18 - Nouveau départ (2/2) ★
Deux kilomètres plus loin, ils arrivèrent sur une légère pente qui tournait en arc de cercle en direction du village. On pouvait alors distinguer un attroupement sur la place située la plus à l'est. Du point de vue assez éloigné où il se trouvait, Zach parvint à identifier des hommes d'armes dont certains qui arboraient la tenue noire et violette des Spadéis. Il en profita pour remarquer qu'ils étaient à peu près deux fois plus nombreux que la veille.
– Je crois que tu seras encore chaperonné pour ton voyage jusqu'à Karaduc, dit son père qui avait récupéré son souffle. Personnellement, je n'y vois pas trop l'intérêt. Après tout, on n'est qu'une petite île de pêcheurs et de paysans... Et puis, on est bien loin de tout ces conflits. Il n'y en a même jamais eu ces derniers siècles sur Philaé.
Zach restait étonné du manque de craintes dont le patriarche faisait preuve. Il n'avait pas forcément tort mais quand même, ce n'était pas rien ce qu'il se passait dans le Nord du pays ces derniers temps.
– Donc... ça te perturbe pas plus que ça ?
Son père se tourna vers lui.
– Tu parles... On a des problèmes bien plus urgent à régler par chez nous.
Arrivés par l'entrée sud du village, il tourna les talons et prit une ruelle sur sa droite.
Zach, ne sachant quoi penser, se contenta de le suivre.
La place se retrouva rapidement droit devant eux, à une centaine de mètres. Bien droit au milieu de celle-ci, de dos et les bras croisés, le jeune homme reconnut immédiatement son meilleur ami. Ce dernier ne l'avait pas encore remarqué et Zach voulait profiter de ce manque d'attention pour le surprendre. Il demanda à son père de garder ses affaires et sans crier gare, il se jeta sur le grand blond de tout son poids. Ce dernier, complètement pris par surprise, s'écrasa la tête la première dans la terre meuble.
– Par Sakpata ! s'exclama-t-il une fois le choc passé.
– Avoue que tu ne t'y attendais pas, à celle-là.
– Je veux bien l'admettre, tu m'as surpris... Mais tu as encore beaucoup à apprendre.
Sans prévenir, Chris saisit des deux mains le bras qui lui enserrait le cou et se roula sur le côté. Zach, surprit par la manœuvre, perdit l'équilibre précaire qui le maintenait sur le dos de son ami et finit par mordre la poussière. Il relâcha peu à peu son étreinte quand Chris commença à exercer, avec l'aide de son dos, une forte pression sur le thorax de Zach, faisant grimacer ce dernier. Le blond se libéra complètement et prit dans la foulée le bras de son ami pour lui faire une clé à l'aide de ses jambes. Cela s'avérait être, et de loin, sa prise favorite. Il tira lentement sur le membre distendu tandis que Zach essayait de ne pas rester sur le dos.
– Alors, c'est comment avec un bras qui commence à craquer ? N'est-ce pas un son mélodieux ?
– J'ai connu pire... articula péniblement Zach. Te voir de face ou sentir ton haleine en font partie...
– Hum hum... Je crois que tu ne souffres pas assez, mon ami, dit il en accentuant la pression.
– Argh !
Les soldats, qui s'étaient jusque-là amusés du petit manège des deux jeunes, s'écartèrent précipitamment pour laisser passer le capitaine de leur troupe.
– Eh bien, je constate qu'on a un certain penchant pour la bagarre...
Chris se redressa, ce qui permit à Zach de reprendre son souffle, et reconnut immédiatement le Spadéis qui était venu à leur secours quelques jours auparavant.
L'homme à la stature impérieuse se tenait entre eux et la foule agglutinée en cercle.
– Messieurs, commença-t-il d'une voix austère. Je vous rappelle que vous êtes sur une place publique, au regard de tous. Aussi, et afin de ne pas davantage ennuyer les personnes qui nous entourent, je vous demande prestement d'arrêter ces facéties.
Malgré son ton cassant, le capitaine regardait Chris avec un certain intérêt. Zach se releva à son tour, non sans difficultés, et devint spectateur de la scène qui se déroulait sous ses yeux.
– Toutes mes excuses, Messire, dit Chris sur un ton poli qui interpella son ami.
Le jeune homme exécuta maladroitement un salut militaire, à l'image de ce qu'Owen avait fait devant le vieux Mortimer. Après tout, c'était sans compter sur le fait que lui aussi voulait, un jour, faire parti de cette confrérie légendaire qui maintenait l'ordre dans tout le pays.
Le soldat d'élite sembla apprécier l'effort.
– Eh bien soit, jeune homme. L'incident est clos.
Après un dernier regard, il retourna auprès de ses hommes de l'autre côté de la place.
– Ben dîtes moi, c'est devenu une vraie chiffe molle le jeune Andrews, dit John Paterson derrière eux.
Comme un seul homme, les deux jeunes se tournèrent vers le quadragénaire chargé comme une mule.
– Oh ! Bonjour, m'sieur Paterson, dit Chris ravi de retrouver un humour qu'il affectionnait.
Avant que Zach n'ait pu ajouter quoi que ce soit, son père continua.
– Tu voudrais bien reprendre tes affaires maintenant, dit-il en les balançant sur son fils. À moins que tu ne veuilles mordre la poussière une fois de plus ? Non mais je te jure, pour quoi tu fais passer les Paterson...
Zach, qui avait encore mal au bras et à l'épaule, reprit péniblement ses deux sacs.
– Rooh, c'est bon, se fâcha t-il. Je suis désolé de ne pas avoir vos talents de grosses brutes à tous les deux.
La remarque fit sourire le père de plus belle. Il adorait embêter son fils quand ils passaient un peu de temps ensemble.
– Tiens, ta mère serait sans doute ravie d'apprendre que tu tiens un peu d'elle finalement.
Un petit rire se fit entendre du côté de Chris.
Zach, ne voulant pas continuer sur cette voie, les ignora royalement et jeta un bref regard sur les personnes qui les entouraient, cherchant à savoir s'il reconnaissait quelqu'un.
La foule, qui s'était massée autour d'eux, s'était aussitôt dispersée en constatant que la scène avait perdu tout intérêt. Il y avait moins de monde sur la place que ce que Zach avait, de prime abord, imaginé. Après un rapide décompte, le lieu comportait plus de soldats que d'adolescents, un comble !
Il reconnut quelques personnes et leur dit rapidement bonjour d'un signe de tête. À part Chris, il ne se sentait pas très proches des autres jeunes du village. Quand ils fréquentaient encore les bancs de l'école municipale, Zach constituait un souffre douleur tout désigné pour bon nombre de leurs camarades.
– On a fini de bouder ? demanda son père.
Zach ne prit pas la peine de répondre.
– Ben t'en fais une tête, constata son ami. T'es pas si sensible que ça, d'habitude. Qu'est-ce qu'il y a ?
– Rien... Je repensais juste à l'école du village quand on y était.
Chris savait bien comment avaient été les autres avec son ami. Il le revit tout chétif, presque squelettique, les cheveux lui tombant sur les yeux, ne parlant pas et évitant de jouer avec les enfants de leur âge. Aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours eu l'impression que Zach se différenciait des autres et c'était ce qui lui avait donné l'envie d'aller vers lui.
Il se souvenait parfaitement dans quel contexte cela s'était produit. Son ami se faisait une énième fois bousculer par le gros dur de l'école et ce fut la fois de trop aux yeux de Chris qui avait décidé, ce jour-là, de venir à son secours. Le jeune blond repensait quelques fois à la façon dont il avait réglé son compte à cet imbécile, en lui plongeant profondément la tête dans le bac à sable. Il en souriait à chaque fois et se dit qu'il avait bien mérité ce mercredi après-midi passé dans l'auditorium à recopier des lignes.
Il se remémora le regard que son ami avait jeté sur lui, à ce moment là. Il avait alors ressenti toute la tristesse et la solitude de Zach mais, il y avait aussi perçu, et peut être pour la première fois chez le jeune brun, la joie d'avoir trouvé un ami.
Chris envoya une tape du poing dans le bras de son ami.
– Eh ! On peut savoir ce qu'il te prend ?
– Rien... Je suis content que nos chemins se soient croisés, c'est tout.
Zach se disait souvent qu'il avait eu de la chance d'être tombé sur Chris durant son enfance. Il pensait que sa vie aurait été bien différente aujourd'hui sans lui.
Cependant, il n'eut pas le temps de s'en émouvoir davantage.
– Mesdames et Messieurs, les interrompit à nouveau le capitaine. Il est l'heure de dire au revoir à votre famille. Le chargé de convoi souhaite partir dès que possible.
Sa voix, sobre et sans trace de précipitation, forçait néanmoins le respect. Tout le monde se mit à monter sur les chariots dans un même mouvement.
C'était l'heure des adieux entre Zach et son père. Chris, quant à lui, attendait Zach, assis dans un chariot, bien loin de celui d'Alexandra qu'il avait entrevue un peu plus tôt.
Cette dernière prenait un soin tout aussi manifeste à nier son existence.
– Alors, on te revoit pas avant l'année prochaine, c'est ça ? dit-il avec l'espoir que son fils daigne pour une fois revenir pendant la pause hivernale.
– On verra bien comment ça se passe... Je ne te promets rien.
Son père le prit dans ses bras.
– Arrête P'pa, ça craint ! Y'a du monde qui nous regarde, dit-il sans pour autant repousser énergiquement ce dernier.
Au fond, il adorait son père. Et même sa mère, quand elle était abordable. Mais il ne leur disait jamais. Il n'aimait pas faire étalage de ses sentiments. Non pas qu'il en soit totalement dépourvu, bien au contraire, mais il n'arrivait tout simplement pas à les exprimer comme il le voudrait. Cela lui avait beaucoup coûté durant sa courte existence, surtout à l'école, et il essayait désormais de surmonter cela avec Sarah.
– J'essaierai de voir pour cet hiver... dit-il finalement.
– J'espère bien, répondit son père en le serrant un peu plus fort dans ses bras.
Zach était le seul enfant qu'il ait pu avoir et qu'il n'aurait jamais. Il ne se remettrait tout simplement pas s'il venait à lui arriver malheur.
– Allez, faut que tu y ailles, dit-il en relâchant le jeune homme.
Après une dernière tape dans le dos, Zach finit par rejoindre son ami dans le véhicule. Le chargé de convoi donna le signal de départ peu après et les soldats sautèrent à leur tour sur leurs montures.
Zach jeta un dernier regard sur la place et aperçut son père faire des grands gestes du bras. Il lui répondit en faisant de même, jusqu'à que ce dernier finisse par se retourner pour rentrer chez eux.
Les cavaliers se portèrent de chaque côté des chariots pour les encadrer. Le bruit des sabots martelant le sol était une nouveauté pour les deux amis et ils trouvèrent cela plutôt réconfortant.
Une journée de voyage les séparait de Karaduc.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top