Chapitre 1
- C'est horrible, je crois que tu n'imagines pas à quel point! me plains-je.
A l'autre bout du fil, Camille ( Cam pour les intimes) émet un grognement de dégoût.
- Ma pauvre, je compatis tellement! Heureusement que ce n'est que provisoire.
- Un "provisoire" qui va me sembler une éternité!
Alors que je pousse un soupir d'exaspération, mes yeux s'attardent sur la pile de cartons que je n'ai pas encore eu le courage d'ouvrir. Les déménageurs ont tout déposé en vrac au milieu de ce qui me sert désormais de salon. Tout est là depuis ce matin et je n'ai, pour le moment, sorti qu'un plaid que j'ai déposé sur le canapé sur lequel je me suis échouée.
Ma force vitale m'a quitté à mesure que mes pieds se sont éloignés de Toulouse, ma ville de cœur. Déménager n'était pas prévu dans mon plan de vie sur cinq ans, mais un élément imprévu au programme m'a forcé à prendre cette décision drastique. Si seulement j'avais pu me retrouver à Paris ou dans n'importe quelle grande ville au lieu d'atterrir...dans ce trou à rat!
J'ai conscience de cracher dans la soupe, ce n'est pas correct, mais je suis tellement désemparée à l'idée de rester ici que cela me rend virulente.
- Mon père dit que c'est une sorte de secte, j'espère qu'ils ne vont pas te faire faire des rituels étranges, s'inquiète Cam.
- Je mourrais d'ennui avant qu'ils ne parviennent à faire de moi un sacrifice humain, plaisanté-je pour la rassurer.
A moins que ce ne soit moi que j'essaye de convaincre?
Le géniteur de ma meilleure amie travaille dans une banque d'affaires et a le bras long. Quand sa fille lui a indiqué ma situation pour le moins compliqué, il a fait jouer ses relations pour me mettre à l'abri rapidement.
Cet endroit coupé du monde est exactement ce qu'il me fallait, j'en ai conscience, cependant je ne me sens pas à ma place ici.
Il va pourtant falloir que je m'y fasse!
Après avoir raccroché, je décide de m'emmitoufler dans mon plaid sans trouver la force de déballer mes affaires.
Je sombre dans une profonde affliction, ne cessant de ressasser ce qui m'a poussé à me retrancher ici, quand des coups frappés à la porte m'extirpent de ma torpeur.
Sans prendre la peine de quitter ma couverture, je me traîne jusqu'à l'entrée et ouvre.
- Bonjour! s'écrie une jeune femme blonde, un immense sourire accroché aux lèvres.
Sa fougue me surprend et je sursaute malgré moi.
Je bafouille un bonjour timide en guise de réponse et elle enchaîne rapidement:
- Je m'appelle Méora, j'habite juste à côté ( elle indique la maison sur sa droite de son index) , je suis tellement contente que la communauté accueille une nouvelle habitante!
Je tente de plaquer un air aimable sur mon visage, mais je dois avouer que c'est difficile.
- Enfin de la chair fraîche, plaisante-t-elle en me gratifiant d'un clin d'œil.
Du moins, j'espère qu'elle plaisante.
Devant mon mutisme, elle se sent obligée de préciser:
- C'est une blague!
- J'avais compris! lui rétorqué je sur le même ton trop enjoué pour être honnête.
Un blanc gênant s'installe entre nous et j'espère qu'elle va vitre repartir pour que je puisse retourner à ma dépression. Malheureusement, elle semble déterminée à squatter le seuil de ma nouvelle maison.
Elle me fixe, attendant que je prenne la parole, mais je demeure muette. Je ne sais pas quoi lui dire ni ce qu'elle attend de moi. Peut-être veut-elle que je l'invite à entrer? Je dois avouer que je n'en ai aucune envie, pour le moment ma cuisine est vide et mon salon ressemble à un champ de bataille.
Au bout de plusieurs secondes, elle me tend une boîte en plastique toute décorée de papillons bleus et roses.
- Ce sont des cookies que j'ai fait avec mes enfants!
Je la remercie et ouvre le couvercle. Ce qui se trouve à l'intérieur ressemble à tout sauf à des gâteaux. Je me retiens de grimacer:
- Ça a l'air...délicieux!
- Je sais qu'ils ne sont pas très réussis, mais ils ont très bon goût.
- Je n'en doute pas!
Je relève les sourcils pour simuler la joie, tout en ayant conscience que je suis une très mauvaise actrice.
Nous nous regardons encore quelques instants en chien de faïence avant qu'elle ne se décide à reprendre la parole.
- Bon et bien, j'espère que nous nous reverrons bientôt. N'hésites pas à venir me voir pour quoi que ce soit, même si c'est juste pour discuter.
Le clin d'œil qui accompagne sa phrase me met mal à l'aise.
- C'est gentil, mais je ne compte pas rester longtemps et avec mon travail, je suis très occupée, donc je ne pense pas que nous nous voyions souvent.
Méora semble déçue par ma réponse, mais peu importe, je n'ai pas envie de me lier d'amitié avec qui que ce soit ici. J'ai déjà mon compte d'amis et je n'ai pas la force d'accueillir de nouvelle personne dans ma vie. Si je suis venue ici, c'est pour me cacher, pas pour me dévoiler à des inconnus.
- Tu sais, précise-t-elle, ici c'est une communauté et tout le monde se côtoie tôt ou tard donc...il est probable que nous nous croisions souvent,...très souvent!
Je rêve ou elle essaie de me forcer la main pour que nous devenions proche?
- Je ne veux pas te vexer, mais je ne suis pas venue pour...enfin, tu me comprends non?
Il est préférable de couper court à toute tentative de drague. Certes, elle pourrait être jolie si elle s'arrangeait un peu, mais je n'ai jamais été attirée par les femmes et, de toute façon, j'ai décidé de tirer une croix sur toute relation amoureuse, même les coups d'un soir. Cela n'amène que des problèmes de toute façon et j'ai déjà un bagage assez lourd à trainer.
Son air ahurie me confirme qu'elle n'a pas compris mon message, ou alors elle le fait exprès.
- Je ne vais pas coucher avec toi!
Là au moins elle ne peut que comprendre. Je devine à l'expression de son visage que je me suis fourvoyée.
- Mais,...mais non, bredouille-t-elle, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire! Je voulais juste être aimable!
- Oh! Je préférais qu'on soit claire toutes les deux, c'est tout, me justifié-je. Maintenant que le malaise est passé, je vais aller goûter ces...gâteaux. Merci encore!
Sans lui laisser le temps de rétorquer, je referme la porte.
Bon sang, qu'est ce qui ne va pas chez moi? Pourquoi faut-il toujours que je prononce à haute voix le fond de ma pensée? Surtout que mes pensées sont trop souvent défaillantes. Cette jeune femme est la première personne à qui je parle ici et elle doit me prendre pour une folle.
Heureusement que je ne souhaite pas établir de relations.
La boîte sur les genoux, je goûte les immondices au chocolat qu'elle m'a apporté. Je dois avouer que le goût n'est pas si mauvais. En même temps, cela doit faire vingt-quatre heures que je n'ai rien avalé donc à ce stade, même un sac poubelle me paraîtrait comestible.
De nouveaux coups sont portés sur la porte et je me relève en soupirant pour aller ouvrir.
- Excuse moi de te déranger encore, mais je ne t'ai pas retenu ton prénom, me demande ma voisine.
- Surement parce que je ne te l'ai pas donné, rétorqué-je, frustrée à l'idée que l'on me dérange une nouvelle fois pendant ma dépression-canapé.
Je profite de sa gêne pour la détailler de la tête aux pieds. À peine plus grande que moi, des cheveux châtains, mi-longs qui tombent aléatoirement sur ses épaules, un regard azur qui pourrait être joli si d'énormes cernes ne venaient pas les cercler, des joues très pâles et un sourire trop gentil pour être honnête.
- C'est pas faux, confirme-t-elle, et donc...serait-il possible de le connaître?
L'hésitation s'empare de moi, mais je me fais violence. Je me dois d'être un minimum sociable, même si ce n'est pas ma tasse de thé.
C'est plus fort que moi pourtant, j'ai un mal fou à m'ouvrir, à communiquer et à apprécier être avec d'autres êtres humains. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais je dois faire des efforts surhumains chaque jour afin de garder des interactions sociales. C'est comme si côtoyer des gens s'épuisait de l'intérieur. La plupart du temps ils m'agacent, me mettent hors de moi, me désespèrent et me rendent folle. Heureusement, certains sortent du lot, c'est notamment le cas avec Camille qui est ma meilleure amie depuis le CP.
- Je m'appelle Nixa.
- C'est très joli! s'extasie la jeune femme.
- Oui je sais, merci, maintenant je vais...continuer ce que j'étais en train de faire, je suis TRÈS occupée donc,...
- Oui, pardon, je te laisse...faire ce que tu fais!
- Ok!
La porte claquée, me voilà de retour sous la couette, du chocolat plein les dents. Enfin je peux continuer à m'apitoyer sur mon sort. Je repense à ma vie, au super appart' que je laisse derrière moi pour atterrir dans cette maison de ville à moitié en ruine. A Cam, à nos amis, à Simon...
TOC TOC TOC
Mon sang ne fait qu'un tour à l'idée que cette sangsue est revenue me déranger. J'ai pourtant essayé de rester courtoise, mais là elle dépasse les bornes.
Enervée, je bondis et attrape violemment la poignée. Quand j'ouvre d'un coup sec, je balance en même temps:
- Bordel, je ne veux pas coucher avec toi alors lâche moi, espèce de tarée!
- Je ne veux pas coucher avec vous non plus! me rétorque une voix grave, beaucoup trop grave pour être ma voisine.
Les yeux collés à un torse masculin impeccablement moulé dans un t-shirt noir, mon cerveau met quelques secondes à réaliser que ce n'est pas Méora qui se trouve devant moi. Quand enfin je me décide à relever mon visage, je tombe dans un abysse noir sans fin qui me happent et me donne le vertige. Jamais je n'avais vu des iris si profonds, si sombres. Le visage qui les entoure n'est pas si mal non plus, mais je n'arrive pas à décrocher de son regard.
- Maintenant que c'est dit, ce serait sympa si vous pouviez bouger votre voiture, je ne peux pas sortir de mon garage.
- Ma voiture?
Voilà la seule réponse que je parviens à articuler. Je suis ridicule!
- Oui, un tas de ferraille rouge avec quatre roues, me précise-t-il, cynique.
- Heu...oui! J'arrive!
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