adorable.

07 Novembre 2034.

Je suis stressé. J'ignore pour quelle véritable raison je le suis. Ai-je peur que Jeff rencontre Ezra ? Ou est-ce le fait que j'ai l'impression de lui tendre un piège sans le vouloir ? Je sais qu'Ezra n'est pas très à l'aise avec les inconnus alors le mettre au pied du mur en lui présentant Jeff comme ça, à notre déjeuner du mardi, ça ne me plaît pas.

— On ne pourrait pas faire ça un autre jour ? demandé-je à Jeff alors que nous attendons devant la vitrine du restaurant.

— Je pars dans quatre heures, on n'a pas le choix !

— Tu pourrais revenir à Londres dans quelque temps, proposé-je tout en jetant des coups d'œil de chaque côté de la rue. Tiens, juste avant les fêtes de Noël, ça serait cool, non ?

— Ouais, je viendrai vu que tu m'invites, ça sera chouette, mais je reste ici maintenant, affirme-t-il en s'adossant à la façade de l'immeuble.

Je lève les yeux en grognant. Je commence même à faire les cent pas en regardant mon téléphone alors que c'est inutile. Ezra n'a pas mon numéro, il ne peut donc pas me contacter. Je me passe les mains dans les cheveux avec nervosité. Je crois que j'angoisse aussi qu'ils ne s'entendent pas. Ça serait le truc le plus nul qui puisse arriver.

— Arrête de te mettre dans un tel état ! C'est juste un déjeuner, tu sais.

— Je sais...

Mais ce n'est pas pour ça que ce n'est pas important comme moment. Soudain, tout mon corps se fige lorsqu'au loin, je reconnais la silhouette d'Ezra sur son vieux vélo. Je déglutis. Plus il approche et plus je suis mal à l'aise. J'ai même l'impression d'avoir des vertiges. Je sursaute quand la main de Jeff s'abat par surprise sur mon épaule.

— C'est lequel ? me demande-t-il.

— Celui sur le vélo.

Un silence suit durant lequel nous observons tous les deux, Ezra. Malgré sa capuche, quand il s'arrête non loin de nous pour garer son véhicule à deux roues, je peux lire sur son visage l'étonnement et une trace d'angoisse. Je n'aurais pas dû venir avec Jeff !

— Look spécial, mais beau garçon, me murmure mon meilleur ami à l'oreille.

Ses mots me calment un peu et même, me font sourire. Il est vrai qu'Ezra a un style qui lui est propre avec ses cheveux toujours bleus, ses lentilles, son hoodie trois fois trop grand et son vernis – blanc aujourd'hui. Mais c'est ça aussi qui me plaît. Cette excentricité que je n'oserai jamais, mêlée à sa timidité. Tout semble si contradictoire sur le papier alors qu'en réalité, tout coexiste avec beauté chez Ezra.

Je me contente de hocher la tête avant de la tourner vers Jeff et de lui demander :

— Tu peux attendre ici ? Je vais lui expliquer la situation.

Je remarque qu'il me trouve ridicule à prendre des pincettes avec Ezra pour ça, mais je m'en fiche. J'ai bien vu sa réaction face à Dae la semaine dernière et surtout sa manière de se cacher derrière moi. Alors qu'il est en train d'installer son antivol, je le rejoins. Je l'observe faire quelques secondes et quand il relève son regard vers moi, je prends conscience qu'il y avait aussi l'envie d'être seul avec lui. Je lui souris tout en le saluant.

— Tu n'es pas tout seul, me fait-il remarquer en se redressant.

— C'est Jeff. Mon meilleur ami, j'ai déjà dû t'en parler.

Il jette un coup d'œil discret à Jeff qui nous attend le plus patiemment possible.

— Oui, à quelques reprises.

— Il m'a fait la surprise de débarquer à Londres vendredi.

— C'est super !

— Il veut te rencontrer, lâché-je brusquement.

— Ah !

Il cache ses mains dans les manches de son hoodie, mal à l'aise. Je m'approche de lui et lui souffle :

— Tu n'as pas à t'inquiéter, il est cool. C'est juste... Tu comptes pour moi alors il aimerait apprendre à te connaître.

J'ignore quelles émotions passent sur ses traits à l'écoute de ma déclaration, mais je crois que c'est la joie qui y reste. Il attrape les pans de mon manteau et tire dessus, m'obligeant presque à le coller. Il relève la tête et son sourire illumine son visage.

— Je compte pour toi ?

— Bien sûr !

Après ça, il inspire à fond et fait glisser sa capuche en arrière tout en se mordillant la lèvre. Je sais qu'il fait ça pour moi et je lui en suis reconnaissant. Je lui caresse les cheveux, heureux.

— Je veux bien le rencontrer aussi alors, dit-il, tout bas.

Je lui prends la main en le remerciant. Je l'entraîne à ma suite jusqu'à Jeff et m'applique à faire les présentations. Comme je m'y attendais, Ezra semble intimidé et garde les yeux baissés quand il serre la main de mon meilleur ami. Ce dernier me lance un regard étonné auquel je ne réponds que par un haussement d'épaules.

Les premières secondes sont tendues. Aucun de nous ne parle tandis que nous nous installons à une table du restaurant. Pas un seul instant Ezra ne lâche mes doigts comme si c'était un bouclier ou une protection quelconque. Je me penche alors vers lui et lui chuchote à l'oreille pour que Jeff ne m'entende pas :

— Ne t'inquiète pas, il est gentil.

Il serre un peu plus ma main alors que je reprends une position correcte. Jeff, en face de nous, nous observe avec attention et je sais ce qui se passe dans sa tête. Je ne peux pas l'empêcher d'étudier notre comportement l'un avec l'autre et je crois que j'ai envie qu'il le fasse, qu'il puisse me dire ce qu'il a vu, ce qu'il en pense. Ainsi, je pourrais déterminer si je me fais des idées sur notre complicité, sur ce que je ressens.

— Sun m'a dit que tu avais un chien, commence Jeff.

Il n'aurait pas pu mieux choisir pour briser la glace entre eux. Les animaux et Crumpet en particulier sont une vraie passion pour Ezra et ça le détend immédiatement.

— Oui, Crumpet.

— Je t'avouerai que j'espérais le voir ce midi. Parce que sur les photos que Sun m'a montrées, il a l'air adorable.

Jeff apprécie les chiens, mais sans plus. Il fait réellement un effort pour faire la conversation et je lui en suis reconnaissant parce que ce n'est pas Ezra qui aurait pu le faire.

— Il l'est, confirme-t-il.

— Il a...

Il est coupé dans sa phrase par l'arrivée de JinYoung, la serveuse, qui pose une bouteille d'eau plate avant de nous demander si nous avons choisi.

— On va prendre des raviolis grillés au poulet, deux riz blancs, du poulet à la sauce piquante et du bœuf mariné, énumère Ezra comme s'il avait appris par cœur sa leçon. Et toi, qu'est-ce qui te ferait envie ?

Je tourne mon regard vers Jeff à qui la question est destinée. Il a la bouche ouverte, surpris, les yeux fixés sur nous. Je lui donne un léger coup de pied dans le tibia. Il grimace puis se reprend :

— Des raviolis et un Bibimbap au poulet, s'il vous plaît.

JinYoung se retire et la discussion entre nous peut recommence.

— Vous semblez avoir l'habitude de manger ici, nous dit Jeff, un sourire un peu moqueur aux lèvres ce qui ne manque pas de faire rougir Ezra.

— Ouais, on mange là tous les mardis, c'est le plus pratique vu que mon service se termine à quatorze heures, expliqué-je.

— À part la semaine dernière, nuance Ezra. Il m'avait fait un cake aux myrtilles et au citron avec un glaçage et des petites étoiles en décoration.

Il me parait si jeune d'un coup, mais le bonheur que je lis en lui efface aussitôt cette impression.

— Oh, ça avait l'air bon !

— Ça l'était ! Et il l'a fait exprès parce que je lui avais dit que j'en mangeais quand j'étais enfant. C'était trop gentil.

Ezra et moi échangeons un regard. Je secoue la tête, peu d'accord avec lui.

— C'était seulement un gâteau, tu sais.

— Avec des étoiles en décoration, me rappelle Jeff, un sourire en coin.

Dans un élan puéril, je lui tire la langue.

— Tu es juste jaloux !

— Clairement ! Je n'ai jamais eu le droit à un cake maison avec étoiles et tout le tralala, moi !

— Tu ne le méritais peut-être pas ? proposé-je pour le taquiner.

— Ah ! s'exclame mon meilleur ami. C'est vrai que tu n'as jamais parlé de moi en de si beaux termes...

— Beaux termes ? répète Ezra.

Bien entendu, maintenant que sa curiosité est piquée, sa timidité se fait la malle. Il appuie son bras dont je ne tienne pas sa main, sur la table, pour se rapprocher de Jeff qui est très heureux de la situation.

— Il a dit quoi ?

— On s'en fiche...

Il me jette un coup d'œil pour déterminer ce qu'il a le droit de raconter ou pas alors qu'au final, il est certain qu'il fera comme il l'entend.

— Il faut savoir que Sun a peu d'amis. Jusqu'à notre rencontre, il y a deux ou trois ans, sa vie tournait autour de son frère, Dae. Tu l'as vu, je crois ?

Ezra hoche la tête, pendu aux lèvres de Jeff.

— Tu vas te taire, oui ? tenté-je à nouveau de me sortir de ce malaise.

— Encore aujourd'hui, Dae prend énormément de place malheureusement.

— Malheureusement ?

— Dae a...

— Je suis encore là, si ça ne te dérange pas ! le coupé-je, sur un ton sec cette fois.

— Désolé... Pour en revenir à nos moutons, j'ai donc été surpris qu'il me parle de quelqu'un d'autre que son frère. Surtout quand il a commencé en disant que tu étais touchant et adorable.

— Bon, on change de sujet ? interviens-je, mal à l'aise.

— Non, répondent-ils en chœur.

— Tu me trouves adorable alors ? poursuit Ezra en posant sa main sur nos doigts encore liés sur sa cuisse.

Je plisse les yeux en le fixant, mon visage plus qu'à quelques centimètres du sien. Mon malaise s'est à présent évanoui.

— Là, tout de suite, mon avis à ce propos est en train de changer complètement.

Ses lèvres se fendent en un sourire craquant, comme lui seul sait les faire.

— Impossible. Tu me trouves adorable.

Sa petite voix quand il me dit ça, me fait fondre.

Je l'apprécie trop.

Je crois que je suis même en train de tomber amoureux de lui.

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