21 - Rentrée des classes (1/3) ★
Comme ce fut le cas pour la plupart des matins de ces derniers jours, voir de ces derniers mois, Zach eut la plus grande des difficultés à émerger du monde des rêves. La seule différence relevait du fait que, pour une fois, cela provenait d'un abus d'alcool, couplé à une très courte nuit.
Pour rattraper leur soirée manquée à Karaduc la veille, ils n'avaient en effet rien trouvé de mieux que de faire la fête jusqu'à l'aube dans leur propre internat, défiant l'autorité de leurs surveillants au profit d'une liesse généralisée à tout l'étage.
Le jeune homme se retourna une nouvelle fois dans son lit, nauséeux et les paupières lourdes de fatigue. Il cherchait désespérément à éviter les premiers rayons du soleil qui parvenaient jusqu'à lui au travers des volets fermés. Encore quelques minutes et il pourrait sortir aisément la tête de sous la couette mais, pour l'heure, il n'était pas contre un peu de sommeil supplémentaire. Il avait bien entendu oublié le jeune homme qui dormait dans le lit à deux mètres du sien, toujours prêt à l'aider en cas de réveil difficile.
Chris se jeta sur lui sans crier gare, ébouriffa énergiquement ses cheveux, avant de retourner son matelas et lui avec.
Zach eut le plus grand mal à faire éviter à sa mâchoire un contact rugueux avec le plancher de leur chambre.
– Enfoiré va ! dit-il en se redressant sur un coude.
– Ça, c'était juste pour te réveiller gros balourd, dit le jeune blond de cet air légèrement sadique qui lui sied si bien, avant de se jeter à nouveau sur lui.
Kyle et Max apparurent à leur tour dans le champ de vision de Zach mais ce dernier savait pertinemment qu'ils préféreraient infiniment le voir malmené plutôt que de l'aider.
Tous les quatre partageaient la même double chambre, au dernier étage de l'internat réservé aux garçons. Seuls les élèves qui passaient leur dernière année au Grand Collège, de l'autre côté de la rue, étaient admis à ce palier.
– Te voilà en bien mauvaise posture, constata Kyle.
– En effet, surenchérit Max.
Zach essaya tant bien que mal de se défaire de Chris mais rien n'y faisait, son ami était bien plus trapu et imposant que lui.
– Vous ne voudriez pas m'aider un peu, par hasard ?
– Quoi, tu veux te lever maintenant ? Il fallait le dire tout de suite, plaisanta le jeune blond assis sur lui.
Il se releva le plus lentement possible, laissant à nouveau respirer son ami, et rejoignit ses deux acolytes qui regardaient la scène avec un intérêt non dissimulé. Zach se remit péniblement sur ses jambes et alla chercher ses habits dans l'armoire qui lui était destinée, aussi méfiant qu'une souris à proximité d'un chat. Les trois autres se contentèrent de le suivre du regard mais une légère lueur sadique, qui n'inspirait pas le moins du monde Zach, flottait dans leurs yeux.
Un jour, il faudrait qu'ils aient tous les quatre une petite conversation sur la façon dont il était traité...
Il enfila rapidement une chemise, un pantalon quelconque et ses chaussures, sans oublier de passer par la salle de bain pour une petite toilette matinale. Au dernier moment, il mit à son poignet un élégant bracelet fait de cuir noir et d'argent, provoquant les sifflements admiratifs de ses amis.
– Ben dis donc ! Tu l'as volé où celui-la ? demanda Max.
– Nul part, s'en offusqua Zach. Sarah me l'a offert à la fin de l'année scolaire, avant que nous rentrions sur Philaé. Je n'ai pas eu l'occasion de le porter jusqu'ici, surtout chez moi avec ma mère qui veille.
Un léger flottement envahit la pièce. Zach savait que ses amis n'appréciaient pas beaucoup sa compagne et seul Chris se gardait de dire quoi que ce soit de négatif sur elle.
Leurs avis sur la jeune femme affectaient énormément Zach et ils évitaient autant que possible d'en parler avec lui pour éviter de le froisser. Ils constituaient ses seuls vrais amis et ce qui comptait le plus pour lui dans cette ville, si l'on mettait de côté Sarah, bien entendu. Aussi, il aimerait bien que ces derniers essaient de la connaître autrement qu'en paroles, car les jeunes gens n'avaient jamais voulu la rencontrer.
Ils trouvaient que les deux tourtereaux n'avaient rien à faire ensemble, étant donné qu'ils n'appartenaient pas au même monde et ce jugement, surtout venant de Kyle, le désappointait.
– Hum... encore cette snobinarde, se désespéra Max.
Comme les trois autres, il le regardait avec une certaine exaspération mais aussi avec beaucoup d'inquiétude. De mémoires d'étudiants, les relations amoureuses entre les personnes dites « nobles » et les autres de souches plus communes se sont toujours mal terminées et ils ne voulaient reconstituer laborieusement le cœur en lambeaux de leur ami, une fois leur histoire achevée. Ce raisonnement valait aussi pour Kyle qui, lui, ne jugeait leur relation que de ce point de vue purement pragmatique.
– Vous ne voudriez pas au moins faire l'effort de la connaître ? Elle n'est pas comme les autres de son statut, vous savez.
Kyle, le plus compréhensif, émit un long soupir tout en s'approchant de Zach. Il plaça une main sur son épaule et le regarda droit dans les yeux, preuve de sa sincérité.
– Si c'est si important pour toi que nous la rencontrions... et bien soit, je veux bien faire sa connaissance. Ça me donnera l'occasion de voir ce qu'elle vaut. Et ne voit pas de sous-entendus là-dedans !
Il se retourna vers les deux autres qui présentaient toujours la même mine renfrognée, imperturbables. Kyle leur fit comprendre de passer l'éponge, au moins pour cette fois, et les invita à aller rejoindre les autres élèves au rez-de-chaussée. Il ne faudrait pas arriver en retard le premier jour des cours. Les deux réfractaires se lancèrent un rapide regard de concertation puis, de manière toute aussi désinvolte, ils haussèrent les épaules avant de tourner les talons. Zach, constatant que le malaise était passé, se radoucit à son tour.
Une fois Chris et Max sortis de la chambre, il remercia Kyle d'avoir intercédé en sa faveur. Ce dernier se contenta de lui sourire en lui tapant amicalement dans le dos.
Ils prirent à leur tour leurs sacs et rattrapèrent Max et Chris, déjà dans le couloir en train de rejoindre les escaliers, au milieu de la cohue. Ils saluèrent au passage les internes qu'ils connaissaient ou, plutôt, ceux qu'ils appréciaient.
Peu sociable, Zach n'était pas l'élève le plus populaire de leur promotion, si bien que finalement, son cercle d'ami s'était restreint au groupe qu'il formait avec les trois autres philaéens. Ces derniers avaient eux aussi peu de contacts au sein de l'école. Non pas qu'ils soient tous aussi associables que Zach, mais ils ne trouvaient pas d'intérêts à côtoyer des gens aussi affables que ceux qui étudiaient avec eux et qui, de surcroît, prenaient un malin plaisir à martyriser leur ami dès qu'ils avaient le dos tourné. Cela ne les gênait donc pas de rester éloignés des autres élèves. Tant qu'ils resteraient tout les quatre ensemble, ils n'avaient pas besoin d'amis superflus et artificiels.
La trentaine de pensionnaires du quatrième étage prit la direction du réfectoire, dernier lieu de tranquillité avant la reprise des cours qui s'annonçaient tout aussi assommants que rébarbatifs selon Zach. En entrant dans la salle, on pouvait retrouver le spectre social commun à toutes les écoles ou lieux d'apprentissage : chaque élève rejoignit le groupe d'individus avec lequel il partageait certaines accointances vestimentaires et sociales. Cette sélection peu naturelle permettait néanmoins de diviser cette population étudiante en classes bien définies, qu'il serait sans doute judicieux de nommer « bandes ». Ces dernières étaient aussi diverses que variées. Cela allait des sportifs aux intellectuels, en passant par les inconditionnels de jeux ou les « précieuses », groupe qui portait bien son nom à la vue de la petite bande de filles hautaines et bien entretenues qui le composait.
Seul un groupe dans toute l'école faisait office d'exception, celui de Zach, dans lequel les quatre jeunes hommes représentaient un ensemble hétérogène difficilement acceptable pour le reste de leurs camarades de cours, mais au combien plus distrayant et attachant que le reste de la masse. En cela, ils n'étaient pas peu fiers de marquer leur différence.
Comme à leur habitude, et ce depuis des années, ils prirent leur petit-déjeuner à emporter et allèrent le manger à l'extérieur, dans le vaste parc qui jouxtait le pâté de maison où se trouvait le dortoir. Cet espace de verdure marquait la limite avec le quartier militaire, au sud-ouest de la ville, mais il était rare de croiser à cette heure-ci de jeunes soldats en formation. Comble du luxe, le parc était idéalement situé pour offrir une vue imprenable sur l'impressionnant fort de la ville. Les quatre amis y savouraient nonchalamment leur repas à l'ombre d'un des grands chênes, dans la fraîcheur du début de journée, tandis que les reflets orangés du soleil naissant se reflétaient sur les remparts de la place forte du centre-ville. Ils disposaient en moyenne d'une heure avant que leur chargé de cours ne vienne les chercher de manière furibonde, eux, mais aussi les quelques élèves qui les avaient imités au fur et à mesure des années, pour les ramener sur les bancs du Grand Collège.
Ce matin-là, ce ne fut pas le chargé de cours en question qui vint les chercher mais la directrice en personne, escortée de deux soldats en tenue de combat.
– Encore eux ! s'écria Kyle quand il aperçut le trio pénétrer dans le parc pour se diriger droit sur eux.
– Il semblerait... confirma Zach tout aussi dépité que son ami.
– J'espère que l'un d'entre vous n'a pas fait de bêtises hier soir dont il ne se souviendrait pas. J'aimerais si possible ne pas me faire exécuter en place public. Mais ce n'est que mon avis après tout, plaisanta Max.
L'hilarité créée par la réplique de leur ami fut de courte durée. En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, les trois adultes leur firent front, l'air grave.
– Vous devriez être sur le chemin de l'école, messieurs, déclama la septuagénaire à la mine froissée.
Le ton était cassant mais pas déplacé. Les jeunes hommes, trop habitués à ce qu'on vienne les chercher à l'heure des cours, n'avaient pas vu le temps passer et ils accusaient, pour cette fois du moins, un retard non négligeable.
– Veuillez nous excuser, madame. C'est le premier jour et nous ne nous sommes pas encore habitués à la reprise des horaires, s'excusa Kyle, le plus diplomate des quatre.
La directrice se contenta de souffler bruyamment. Sans doute considérait-elle sa voix comme une chose indubitablement précieuse qui se devait d'être économisée. Elle se mit de profil et leur fit signe de la tête en direction de l'école afin de leur faire comprendre où ils devaient se rendre, au cas où ces derniers ne l'auraient pas encore compris.
La femme ne resta pas plus longtemps à les incommoder de sa présence. Elle avait tourné les talons aussi sec pour se diriger vers un autre groupe d'élèves, avachis un peu plus loin dans le parc. Les deux soldats placés sous sa coupe la suivaient de près.
– Eh ben, ça promet pour cette année... dit Chris, amer.
Ne voulant pas s'attirer davantage les foudres de leur directrice, les quatre amis se dirigèrent diligemment vers l'imposant bâtiment où les attendaient leurs professeurs.
Zach regarda une dernière fois l'incroyable bâtisse à sa droite et qui le surplombait d'une bonne cinquantaine de mètres. Le donjon, à proprement parler, s'avérait être un fort à lui seul et l'imposant système défensif qui l'enserrait lui donnait des airs légitimement menaçants. Le jeune homme ne put s'empêcher de penser que l'ensemble méritait vraiment sa réputation.
Il ne céda pas davantage à ses réflexions et pressa le pas pour rattraper ses amis.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top