17 - En pleine tempête (1/3) ★
Le voyage de retour s'avéra plus difficile.
L'orage de la veille, loin d'être passé, s'était aggravé. La mer, sous les brusques coups de vents venus du littoral, s'agitait de toute part, faisant tanguer violemment le navire de droite à gauche. Le ciel, d'une obscurité troublante, rendait à peine perceptible l'eau qui martelait la coque. C'était à se demander comment le capitaine faisait pour se repérer. Seuls les éclairs, de plus en plus fréquents, vinrent zébrer le ciel et éclairer les lames de fonds qui leur arrivaient dessus.
Le trajet, initialement d'une durée de trois heures, en prit donc plus de cinq, faisant arriver nos amis qu'à la toute fin de l'après-midi dans la baie de Thulé.
– Mais quel temps de merde, vraiment ! s'écria Chris une fois sur le ponton du port.
Curieusement, le voyage de retour lui avait été bien plus supportable, l'agitation de la mer ayant constitué une distraction suffisante pour qu'il mette de côté son estomac.
– Tu m'étonnes ! Le capitaine a dit que ça faisait des années qu'il n'avait pas vu un truc pareil.
– J'espère seulement que mon père a attendu quelque part, bien à l'abri.
Pris dans le flux dense des passagers, ils se dépêchèrent de rejoindre la terre ferme, slalomant entre les hautes vagues qui venaient mourir sur le ponton de toutes parts.
Complètement trempés avant même d'y arriver, ils se laissèrent entraîner par la foule dans la première auberge venue.
– Oula, c'est bon ! Faut apprendre à se calmer ! s'emporta Chris lorsque qu'un couple de quadragénaires, arrivé dont ne sait où, l'envoya tête la première sur le montant de la porte.
Ces derniers, pas plus qu'ils ne l'avaient vu s'écraser contre le mur, ne relevèrent guère davantage la plainte émise à leur égard.
– Laisse tomber va, le calma son ami qui avait bien compris qu'il ne servait à rien de s'énerver dans un moment pareil.
Ils finirent par trouver une table proche du foyer de la cheminée. Disposée à la mode de Mercantile, en milieu de salle, cette dernière diffusait une chaleur agréable. Les deux amis commandèrent deux chocolats chauds, préférant de loin ce dernier, et pour quelque temps encore, à l'alcool dont ils avaient tant abusé dans la ville de Mercantile.
– On va enfin pouvoir se réchauffer un peu.
Zach profita de l'attente de leur commande pour scruter l'audience, à la recherche du père de son ami.
– Euh... tu sais que je vois ton père nulle part Chris...
– T'inquiète pas pour ça, tu veux. Mon père a l'habitude des voyages plus longs que prévu. La dernière fois que je suis revenu de Mercantile, je m'étais trompé de navire, va savoir comment ! Et il se trouve que je suis arrivé avec bien plus de retard qu'aujourd'hui. J'ai attendu dans cette auberge, comme nous sommes en train de le faire, et il m'a retrouvé sans trop de problèmes.
Une serveuse d'un certain âge vint leur apporter leurs boissons d'un air revêche. Chris la remercia et lui tendit une pièce pour le tout.
– Oui mais ça va faire tard pour rentrer sur Front de Mer. Et ma mère me tuera si je retarde encore mon retour...
– Ah... ben écoute mon vieux, je crois que c'est foutu pour ce soir. Il est déjà bien tard et, avec la tempête qui fait rage dehors, ça serait de la folie. Je pense que mon père doit nous avoir trouvé une chambre quelque part pour la nuit.
– Oh non, c'est pas vrai... se lamenta Zach en s'affalant sur la table, la tête entre les mains.
Les nombreuses et explosives remontrances que sa mère folle de rage ne manquerait de libérer sur lui accaparèrent son esprit.
– Mais arrête donc de flipper à cause de ta mère ! Des messages sont toujours envoyés dans les chefs-lieux des provinces pour les avis de tempête et les retards de navires. Mon père, pendant une des rares fois où mon esprit daignait l'écouter, m'a raconté ça, le rassura Chris.
Il prit une longue gorgée de son chocolat chaud.
– C'est pas comme si ta mère allait débarquer ici, comme ça, sans prévenir, continua-t-il en plaisantant.
– Et pourquoi pas, jeune homme ?
Gwen Paterson, accompagnée du père de Chris, venait d'apparaître derrière le jeune homme sans crier gare. La voix de sa mère fit immédiatement relever la tête de Zach, qui ne sut rien faire d'autre que de lancer un regard plein de stupeur à la nouvelle arrivante, encapuchonnée dans un épais manteau de voyage.
– Alors, c'est comme ça que tu comptais rentrer à la maison ? dit-elle en enlevant sa capuche et en désignant de la tête les tasses à moitié vide sur la table.
– Mais... qu'est-ce que tu fais là, maman ?
– Quelle question ! Je suis venue te chercher bien sûr. Vu que tu n'as pas l'air décidé à rentrer...
Son ton restait neutre mais Zach savait très bien que sa mère était plus qu'énervée.
– Madame Paterson, Zach n'y est pour rien. Vous voyez bien qu'il ne pouvait rien faire de plus avec le temps qu'il fait dehors. Ce n'est pas sa faute si...
– Jeune homme, dit-elle en se retournant vers le jeune effronté. Je ne pense avoir besoin de leçons de moral venant d'un excité comme toi.
Monsieur Andrews approuva d'un geste de la tête la remarque, invitant de cette façon son fils à tenir sa langue. Il était plus que probable qu'il commençait à en avoir marre d'être sans arrêt au service de son fils.
Ce dernier se contenta de grommeler dans son coin.
– Maman ! Tu n'as pas à...
– Tu n'as pas à me dire ce que j'ai à faire ! s'emporta la mère de famille en attirant quelques regards indiscrets des tables voisines.
– Gwen, un peu de calme voyons, essaya de temporiser le père de Chris.
Écoutant l'ami qui l'avait conduit jusqu'ici, la mère de Zach respira profondément afin de retrouver un semblant de sérénité.
– Comment as-tu pu nous laisser, ton père et moi, dans l'incertitude la plus totale ? reprit-elle d'une voix lasse.
– Quelle incertitude ? Je crois vous avoir envoyé un message pour vous prévenir, non ?
Sa mère ne voulait rien entendre de plus sur ce point.
– Très bien, dans ce cas dis moi pourquoi tu n'es pas rentré hier comme prévu ? Qu'est-ce qu'il s'est passé pour que tu sois obligé de rester une journée entière de plus sur Mercantile ?
Zach, mortifié à la seule idée que sa mère puisse apprendre qu'il a été incapable de se lever la veille simplement à cause d'un excès d'alcool, ne sut pas quoi répondre.
Il n'eut pas le temps de réfléchir à une parade que sa mère l'apostropha de nouveau.
– C'est bien ce qu'il me semblait. Tu n'avais aucune raison valable.
Elle se dirigea de manière autoritaire vers lui et lui prit le bras.
– Tu dois te douter qu'il est trop tard pour rentrer aujourd'hui, continua-t-elle. Monsieur Andrews et moi avons réservés des chambres dans une auberge de l'autre côté du port.
– J'espère seulement que ton père ne s'inquiétera pas plus, dit-elle plus pour elle-même que pour les autres en relevant son fils. Il a été obligé de rester à Front de Mer pour les bateaux. Souhaitons seulement qu'ils ne souffrent pas trop de la tempête.
Devant l'inquiétude non feinte de sa mère pour son mari, Zach ne protesta pas davantage. Il se contenta de suivre les deux adultes qui se dirigeaient vers la porte, laissant derrière lui un chocolat chaud à peine entamé. De peur d'aggraver la situation et d'attirer encore un peu plus l'attention sur le petit groupe, il était bien résolu à se taire.
Chris, une fois l'agacement passé, s'amusa comme à son habitude de la manière dont Zach était malmené par sa mère.
– Tu n'es pas mieux loti, je te signale, lui reprocha son père sur un ton qui se voulait sévère.
– Hum...
Il pleuvait toujours des cordes dehors et Zach n'avait pas eu le temps de remettre sa cape correctement. C'était tout juste si il avait pu récupérer son sac sous la table...
Mais sa mère avançait déjà sur le trottoir en lui tirant le bras.
– Maman arrête ! Je vais être trempé !
– Tu seras trempé dans tout les cas. Tu m'as assez fait perdre mon temps, ça suffit maintenant ! Il ne vaut mieux pas rester dehors.
Zach voulut à nouveau protester mais un éclair déchira le ciel dans un fracas assourdissant. Il avait pris pour cible le paratonnerre du clocher voisin, à seulement quelques mètres d'eux. La barre de métal rougeoyait encore intensément, bien après l'impact. Des cris se firent entendre et les quelques rares personnes encore assez téméraires pour être dehors cédèrent à la panique en courant frénétiquement à la recherche d'un abris.
– Il faut vite rentrer à l'auberge Zach, alors arrête de discuter !
Un nouvel éclair fendit le ciel, un peu plus loin d'eux cette fois-ci, puis un autre... et encore un autre... Ce qu'ils avaient au dessus de leurs têtes se déchirait dans des râles de douleur. Le jeune homme n'avait jamais connu un temps aussi apocalyptique.
Inquiet, il se retourna pour voir où étaient son ami et son père. Juste derrière eux, le menton rentré dans leurs manteaux bien ajustés, ces derniers les suivaient de près.
Le petit groupe longea le port, qu'il n'était plus question d'emprunter, pendant d'interminables minutes.
– C'est ici. Entre vite, le précipita sa mère.
Zach ne s'était pas rendu compte qu'ils étaient arrivés devant la façade d'une auberge, au pied de la falaise qui surplombait la ville au nord. La taille minimaliste de cette dernière laissait penser qu'une grande partie de l'établissement devait être aménagé dans la roche même.
Trop frigorifié pour pousser davantage sa réflexion, il entra le premier, suivi de près par sa mère et leurs deux amis.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top