amour.
11 Février 2034.
Le feu passe au rouge, m'obligeant à m'arrêter. Je me frotte les yeux et soupire. Les dernières nuits n'ont pas été bonnes. Mon cerveau ressassait sans cesse les événements du début de semaine. Je frappe à plusieurs reprises mon volant jusqu'à m'en faire mal à la paume. Je retiens un sanglot en marmonnant :
— Des ignorants ! Des intolérants ! Des crétins ! Des enfoirés !
Des klaxons me font relever les yeux et je remarque que le feu est passé au vert. Je lève ma main meurtrie pour m'excuser auprès de l'automobiliste et reprends la route. Je suis déjà en retard au point de rendez-vous que nous nous sommes fixés avec Jeff. Je tourne à gauche et évite au dernier moment une trottinette qui allait traverser la rue.
— Des cons !
J'appuie sur mon klaxon, plus longtemps que nécessaire. C'est presque thérapeutique de se libérer ainsi. Puis je le lâche finalement, retrouvant le silence de mon habitacle, pour passer une vitesse. Mes essuie-glaces s'enclenchent quand le lieu de rendez-vous devient visible. Je me gare en face de la boutique où Jeff profite de l'auvent pour se protéger de la pluie. Je lui fais des appels de phares et les bras croisés au-dessus de sa tête, il court vers la voiture. Il s'engouffre dedans et souffle de soulagement.
— Tu en as mis du temps !
— Désolé, Adele a voulu que je la pose à la salle avant, expliqué-je en lui serrant la main. Pour faire la queue.
Il boucle sa ceinture à mes côtés et je revois Hugo en faire de même, il y a quelques soirs, après qu'il ait aidé mon frère. Tous les mots et toutes les marques sur le corps de Dae envahissent d'un coup mon esprit comme chaque nuit et me font grimacer. À la place, je me laisse aller contre le siège ce qui interpelle mon meilleur ami.
— Qu'est-ce qui se passe ?
Je m'ébouriffe les cheveux, en me maudissant. Au lieu de me prendre la tête avec tout ça, je devrais être en train de m'amuser. Dae Hyun n'en a rien à faire de moi et de tout ce qui pourrait m'arriver alors pourquoi suis-je aussi obnubilé par son bien-être ?
— Sun ? insiste Jeff, n'ayant pas de réponse de ma part.
— Rien...
Il me donne une tape sur le bras. Je me redresse aussitôt.
— Pourquoi tu me frappes ?
— Parce que tu me mens. Tu as le teint pâle...
— Enfin c'est pas comme si j'étais hyper bronzé d'habitude !
— Et tu as des cernes, poursuit-il comme si je n'avais pas ouvert la bouche. Il y a quelque chose qui te tracasse. Crache le morceau !
Il croise les bras devant lui alors que le haut de son corps est tourné vers moi, pour mieux me voir.
— C'est Dae... Il...
Je retire mes lunettes que je pose sur mes cuisses. Mes mains passent sur mon visage et j'assène :
— Des cons l'ont tabassé au lycée...
— Merde ! Quoi ? Mais quand ? Mais... pourquoi ?
— En début de semaine. Parce que... C'est Dae, dis-je simplement. Mon frère regroupe tout ce qui peut faire disjoncter ces connards de racistes. Gay, étranger et surexcité. Enfin... Je ne connais pas tous les détails. Dae ne m'en a pas parlé, c'est Hugo...
— Oh bah si c'est Saint-Hugo qui...
— S'il te plaît, le coupé-je dans ses jérémiades.
Ses bras retombent sur ses jambes et je remets mes lunettes en lui expliquant :
— Dae a dit à nos parents que c'était Hugo qui l'avait défendu. Il a parlé d'une bagarre entre Hugo et l'un des gars. Il a frôlé le renvoi à cause de ça. Alors ouais... C'est Saint-Hugo pour moi.
— Foutaises ! Il l'était déjà avant, se moque-t-il, en secouant la tête de droite à gauche.
— Quoi ?
— Allez démarre, on a un concert à voir.
Tel un robot, je m'exécute et m'infiltre dans la circulation de Leeds.
— Il te plaît, ce mec, affirme Jeff après un long silence entre nous.
— Il est sympa.
— Non, il te plaît. Comme Elliott me plaît.
Je ricane à cette déclaration bien que je sache qu'il y ait une part de vérité dans ses mots.
— Je suis avec Adele et...
— Je n'ai pas dit que tu allais tromper Adele avec lui. Je te connais, tu es un mec droit et fidèle, mais... il te plaît !
Pour seule réaction, je grogne parce que cette fois, il a mis dans le mile.
— C'est humain, tu sais.
— Quoi ?
— Ressentir des émotions !
Même s'il ne peut pas me voir, je lève les yeux au ciel tout en serrant un peu plus le volant.
— Sinon ton frère ? Comment il va ? revient-il à la conversation de base et j'en suis heureux.
Je hausse les épaules à cette question qui est plus que légitime. Malheureusement, je ne suis pas la meilleure personne pour répondre à ça, je crois.
— Mentalement, je n'en sais rien. Il refuse de m'en parler. Mais physiquement... Il ne nous avait rien dit, mais le soir, quand il se préparait pour se coucher, je me suis rendu compte qu'il avait des hématomes au niveau du ventre et du dos...
— Alors tu as encore joué les mamans avec lui.
— Je ne joue pas...
— Non, c'est ça le pire, confirme-t-il, semblant désabusé.
— Il avait la plus grosse ecchymose que j'ai vue de ma vie, m'exclamé-je, pour bien lui faire comprendre la situation. Je n'allais pas le laisser tomber.
— C'est sûr, murmure-t-il.
Du coin de l'œil, je remarque qu'il pose son coude sur le bord de la vitre.
— Ton frère est génial...
Un léger sourire apparaît sur mes lèvres. Je suis à la fois heureux et agacé que Jeff dise ça.
— Il a cette fabuleuse capacité de te haïr et de t'en foutre plein la gueule tout le temps sauf aux moments où, bizarrement, il a besoin de toi !
J'aurais dû me douter que Jeff ne pouvait pas faire un compliment aussi facilement. C'est un gars super, mais il a quelques difficultés pour flatter les gens.
— Arrête ! Tu ne vas pas remplacer Adele, me plains-je.
— Mais peut-être qu'Adele a raison. Tu n'y as pas pensé ?
— C'est mon frère. Mon petit frère.
J'avais ajouté ça comme si ça faisait une différence et pour moi, ça en faisait une. Une énorme même. S'il était le plus âgé, je... je secoue la tête. Ne jamais imaginer ma vie si nos rôles étaient inversés. Cela ne servait à rien de me faire plus de mal. Je reprends alors :
— Un des gars lui a tordu le bras, il avait mal au coude et de toute façon, il ne pouvait pas atteindre l'hématome dans le dos.
— Et il n'a pas pensé à Saint-Hugo pour le soigner ?
Je tourne la tête vers Jeff qui se fait un malin plaisir de papillonner des paupières pour se moquer.
— Il n'est pas comme Mère Teresa celui-là ? continue-t-il de déblatérer.
Un grognement sourd s'élève entre nous tandis qu'il m'agace à critiquer Hugo.
— Il va falloir que tu t'y fasses, Jeff... Ils...
Ma main se resserre un peu plus autour du volant jusqu'à ce que mes jointures deviennent blanches. Je n'aime pas spécialement la sensation qui s'empare de moi. Je n'arrive pas à la déterminer et je crois que je ne le souhaite pas.
— Ils sortent ensemble.
— Quoi ?
— Elliott et Hugo... Ils sortent ensemble.
Ce matin, Dae devait tout raconter à Ady au téléphone. Étant donné que mon frère n'est pas très discret, que nos chambres sont attenantes et les murs fins, j'ai pu écouter sans vraiment le vouloir toute la conversation. La manière dont Dae les a découverts en train de s'embrasser dans la salle de danse. Comment Hugo lui a confirmé qu'ils étaient en couple. Comment cela s'était fait, le mardi précédent. Je connaissais tous les détails et j'aurais préféré ne rien savoir en fait...
— Et merde !
Tout le corps de Jeff me crie qu'il souffre à cet instant alors je pose une main sur sa cuisse et la serre légèrement.
— Je suis désolé.
Il hausse les épaules. Bien entendu, mes excuses ne servent à rien ni à personne. Pas même à moi.
— Mais... c'était déjà fini entre vous, non ?
Il hoche la tête, avec une pointe de réticence tout de même.
— Ce n'est pas pour ça que c'est plus simple pour moi.
C'est Elliott qui a mis fin à leur relation, surprenant complètement Jeff qui était persuadé que tout allait très bien entre eux. Il était amoureux du géant et aujourd'hui encore, ses sentiments n'ont pas changé malgré les mois qui sont passés.
— Je sais...
En disant ces mots, j'ai l'impression de lui mentir et c'est peut-être le cas. J'ignore tout de l'amour fou et passionnel que Jeff porte à Elliott. Ou celui instinctif et éternel qu'Elliott et Hugo ont l'un pour l'autre. Ou encore l'inconditionnel que Dae a pour Ady. J'ignore ce que c'est que d'aimer de tout mon cœur. Je me le suis interdit depuis toujours et je n'ai jamais rencontré la bonne personne qui me ferait changer d'avis.
Pas même Adele.
Je me gare dans une rue parallèle à celle de la salle de spectacle et nous soupirons en chœur, nos cœurs n'étant plus au concert auquel nous devons assister.
— C'est la merde l'amour, déclare mon meilleur ami.
Je ne peux malheureusement pas le contredire.
— Je n'y ai jamais rien compris, lui avoué-je.
— Y'a rien à y comprendre. Tu baises ou tu te fais baiser... ça ne se finit jamais bien.
L'image d'Adele apparaît dans mon esprit et je ne peux m'empêcher de me dire que Jeff a raison. Qu'est-ce que j'espère réellement avec elle ? Nous sommes trop différents l'un de l'autre et mes parents... Ils ne l'accepteront jamais.
Mon portable vibre sur mon tableau de bord, nous sortant de nos idées noires. Je l'attrape, découvrant un message d'Adele qui nous demande où nous en sommes.
— Princesse s'impatiente ?
— Légèrement. Ça va aller toi ? le questionné-je, inquiet pour lui.
— Pas le choix... Mais je suis sûr que le concert va être cool et puis... Je l'oublierai... Un jour.
Il ouvre la portière et se précipite dehors où la pluie n'a pas cessé. Nous allons passer une excellente soirée et j'oublierai moi aussi. Le temps d'un instant celui que je suis et que je déteste tant.
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