Un ciel nuageux laissait apparaître quelques rayons orangés d'un soleil naissant à l'horizon. Le calme régnait dans la ville qui s'était vidée d'une grande partie de ses résidents quelques jours plus tôt.

Adam arriva à la cahute dès qu'on lui avait fait parvenir le message. Il sentit deux présences à l'intérieur dont une qui lui était très familière et frappa énergiquement à la porte. Un homme, à la mine patibulaire et légèrement plus grand que lui, ouvrit et le laissa entrer sous un œil scrutateur. Le nouvel arrivant portait une tenue de mercenaire et arborait une coiffure différente mais Aleck le reconnut immédiatement.

– Adam ! Il faut que tu nous amènes au sanctuaire, rugit-il en tentant de se mettre sur ses coudes. Ils n'ont rien appris de moi. J'ai eu le temps d'effacer mon tatouage avant de me faire capturer. Je ne leur ait rien dit Adam. Rien ! Il faut prévenir les autres !

Adam se plaça à côté de lui et tenta de l'apaiser.

– Depuis combien de temps es-tu ici, Aleck ?

– Je ne sais pas, plusieurs jours... Mes pouvoirs commencent tout juste à me revenir mais je suis encore faible.

– Ça fait un peu moins de deux semaines, dit une voix grave dans son dos.

L'homme qui avait ouvert la porte s'était rapproché d'eux et avait pris une chaise.

– Vous êtes qui au juste ? dit-il en prenant une poignée de tabac à chiquer.

– Merci de vous être occupé de mon ami mais ça ne vous regarde pas.

Adam commença à formuler un sort d'altération lorsque Aleck lui saisit la manche avec une force surprenante.

– Non, c'est un frère de combat.

L'Héritier laissa quelques instants son sort en suspens avant de l'annuler. Il hocha la tête avant de jauger le mercenaire qui attendait dans son dos.

– Bien... Tu peux marcher ?

– Difficilement mais ça devrait aller. Tu as un portail près d'ici ?

– Un temporaire, à la sortie de la ville. Je peux nous y téléporter.

Il tourna de nouveau la tête vers Rollan.

– On peut lui faire confiance ?

– Plutôt deux fois qu'une, ne t'en fais pas.

Adam passa le bras sous l'épaule de son camarade et le releva.

– Ils t'ont pas manqué... dit-il en se rendant compte de l'ampleur des dégâts infligés à son corps.

– Et je serai mort sans l'aide de Rollan.

Le mercenaire cracha au sol une boule de tabac.

– Tu me revaudras ça, dit-il d'un ton bourru.

– J'y compte bien, répondit-il dans un faible sourire.

Il porta le poing sur sa poitrine et Rollan fit de même.

– Jusqu'à la mort.

– Jusqu'à la mort, répondit le mercenaire avant de les voir disparaître dans un halo éclatant.

****

Des silhouettes se matérialisèrent dans une grande pièce circulaire qui s'éclaira à leur arrivée. Adam avait activé le sort contenu dans son tatouage pour demander le regroupement de l'Assemblée.

Un cri se fit entendre et l'une des silhouettes se précipita en direction d'Adam qui soutenait toujours son compagnon.

– Aleck ! s'écria Maéli en se jetant sur le blessé, manquant de peu de les renverser.

– Sainte Sakpata... Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?! dit-elle n'arrivant pas à contenir ses larmes.

Le bruit de ses sanglots ne fut bientôt plus le seul son à résonner dans la salle.

– Vous tombez bien tous les deux, dit Vincent qui paraissait malgré tout soulagé. Excellent travail Adam mais les choses se gâtent dehors. Il va falloir...

– Laisse les se retrouver un peu ! protesta une voix de femme.

Vincent se retourna vers la silhouette placée immédiatement à sa droite et, devant tant d'inflexibilité, il soupira.

– Comme tu veux, Miranda. Je sais que tu as beaucoup d'affection pour ces deux jeunes que tu as toi-même recruté.

Cette dernière ne répondit pas mais tous pouvaient ressentir son soulagement.

Vincent se retourna vers la personne qui se trouvait à son extrême opposé, de l'autre côté de la pièce.

– Gwen, je sais que tu ne vas pas aimer entendre cela mais je crois que nous avons besoin de ton fils parmi nous.

Les têtes se tournèrent vers cette dernière. La femme avait laissé éclater une colère noire quand elle avait appris qu'on avait assigné Zach à la surveillance du Directeur et son humeur perdurait. Son côté rancunier était connu de tous.

Avant qu'elle ne prenne le temps de répondre, un choc sourd se fit entendre, comme un gong qu'on faisait sonner dans la pièce voisine. Puis les coups se multiplièrent et le bruit monta en puissance.

– Quelqu'un essaye de forcer la barrière. Il nous ont trouvé !

Ils se tournèrent tous vers Aleck qui avait les yeux dans le vague.

– L'artefact... murmura-t-il. Par Sakpata ! En m'enfuyant de ma prison j'ai pris en main un objet inconnu qui contenait une gemme de pouvoir. Ça devrait être une sorte de traceur qui s'est imprégné de mon énergie.

L'explication tourna court car, déjà, Vincent levait la tête vers le centre du dôme.

– Ils arrivent...

Plusieurs sphères noires se matérialisèrent et des maléfices en jaillirent avant même que quiconque n'en sorte. L'un d'eux alla directement frapper la poitrine d'Aleck qui partit en arrière, sous les regards médusés d'Adam et de Maéli. Rapidement, les Héritiers répliquèrent et des éclairs lumineux claquèrent de partout. Après quelques instants de combat à l'aveugle, les nécromanciens parvinrent progressivement à investir les lieux.

Maéli avait délaissé la bataille pour aller se jeter sur le corps d'Aleck. Adam dut venir à bout d'un nécromancien qui lui barrait la route avant de la rejoindre.

– Il est mort, Maéli, dit-il en esquivant un sort qui vint creuser un trou dans le mur derrière lui. On a besoin de toi !

La jeune femme ne lui répondit pas et érigea une barrière de protection à l'aide d'Arianka autour d'elle et de son amant. Inconsolable, ses pleurs venaient mourir sur la poitrine inerte d'Aleck.

Adam laissa échapper un cri de rage et retourna au combat. Des mages en robes rouges ne cessaient d'envahir le sanctuaire. Des flèches de lumière verte volèrent de toutes parts, ravageant les rangs ennemis. Adam savait qu'il s'agissait du vieux Mortimer et de son apprenti Owen. Leurs terribles traits fauchaient sans pitié des nécromanciens impuissants devant leur art. Adam remarqua avec une joie morbide les cadavres ennemis s'entasser autour d'eux.

Les nécromanciens en furent eux aussi conscients et ils concentrèrent leurs efforts sur la paire d'archers. Adam tenta de les rejoindre mais il se retrouva rapidement aux prises avec deux envahisseurs qui le maintinrent à distance. Il envoya un message télépathique à Mortimer.

Attention, ils arrivent en masse sur vous !

– On est pas aveugle... marmonna l'ancien capitaine.

Owen tourna un regard interrogateur vers son maître.

– Reste concentré sur la bataille, imbécile !

Au moment où il dit cela, un nécromancien se téléporta à proximité du jeune homme et arma un bras assassin sur lui. Mortimer étouffa un juron et vint s'interposer, sans penser à couvrir ses arrières. Un autre mage noir apparut dans son dos et vint le pourfendre à revers alors même qu'il était en train d'égorger celui qui menaçait son jeune apprenti. Dans un accès de fureur, Owen saisit une flèche et alla la planter dans la poitrine du couard. Ce dernier mourut sur le coup et s'écroula.

Le jeune homme abattit deux autres ennemis avec son arc avant d'aller au chevet de son maître.

– Owen, mon grand... Tu sais ce qu'il te reste à faire, dit-il faiblement.

Le jeune homme tenait l'ancien capitaine dans ses bras. La bataille qui se déroulait autour de lui n'avait plus d'importance.

– Il faut que tu prononces les mots que je t'ai enseigné. Mon corps ne doit pas tomber entre leurs mains.

Le disciple ne réagissait toujours pas.

– La formule, imbécile !

Des mots sortirent à contre-cœur de la bouche du jeune homme. Owen jurerait avoir vu un dernier sourire illuminer le visage de son maître juste avant que son corps ne disparaisse dans l'Éther. Ce dernier n'arrêtait pas de le traiter d'imbécile et il avait raison. C'était de sa faute si le vieil archer était mort aujourd'hui.

Il n'eut pas le temps de sécher ses larmes qu'un nécromancien vint le cueillir d'un coup de pied à la tempe. Ces choses étaient aussi douées pour les arts du combat que pour les arcanes magiques. Le jeune archer partit dans une roulade arrière et arma une flèche dès qu'il se retrouva accroupi et stabilisé. Le trait partit, laissant un trou béant dans la poitrine de son agresseur.

Il jeta un rapide coup d'œil au reste de la salle.

Les choses ne tournaient pas en faveur des Héritiers. Ils étaient acculés par le nombre. Il remarqua que deux corps en tenues noires gisaient morts par terre entourés de cinq cadavres de nécromanciens. Il crut reconnaître la femme qui était particulièrement émue par le retour d'Aleck, Miranda. Elle s'était portée au secours de Maéli mais n'eut jamais le temps d'arriver, à ce qu'il semblerait. À ses côtés se trouvait un homme dans la cinquantaine qui devait se prénommer Francis. Il avait l'air d'avoir chèrement défendu sa vie pour permettre à la femme de rejoindre les deux jeunes amants, sans succès.

Owen s'engagea dans leur direction afin de faire disparaître les corps mais Adam vint s'interposer.

– C'est trop tard, il faut fuir sinon notre Ordre sera définitivement perdu.

Il tourna la tête vers la mère de Zach qui se frayait facilement un passage vers eux. Elle lui répondit affirmativement.

Malgré sa promptitude à partir, Owen vit que l'homme essayait de trouver le courage nécessaire afin de laisser ses compagnons encore en train de lutter derrière lui. De nouvelles sphères noires apparurent laissant entrer encore plus de nécromanciens dans le sanctuaire.

Vous ne serez pas seuls, communiqua Gwen avec eux par esprit. D'autres survivront. Partez maintenant !

Adam jura en se disant que tous les bâtards en robes rouges des Landes Dévastées devaient se trouver ici à présent. Owen finit par réagir le premier et les téléporta à l'extérieur en se servant d'une gemme de pouvoir.

Gwen retourna à son combat et se débarrassa de deux ennemis supplémentaires en les emprisonnant dans le sol. Les pauvres mourraient très rapidement d'asphyxie. Sans marquer le moindre temps d'arrêt, elle alla ensuite porter assistance à Vincent qui luttait âprement contre trois adversaires sans perdre de terrain. À eux deux, ils les repoussèrent facilement, en en blessant gravement deux.

– Il faut partir Vincent, avant que tout ne soit perdu.

Ce dernier acquiesça lorsque ses traits se figèrent, laissant ses yeux s'écarquiller de surprise. Il porta la main à son torse et découvrit qu'une dague le traversait de part en part.

– Une lame noire ! s'exclama-t-elle en terrassant l'agresseur dont le corps alla s'écraser contre le mur dans un craquement sinistre. Elle est passée à travers ton bouclier !

La stupéfaction resta marquée sur le visage de l'homme quand il tomba sur les genoux. Gwen l'accompagna dans ses derniers instants, renforçant le champ défensif qui l'entourait pour que plus rien, même des armes du Chaos, ne puisse le franchir.

L'homme essaya de parler.

– Je suis désolé Gwen... J'ai failli à ma mission...

Elle porta la main sur la joue de l'Homme dans un geste affecté.

– Ne sois pas idiot. C'est moi qui marque la fin de notre Ordre. Moi qui ai brisé les règles...

Dans un dernier effort de lucidité, il releva la tête vers elle pour la regarder une dernière fois dans les yeux.

– Je t'ai... toujours... aim...

Mais ses mots se tarirent et le corps inerte vint retomber contre la poitrine de la mage.

Gwen ne pouvait retenir ses larmes.

– Je sais Vincent. Je sais... dit-elle en serrant le corps avec affection avant de le faire disparaître dans un nuage de poussière.

Elle se releva lentement et les bruits de combat autour d'elle la firent rapidement revenir à la réalité. Ce n'était pas encore l'heure du deuil.

Leurs assaillants avaient perdu beaucoup des leurs mais ils ne renonçaient toujours pas. Il ne restait plus que trois Héritiers en état de se battre, elle inclus. Elle tourna la tête en direction de Maéli qui tenait toujours le corps d'Aleck dans ses bras. Plusieurs nécromanciens essayaient de percer sa barrière de protection mais sans grand effet. La jeune femme avait toujours excellé dans cet art.

– Maéli ! Il est temps !

L'ordre de Gwen, renforcé par la magie, atteignit la jeune femme qui sortit de sa torpeur. Elle caressa une dernière fois le visage meurtri et figé qu'elle avait devant elle.

– Adieu... Mon amour, dit-elle en déposant ses lèvres sur celles du corps sans vie.

La jeune femme disparut dans une sphère blanche peu de temps après que les derniers lambeaux de poussière du corps d'Aleck se soit dispersé au vent.

Gwen se tourna de nouveau vers ses deux camarades qui luttaient toujours, causant de grandes pertes chez l'ennemi.

– Hendrick, Frank, à vous de partir !

Une sphère noire, plus grande que les autres, apparut à proximité d'eux et les trois Héritiers restants battirent en retraite dans un coin de la salle. Une silhouette longiligne portant un long manteau rouge et dont le visage était masqué par une brume épaisse se matérialisa au centre. Un homme torse nu, aux muscles puissants et aux cicatrices apparentes, se tenait juste derrière elle.

– Gunthar ! s'exclama Gwen.

L'homme derrière la silhouette rouge parut surpris.

– On se connaît ?

Un rire cristallin et inquiétant, modifié par la magie, partit de la personne en tenue rouge sang qui se tenait devant lui.

– Ils en savent beaucoup, dîtes-moi... prononça une voix caverneuse.

Les Héritiers se crispèrent davantage, tant le pouvoir contenu dans ces mots était palpable. Les nécromanciens survivants reformèrent leurs rangs de part et d'autre du duo fraîchement arrivé.

Gwen commença une incantation afin de tous les sceller dans les parois du sanctuaire. Des crocs de terre surgirent du sol et gagnèrent rapidement en amplitude afin d'encercler ce qu'il restait des mages noirs. Ces derniers, paniqués, lancèrent des regards frénétiques autour d'eux jusqu'au moment où... tout s'arrêta. Les langues verticales de terre se figèrent, à la grande stupeur de Gwen.

– Impossible... Plus personne à part moi et le possesseur de l'anneau de Sakpata ne peut maîtriser l'élément Terre.

Un nouveau rire à glacer le sang se fit entendre.

– Comme c'est intéressant...

Adam et Owen réapparurent à l'entrée de la Place du Souvenir, du côté de la Grande Rue.

Un tremblement se fit entendre.

Ce dernier gagna en intensité jusqu'à faire exploser toutes les fenêtres de la place. Partout, des citoyens paniqués courraient dans tous les sens. Une sorte de craquement leur parvint depuis les entrailles de la terre et le sol de la place s'effondra à partir de la fontaine. Les deux Héritiers reculèrent précipitamment pour se mettre à l'abri du glissement de terrain. Bientôt le calme revint, laissant un trou béant qui enserrait toute l'ancienne place.

– Il semble que tout soit fini...

– Combien ont survécu à ton avis, Adam ?

La mâchoire de ce dernier se serra.

– Trop peu... Mais Gwen a dû emporter tous ces bâtards avec elle dans la tombe.

Les deux méditèrent quelques instants sur les paroles de l'aîné.

– Viens, il ne faut pas rester là.

Adam posa la main sur l'épaule d'Owen et ils disparurent à leur tour.