44 - Dans la tourmente (3/3) ★

Déjà plus d'une journée que la ville était en état de siège, et pourtant, l'effervescence et la panique suscitées par l'attaque ennemie parvenaient toujours jusqu'aux oreilles du résident de la haute tour de l'Académie.

Ce dernier se tenait debout derrière la grande baie vitrée, mains jointes dans le dos, regardant avec morgue la cacophonie ambiante.

Le sol de la pièce se déroba pour laisser entrer une jeune femme, sans que cela n'importune l'homme à la fenêtre.

– Vous êtes en retard, se contenta-t-il de dire sans se retourner.

La jeune femme exécuta une révérence incertaine.

– Je suis désolée, Monsieur. Il n'est pas évident de parvenir ici sans se faire voir. La folie gagne les rues de la ville et plus personne ne dort sur ses deux oreilles.

Aussi loin qu'elle se souvienne, le Directeur lui avait toujours paru dur et inflexible mais cela semblait s'être aggravé dernièrement. L'homme ne jeta pas un regard dans sa direction quand il se dirigea vers le large fauteuil en cuir derrière son bureau pour s'y asseoir. Plusieurs secondes interminables passèrent avant que l'homme ne l'invite à faire de même, mettant fin à la posture maladroite qu'elle essayait de maintenir.

– J'espère que, cette fois, vous m'apportez des nouvelles satisfaisantes.

La jeune femme déglutit à grande peine devant la menace contenue dans ces mots.

– Il n'a toujours rien voulu me confier. Pourtant, je sens qu'il est proche de le faire. Il a besoin d'une oreille attentive, c'est certain.

Le Directeur se contenta de la fixer, tel un reptile attendant patiemment l'heure de son repas.

La jeune femme s'agita dans son siège, mal à l'aise.

– Et j'ai surpris une conversation, ce soir, s'empressa-t-elle de rajouter. Il était en grande discussion avec ses deux amis. Le ton montait entre eux jusqu'à ce que j'arrive. Néanmoins, j'ai pu entendre quelques petites choses.

– Lesquelles ?

La sueur perla sur la tempe de l'interrogée. La puissance que dégageait le Directeur à ce moment précis pourrait faire s'évanouir des personnes qui n'étaient pas rompu aux arcanes magiques. La jeune femme ne pouvait que puiser dans sa propre énergie et la Déesse Arianka pour ne pas sombrer dans l'inconscience.

– Je... euh... Je n'en suis pas certaine... Mais je crois avoir entendu parler d'héritier... ainsi que d'un sanctuaire... à Mercantile, je crois. Quelque chose qui serait lié au souvenir...

– Et où est-il maintenant ?

Un frisson d'horreur la parcourut.

– Je... Je ne sais pas... Monsieur. Il est parti peu de temps après et il ne m'a pas dit où.

La violente secousse qu'elle ressentit et qui la fit partir en arrière empêcha la jeune femme d'entendre distinctement le cri de rage qui sortit de la gorge du Directeur. Son vol à travers la pièce se termina quand son dos rencontra brutalement le mur du fond. Elle aurait voulu hurler mais aucun son ne put sortir de sa bouche, tant la pression exercée par la magie du Directeur la maintenait clouée contre la pierre. Elle remarqua à peine qu'elle était figée à deux mètres du sol et qu'un filet de sang s'échappait de la commissure de ses lèvres. La douleur était le seul élément qu'elle percevait clairement dans son esprit.

Le Directeur en profita pour se lever et se diriger vers elle.

– Puis-je savoir à quoi vous me servez ? Pas étonnant que votre famille n'ait pas voulu de vous. Vous ne m'inspirez que médiocrité et dégoût.

La jeune femme sentit les larmes lui monter mais elle ne pouvait toujours pas parler. Sa vision commença à décroître avec le manque d'air et elle se sentit partir.

Le Directeur allégea la pression exercée sur elle pour lui permettre de répondre.

– Je suis... désolée... Monsieur... Mieux... la... prochaine... fois...

L'homme mit fin à son sort sans préambule et la jeune femme s'écrasa au sol. Seules ses respirations bruyantes résonnèrent dans la vaste pièce.

– On verra. Auquel cas, il ne me sera guère difficile de vous abandonner aux mains des pirates.

Il regagna nonchalamment sa place devant la large baie et joignit de nouveau ses mains dans son dos.

– Et maintenant, déguerpissez. J'ai à faire.

La jeune femme ne se le fit pas dire deux fois et descendit aussi vite qu'elle le put les escaliers secrets. Elle attendit d'atteindre le corridor en contrebas pour se laisser aller à un franc sanglot, genoux à terre, mêlant peur et désespoir.

Elle n'avait jamais voulu cela. Elle, la petite Garance, dernière fille d'une famille noble plutôt aisée mais dont le piètre niveau en magie l'en avait banni. Elle avait vu dans cette mission une chance d'expier ses fautes si, toutefois, elle en avait vraiment commises.

Après tout, même si Zach ne lui plaisait pas vraiment, ce dernier était plutôt joli garçon et il savait être doux et tendre avec elle. Combien de personnes lui avaient démontré autant d'amour ces dernières années ? La réponse, plutôt simple, la confondit dans son mal-être.

Il lui fallut le froid pénétrant du couloir pour se remettre debout. Elle sécha ses larmes et regagna mollement la sortie, se demandant où pouvait bien être sa place dans ce monde en déroute.

****

Les steppes arides de l'ouest détonnaient avec le reste de la flore de l'île d'Arthénis, peuplée principalement de conifères majestueux et verdoyants.

Les rumeurs étaient légions quant à expliquer ce phénomène singulier, mais cela n'avait que peu d'emprise sur le jeune soldat qui contemplait la vaste étendue qui s'offrait à lui, adossé à une pierre.

Cela faisait déjà une semaine que Chris traversait la région avec sa compagnie montée et au moins autant de temps qu'il se languissait de rentrer à Alastor. Avant de partir, il ne se doutait pas que cette ville puisse à ce point lui manquer. Mais la météo capricieuse, le silence pesant entre lui et ses hommes sur les raisons de leur présence ici et l'ennui avait eu raison de sa détermination. C'était à se demander si tous les éléments récalcitrants n'étaient pas envoyés ici pour relativiser sur leurs conditions de vie dans la cité portuaire.

Le jeune homme médita encore quelques instants sur cet état de fait avant de se lever et d'aller rejoindre ses hommes autour du feu de camp. Avec le temps, il en était venu à comprendre le besoin qu'avait son ami Zach de s'isoler occasionnellement.

Les nuits restaient fraîches et Chris prit avec reconnaissance le bouillon fumant que lui tendit Davin Lars, son sergent.

– Vous n'êtes pas effrayé par ces terres, chef ?

Le jeune Spadéis lui lança un regard interrogateur.

– Pas plus qu'à chaque fois que vous me posez la question, sergent, dit-il en portant le bol à ses lèvres.

– Hm... N'empêche, jamais rien de bon ne se passe par ici. Ce n'est pas pour rien que les jeunots intrépides se font envoyer dans le coin pour calmer leurs hardeurs.

Chris le fixa, passablement irrité.

– Mes excuses, chef. Je ne voulais pas...

– ... me vexer ? Je m'en doute. Je suis désolé de vous avoir entraîner dans cette histoire, dit-il un peu plus fort pour se faire entendre de tous.

Les réponses se firent ténues, plus par l'atonie qui avait eu raison des soldats que par un réel grief contre leur lieutenant.

– Il ne faut pas leur en vouloir. Ils ne vous en veulent pas. Mais ils ne seront pas mécontents de rentrer à la caserne dans quelques jours.

– Ce que je peux comprendre...

Un éclair rouge zébra le ciel pour aller frapper le sol à plusieurs kilomètres d'eux, à l'intérieur des terres. Surpris par le flash lumineux, les hommes se redressèrent soudainement.

– Qu'est ce que...

Aucune trace de nuages au-dessus d'eux. Pas l'ombre d'un début d'orage. Et puis cette couleur...

Chris décida derechef de remonter la pente jusqu'au petit monticule qui les surplombait.

– Chef, où allez-vous ?

Le jeune homme avait conscience que ce phénomène singulier ne ferait qu'attiser la propension de ses hommes à croire que ces plaines étaient maudites. Il ne prit pas la peine de répondre et se montra fort et martial dans son attitude, comme pour instiller un peu de confiance à ses hommes. Son second ne tarda pas à le suivre dans son ascension.

Une fois au sommet, il scruta l'ensemble du paysage crépusculaire jusqu'à apercevoir un léger halo vermeil au lointain.

– Sergent ! Qu'y-a-t-il par là-bas ?

Le vétéran tourna un œil avisé dans la direction indiquée par Chris.

– Rien que de vieilles ruines, chef.

Le Spadéis médita quelques instants l'information.

– Ça ne me dit rien qui vaille. Allons jeter un coup d'œil.

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