22 - Destins croisés (1/2) ★

Cela faisait maintenant cinq jours que Chris était parti et Zach ne s'était jamais senti aussi seul.

Une peur indicible remonta dans la poitrine du jeune homme. Encore allongé sur son lit, il se demandait à quoi ressemblerait son propre avenir. Sans doute ne serait-il jamais aussi excitant que celui de son ami.

Sans chercher aucunement à se lever, il fit de gros efforts pour s'asseoir sur le rebord de son matelas. L'air maussade, il examina une nouvelle fois la couche désormais vide à côté de la sienne. Avec Kyle et Max, ils avaient réussi à faire en sorte que, dès le départ de Chris, cette dernière demeure vide le reste de l'année. Notre jeune ami ne voulait pas en plus subir les humeurs de quelqu'un qu'il ne connaissait pas et qu'il ne chercherait, de toute façon, pas à connaître.

Après de nouvelles longues minutes à regarder dans le vide devant lui, Zach se leva finalement et s'approcha de son armoire, encore perdu dans ses pensées. Bien sûr, il y avait encore Max et Kyle avec qui il partageait de bons moments, mais rien ne remplacerait la complicité qu'il avait avec son meilleur ami.

La semaine qui venait de passer ne l'aida pas non plus à surmonter cette absence et ne fit que le morfondre davantage. Quelle ne fut pas sa déception quand il reçu son emploi du temps complet ! Les cours de cartographie et de minéralogie, qui semblaient de loin les plus intéressants, n'étaient dispensés que les premiers jours de chaque semaine, le reste du programme étant réservé à des cours dont il se serait bien passé, tels que sciences, littérature ou encore études économiques et sociologiques.

Un besoin urgent de se changer les idées se faisait donc sentir et la belle journée de Sexim qui s'offrait à lui allait sûrement l'y aider. En s'habillant, son regard passa sur la figurine militaire que lui avait laissé Chris en souvenir. Il la prit dans la main et émit un bref sourire quand il repensa à comment son ami avait remué ciel et terre pour rejoindre sa formation le jour suivant.

Il n'y a que là qu'il se sera bougé, pensa ironiquement le jeune homme.

L'apparition soudaine de ses deux derniers colocataires, dans l'entrée de leur chambre, le coupa dans sa réflexion.

– J'ose espérer que tu vas nous accompagner dehors ? demanda joyeusement Kyle.

Max, comme toujours, à ses côtés, semblait avoir découvert le secret du mouvement perpétuel avec sa tête, qui dodelinait sans cesse du bas vers le haut. Doublé d'une expression des plus niaiseuses, il offrait un spectacle prompt à dérider un peu Zach.

Depuis le départ de Chris, ils faisaient tous les deux de gros efforts pour éviter à leur ami de sombrer dans la déprime.

– Bien sûr, répondit t-il.

Le jeune homme espérait bien profiter de la journée avec ses amis et, peut être, croiseraient-ils Chris au détour d'une rue dans sa nouvelle tenue. De toute façon, il fallait bien qu'il mette la tête dehors aujourd'hui, ne serait-ce que pour voir Sarah. Les Altéran et autres nobles pouvaient circuler à leur guise dans la cité durant les Jours Libres de fin de semaine. Les deux tourtereaux n'avaient pas eu le temps de prévoir leur prochain rendez-vous le soir du bal, Sarah étant parti précipitamment, mais Zach savait parfaitement où il pourrait la retrouver. Sans faire étalage de ses plans à ses amis, le jeune homme récupéra sa sacoche, où il mettait toutes ses affaires importantes, se passa rapidement un peu d'eau sur le visage et prit la suite de ses deux acolytes pour aller vadrouiller dans les rues de Fort d'Alberg.

La ville grouillait de soldats en tenue de combat qui patrouillaient. Les récents incidents étaient encore dans l'esprit de tous mais cela n'empêcha pas les jeunes Philaéens de vaquer à leurs activités favorites ; à savoir flâner dans les faubourgs, se risquer à dérober quelques fruits dans les vergers environnants et, pour conclure, se retrouver en début de soirée dans leur pub habituel, afin de déguster une bonne bière fraîchement tirée du fût.

Toute cette déambulation avait bien entendu un sens, surtout pour Max et Kyle. Même si le deuxième se faisait nettement plus discret, ils profitaient généralement de leurs balades pour regarder de manière intéressée les jeunes femmes qu'ils croisaient. Encore tous les deux célibataires, ils le restaient cependant pour des raisons bien différentes : l'un en raison de son trop fort caractère, l'autre en raison de sa timidité presque maladive envers la gente féminine. Zach ne s'apitoya pas pour autant sur le sort de ses camarades. Il savait très bien que l'un et l'autre finirait par trouver une personne qui saurait faire battre leur cœur, comme le faisait Sarah pour lui. Il n'était d'ailleurs pas rare, lors de leurs excursions, de voir de nombreuses demoiselles se retourner à leur passage.

La plupart des regards enjôleurs étaient destinés à Kyle, mais ce dernier restait bien incapable de faire autre chose que de marcher raide comme un piquet en regardant droit devant lui, le visage empourpré. Cet intérêt des jeunes femmes pour son ami ne surprenait pas le moins du monde Zach. Après tout, peu d'entre elles seraient capable de résister à un jeune homme aux yeux clairs, de bonne taille et d'allure svelte, intelligent et sensible, et dont les cheveux roux et légèrement ondulés tombaient avec légèreté sur les épaules quand ce dernier ne prenait pas la peine de les attacher, comme aujourd'hui. Chose étonnante, pour les jeunes femmes de leur âge présentes dans la cité, cette couleur de cheveux se révélait particulièrement exotique et attrayante. De son côté, Max avait aussi, dans une moindre mesure, un certain succès, mais chaque fois qu'une fille l'approchait, il ne pouvait faire autrement que de se comporter de façon puérile, à la manière d'un gamin de huit ans, ce qui ne manquait jamais de lasser rapidement toute nouvelle prétendante.

En début d'après-midi, après s'être arrêtés dans une petite auberge pour se restaurer, les trois amis se dirigèrent vers la Porte Nord, toute proche du quartier étudiant, par laquelle passait la route commerciale en direction de Mercantile. Les résidents du Grand Collège étaient bien décidés à continuer leur petite promenade dans la campagne avoisinante.

L'absence de Chris se fit une nouvelle fois cruellement ressentir, au moment où Zach se remémora les facéties de ce dernier, qui le conduisaient immanquablement à se faire courir après par divers paysans échaudés.

L'envie d'évasion des jeunes gens tourna court lorsque des soldats leur barrèrent la route au niveau de la massive entrée fortifiée.

– Je suis désolé, jeunes gens. Les sorties des élèves hors des murs ne sont plus autorisées pour le moment. Vous êtes priés de rebrousser chemin, leur dit ostensiblement l'un d'eux.

Les trois amis se regardèrent abasourdis.

– Et puis-je savoir de quel droit vous dépossédez ainsi les citoyens de leur totale liberté de déplacement ? demanda Kyle.

Le soldat, qui n'avait pas l'air d'apprécier le ton et le parler de l'intervenant, et dont la faculté de décision était limitée en raison d'une hiérarchie militaire accablante, se rembrunit.

– J'ai des ordres et je les respecte. Alors maintenant, du balai !

Devant ce soudain accès d'autorité, les jeunes n'eurent d'autre choix que de battre en retraite. Ils rebroussèrent chemin vers le centre-ville, la mine basse. Assez rapidement, et sous l'effet d'une impulsion mal maîtrisée, Max donna un coup de pied rageur dans une pierre qui se révéla plus grosse que prévu et qui lui fit sortir un juron sous la fulgurance de la douleur. La scène, qui d'ordinaire les aurait fait se tordre de rire, ne dérida pas les visages moroses.

Les trois amis devront trouver autre chose à faire de leur après-midi.

Si Chris était là, il aurait pu facilement envoyé balader ces soldats de seconde zone avec son nouveau statut, pensa Zach.

****

Au même moment, un jeune homme portant l'armure légère des apprentis Spadéis attendait devant le dortoir universitaire, non loin du lieu où se trouvaient ses trois compagnons.

Chris avait désormais fière allure dans sa nouvelle tenue qui mêlait habilement pièces de cuir et fines plaques de métal noir. Seul le plastron, bien que peu épais, représentait une surface importante d'acier. L'emblème violet, de la compagnie d'élite qu'il avait récemment intégrée, trônait fièrement au centre.

Ces premiers jours au sein des nouvelles recrues avaient été éprouvants, même aux yeux d'un athlète tel que lui, et c'était non sans un certain confort qu'il buvait à présent un thé à la terrasse d'un troquet en guettant, d'une façon fébrile qui le surprenait lui-même, la rue attenante au grand dortoir.

Cela faisait presque deux heures qu'il dégustait sa boisson - au grand dam du propriétaire qui n'osait le faire partir - mais il ne désespérait toujours pas de croiser la belle jeune femme aux yeux noisettes qui avait fait chavirer son cœur à Mercantile. À grands renforts d'inepties détaillant une situation personnelle alarmante, il avait réussi à obtenir toute sa journée de permission. Le temps ne lui manquait donc pas, même s'il aurait voulu voir ses amis plus tard dans la soirée.

Les têtes se suivaient et ne se ressemblaient pas. Seuls les regards curieux des passants et des autres clients de la terrasse restaient les mêmes. Chris avala une nouvelle gorgée de son thé, froid depuis bien longtemps, lorsqu'il l'aperçut enfin, ses délicats cheveux aux reflets cuivrés se démarquant sans pareil au milieu de la foule. Le jeune soldat constata, non sans une légère irritation, qu'elle était suivie par un agrégat volubile de camarades de classe, exclusivement de sexe masculin.

Promptement, il se leva de la table à laquelle il était resté fidèle au point d'avoir les jambes ankylosées, déposa ce qu'il devait pour la boisson en n'oubliant pas le pourboire, et avança d'un pas décidé vers le groupe agité d'étudiants.

Ce qu'il vit dans le regard de la jeune femme, quand cette dernière s'aperçut de sa présence, le ravit au plus au point. Elle parut enchantée de le trouver là, mais aussi surprise de le voir dans pareil accoutrement. Sans grand mal, Chris écarta ses rivaux tétanisés de voir se présenter devant eux un soldat d'un tel acabit, pour enfin se retrouver auprès de l'étudiante.

La jeune femme lui souriait d'un air engageant, attendant patiemment que Chris prenne la parole. Elle se doutait bien que ce dernier n'était pas venu jusque-là sans avoir une idée derrière la tête.

– Vous êtes toujours aussi jolie, à ce que je vois, dit-il en lui baisant la main à la manière des Spadéis.

Cette marque d'affection la fit rougir, faisant par ailleurs bondir le cœur de Chris dans sa poitrine. Tous deux se regardaient intensément, leurs yeux parlant pour eux.

Les autres étudiants, qui jusqu'alors étaient restés agglutinés autour d'eux, en comprenant qu'ils n'avaient que peu de chances de ravir la belle demoiselle au soldat, les laissèrent en s'excusant poliment auprès d'Espérenza.

– Vous ne m'aviez pas dit que vous faisiez parti d'une troupe aussi renommée, dit-elle pour reprendre la conversation. Non pas que je sois particulièrement intéressée par les grosses brutes... mais je dois reconnaître que la tenue vous va bien.

Chris jeta un regard furtif sur sa nouvelle armure. Depuis la première fois qu'il l'avait enfilé, quelques jours plus tôt, il trouvait qu'il avait fière allure, même si le fait de porter constamment cet ensemble d'acier et de tissu se révélait assez contraignant, surtout les jours de beau temps comme celui-ci.

– C'est tout nouveau en fait, dit-il presque en s'excusant.

Sans faire attention, il se plongea à nouveau dans les yeux d'Espérenza.

Vraiment splendides, pensa-t-il.

– Ça vous embêterait que l'on se tutoie ? osa-t-il finalement demander.

La jeune femme qui lui faisait face laissa échapper un rire franc et mélodieux qui le désappointa. Chris ne comprenait pas vraiment cette soudaine réaction. Elle avait pourtant l'air de partager ses sentiments, alors pourquoi avoir éclater de rire de la sorte ?

– Ça ne m'embêterait pas du tout, mais encore faudrait-il commencer par me dire votre nom, glissa-t-elle malicieusement.

Chris, honteux d'avoir pu omettre une telle chose, se corrigea prestement. La jeune femme, d'un naturel enjoué, ne lui en tint pas rigueur et s'amusa même de voir son prétendant bredouiller ainsi des excuses. À ses yeux, l'attitude du jeune homme était en totale contradiction avec le statut qu'il arborait, mais cela ne faisait que lui conférait un charme indéniable.

Ils continuèrent à discuter quelques instants sur le parvis du bâtiment universitaire puis Chris tendit son bras et proposa à Espérenza de venir se promener avec lui, avant d'aller manger tous les deux quelque part en ville. La jeune femme accepta volontiers le bras musclé qui s'offrit à elle et suivit le soldat en se blottissant contre son épaule après quelques pas. Chris rougit instantanément au contact de sa belle contre son corps mais il ne la délogea pas, savourant ce merveilleux moment qui lui était offert. Ils se dirigèrent amoureusement vers la Porte Nord, en suscitant sur leur chemin les regards appréciateurs des habitants qu'ils croisèrent.

Arrivés à l'entrée monumentale, un garde osa les importuner quelques instants dans leur rêverie mais il se ravisa rapidement en voyant qu'il avait devant lui un Spadéis. Chris, énervé d'avoir était interrompu de la sorte, jeta un regard noir au soldat qui ne savait plus où se mettre. Son amie, d'une douceur désarmante, l'apaisa instantanément en posant délicatement sa main sur la sienne pour lui faire comprendre que ce n'était pas grave. Chris en oublia le garde, pour se consacrer corps et âme à la ravissante créature qui l'accompagnait. Il laissa sa raison de côté et embrassa fugacement Espérenza, qui ne broncha pas devant cet écart de conduite, bien au contraire.

Les deux tourtereaux franchirent la porte et laissèrent derrière eux la ville et ses habitants, pour passer une bonne partie de la journée dans la campagne, flânant à l'ombre des pommiers ou à l'orée du Bois de Fayel, se découvrant l'un l'autre pour, peut-être, ne plus jamais se quitter.

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