour lui faire comprendre que je ne lui en dirai pas plus. Elle attrape ma main et la serre.
— On pourrait changer ça, non ?
— Changer ça ? répété-je, ne saisissant pas ce qu'elle sous-entend. Et comment ?
— On pourrait en faire de nouveaux...
Je ricane, à la fois amusé et curieux par sa proposition. Nous restons silencieux quelques secondes, durant lesquelles je tente d'imaginer ce qui pourrait me faire oublier le pire moment de ma vie. Mais rien ne me semble au niveau pour un tel miracle.
— Tu as quoi en tête ?
— On pourrait faire une virée à Leeds pour un ciné et un dîner. Tous les deux.
— Adele...
— Je sais. Mais tes parents n'ont qu'à s'occuper du resto sans toi juste un soir.
Je passe une main dans les cheveux, gêné. Bien sûr qu'ils le pourraient. Ils le feraient si je leur demandais...
— Ou ton frère pourrait te remplacer, non ?
— Donc tu veux qu'il mette le feu au bâtiment, c'est ça ?
Nous rions à ma remarque, la prenant comme une plaisanterie, mais nous savons qu'il y a une grande part de vérité dans ce que je dis.
— Tu le protèges trop, Sun. C'est pour ça !
Peut-être. Il est même certain que je le surprotège et que je devrais arrêter d'agir comme s'il avait encore huit ans. Il en serait le premier ravi d'ailleurs, mais j'en suis incapable. C'est mon petit frère et je dois prendre soin de lui.
— Laisse-le se débrouiller tout seul et il apprendrait à cuisiner.
— Il est hors de question que Dae mette les pieds dans ma cuisine, affirmé-je.
C'est la déception qui traverse les traits d'Adele. Ce n'est pas la première fois qu'elle me propose que nous sortions tous les deux, mais je trouve toujours une raison de ne pas le faire. Le restaurant et ma famille étant les raisons les trois quarts du temps. Il faudrait peut-être je prenne soin de moi aussi...
— Mais je verrai ce que je peux faire pour cette... virée avec toi. OK ?
L'immense sourire qui apparaît sur ses lèvres me prouve que j'ai pris la bonne décision. Une soirée ne changera rien à tout ce que je fais pour mon entourage. J'ai le droit de m'octroyer un moment pour moi. Pour Adele et moi. Ses doigts se resserrent.
— Tu le promets ?
Je déteste cette question, peu importe qui me la pose. Je chuchote un oui à peine audible avec un sourire crispé, mais elle semble satisfaite. Elle se redresse brusquement, gardant ma main dans la sienne et se poste devant moi, entre mes jambes. Nous nous fixons longuement avant qu'elle ne déclare dans un murmure :
— Joyeux anniversaire, Sun !
Ellese penche alors vers moi et m'embrasse avec tendresse.
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