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Depuis mon dernier souvenir, j'ai moins de mal à me déconnecter, j'ai moins peur. Et je sais aussi sur quoi diriger mes pensées pour me calmer. Je n'y avais jamais pensé — probablement parce que je ne m'en souvenais pas —, mais mes passions sont comme un calmant pour moi.

Je focalise mes pensées sur la littérature et la musique ces derniers temps, pour m'éviter de remarquer qu'Aaron n'a toujours pas fait de réapparition, pour oublier que je ne veux plus entendre personne hormis lui. Et rien que d'en formuler la pensée, j'ai envie de pleurer et de hurler. Être ainsi enfermé avec moi-même devient de plus en plus dur à supporter, et il ne me reste plus qu'un seul sujet à aborder : les livres.

Si je compte, j'ai 500 livres et des poussières. Un nombre exorbitant pour certains, mais d'après ce dont je me souviens ce n'était jamais assez. J'avais toujours besoin de plus, il y avait toujours de nouveaux livres qui sortaient, qui me faisaient envie, ou même des anciens que je découvrais. La bibliothèque et la librairie étaient mes deuxièmes maisons, j'y passais le plus claire de mon temps. Elles étaient d'ailleurs dans ma rue, c'est comme ça que je les ai trouvées. Puis, je suis rapidement devenu un habitué des lieux, connaissant les dirigeants, les moindres rayons, les moindres œuvres, je connaissais même les clients. Je faisais de nouvelles rencontres, m'aventurais vers de nouvelles choses. Connaître les rayonnages par cœur me permettait de rapidement voir les nouveaux arrivages, et souvent je m'en emparais dans les minutes qui suivaient mon arrivée. C'est pour ça d'ailleurs qu'on me prenait souvent pour un employé, et je dois avouer que j'en jouais pas mal, je m'amusais à guider ou conseiller les clients, pour que finalement un véritable salarié vienne avec un air amusé sur le visage. Le plus drôle dans tout ça, c'est qu'à chaque fois, la personne que j'aidais repartait avec au moins un livre que j'avais cité. À croire que j'avais une influence spéciale sur les lecteurs, bien que je pense juste que quand deux passionnés parlent, ils savent reconnaître les bons conseils. En général ils arrivent même à reconnaître un bon livre grâce au premier chapitre et au résumé, mais ça c'est autre chose.

Combien de diamants bruts est-ce que j'ai trouvé dans des livres que je n'aurais jamais ouvert si je ne m'ennuyais pas ? Énormément. C'est d'ailleurs la moitié des livres que je relis. Les gens ont du mal avec ça, je déteste jeter ou vendre mes livres, à part quand je ne les aime pas, et même comme ça, la plupart du temps je les garde. Je ne les abîme pas, j'en prends énormément soin. Et j'aime les relire, c'est pour ça que je les conserve, je les relis quand l'envie m'en prend, et puis, il y a tout de même un bon nombre de livres dans mes bibliothèques que je n'ai jamais ouvert, tout simplement parce que je les avais lus avant de les acheter. Là encore, on me demande pourquoi, à quoi ça sert. C'est simple pourtant, c'est comme une sorte de fierté d'avoir certains livres à soi. Après, je ne les achète pas tous, ô non, sinon je serais ruiné par mes achats et je n'aurais même plus la place suffisante dans ma chambre pour mettre mon lit.

J'avais un rythme de lecture qui s'élevais à, en moyenne, plus de 300 livres par an. Pourtant, il y avait des fois ou je ne lisais pas, mais alors pas du tout, et puis il y avait des moments où je m'enfilais un, deux, trois, quatre voir cinq bouquins par jour, ce qui fait vite une bonne cinquantaine de livres par mois. Certains disent que c'est trop, d'autre pas assez, moi je n'y accorde pas d'importance. Je lis comme j'en ai envie, ce que je veux, comme je veux et autant que je veux.

Mais il existe pire que moi, ô ça oui, bien pire, à en faire halluciner la moitié du monde. Qui ça ? Aaron. Pour faire simple, il a une bibliothèque encore plus grande que la mienne dans sa chambre, plus des bibliothèque un peu partout chez lui, et dont tous les livres — ou presque — sont à lui. Il en a, c'est une approximation, je ne me souviens pas m'être amusé à les compter, mais d'après mes souvenirs, 800 ? 900 peut-être ? Je ne sais même pas. Le pire c'est qu'il en prête énormément et donc qu'il y a plein de livres qu'il n'a pas chez lui, et donc — encore une fois — on ne peut jamais vraiment savoir combien il en a. Ce que je sais, c'est qu'il lit deux fois plus vite, et plus que moi. Il peut s'enchaîner 8 livres à la suite sans que ça ne le dérange. Et là où je l'admire, c'est qu'il est émotif.

Les mots le touchent plus qu'ils ne touchent n'importe qui je pense. Je l'ai rarement vu lire un livre en étant stoïque. Il rit, pleure, est en colère, selon les événements du livre. Et en général, en fonction de ce qu'il lit, il est plus ou moins joyeux. Combien de fois l'ai-je vu être à fleur de peau parce qu'un de ses personnages préférés avait fait n'importe quoi ? Aaron est fascinant quand il lit, je suis sûr qu'il ferait un modèle plus qu'intéressant pour n'importe quel photographe. Et puis, c'est un bel homme, et il dégage quelque chose. Peut-être que c'est son regard, ou bien les expressions de son visage, ou encore son sourire... mais il dégage quelque chose de pas commun ça c'est un fait.

Ça me manque de l'observait lire, dessiner, écrire. C'est la personne la plus artistique et créative qu'il m'ait été donnée de connaître. Il a un nombre de passion ahurissant. Il aime tout faire, et le pire c'est qu'au premier abord on ne dirait pas qu'il est comme ça, mais une fois qu'on le connaît un peu, il pue la créativité. Si lui n'arrive pas à faire un métier qu'il aime, vu le nombre de possibilités qui s'offrent à lui, je pense que personne ne pourra. Si son livre ne fait pas un carton, ça sera que le monde sera tomber bien bas. Cet enfant a un talent pur, c'est une perle rare, une pépite. Il peut tout faire, il est doué en tout. Mais surtout pour l'écriture. La pire punition qu'on pourrait lui infliger serait de le priver de ça, le priver d'écrire. Si on lui prenait ses stylos, son papier, son téléphone, son ordinateur, se serait comme signer sa fin. Il deviendrait fou.

Un jour il a essayé de m'expliquer où il trouvait l'inspiration et pourquoi il devait écrire. Et, je n'ai rien compris ou alors rien suivi. Pourtant j'ai essayé, mais c'était tellement... incompréhensible pour moi. Je ressens parfois la même chose que lui, mais pas comme ça, pas exactement, pas à ce point.

Me revoilà à me sentir mal parce que je pense à lui. Mais étrangement la douleur est différente, presque plaisante.

*

J'observe Aaron, un sourire aux lèvres. Il est assis à notre table, penché au-dessus de son cahier, écrivant à toute vitesse des lignes et des lignes. Ça lui est venu comme ça, on parlait et puis il s'est mit à s'agiter. Je commence à avoir l'habitude alors j'ai su que je devais arrêter de parler, et je me suis contenté de mettre un peu de musique. D'après ce que j'ai compris, ça l'aide à se concentrer sur l'essentiel. Certains pourraient trouver ça étrange, sa manie d'écrire n'importe quand et n'importe où, mais moi je l'accepte. Je sais que l'écriture fait partie de lui, c'est comme ça, on ne pourra rien y changer, et heureusement ; et puis il est fascinant quand il est pris par l'inspiration. Il est fait pour ça, je le sais. Il est fait pour écrire. Il a du mal à y croire, il me le dis souvent. Il pense qu'il n'a pas assez de talent pour être lu. C'est pour ça d'ailleurs qu'il ne m'a jamais laissez le lire. Mais je pense qu'il a dû sous-estimer mes talents d'enquêteur.

Je sais qu'il publie ses écrits. Je ne sais plus où exactement, je crois que c'est sur un forum ou un blog. Il est en anonyme bien sûr, mais je l'ai trouvé. Au début je lui en ai voulu, puis j'ai juste pris le temps de lire tout ce qu'il avait posté. J'en serais tombé si je n'avais pas été assis. Sa plume est d'une beauté sans pareille, et sa façon d'utiliser les mots et de les manier est unique. Je n'ai jamais pu lui dire de vive voix, je sais qu'il ne me croirait pas de toute façon, alors je me contente de mettre des commentaires sur ses textes, gardant le silence face à lui.

Je continue de le regarder, mes quelques minutes d'égarement lui ont suffi pour écrire cinq pages. Je ne sais pas comment il fait, à croire que tout lui vient comme ça, que ça lui est soufflé au creux de son oreille. Je sais très bien qu'il pourrait faire ça pendant toute la journée si je ne l'arrête pas, mais je n'ai pas envie de briser sa bulle, pas encore. Alors je réfléchis à ce que je pourrais faire, et puis quand son rythme d'écriture ralentira je recommencerai à lui parler, c'est une petite routine que j'ai mise en place pour les moments comme ceux ci.

En général je fais de la musique, je regarde Aaron, j'essaye de lire par dessus son épaule ou autre, mais aujourd'hui je n'en ai pas l'envie. Hier je me suis pris la tête à essayer de finir une musique et je n'ai pas réussi donc je vais éviter de reprendre ma guitare, et puis pour la terminer il me faudrait l'aide d'Aaron donc je peux oublier. Le regarder commence un peu à me lasser et je ne peux même pas essayer de lire ce qu'il écrit puisqu'il cache complètement ce qu'il fait. Je sais que c'est parce qu'il a peur que je le lise, alors je vais éviter de rester trop près de lui, comme ça il pourra se concentrer et se détendre.

Je regarde un peu les alentours, sa chambre est plutôt rangée, juste quelques cahiers et stylos qui traînent par-ci par-là. Elle est un peu plus grande que la mienne, je peux l'affirmer mais elle est beaucoup plus remplie. Il a, si je compte bien, quatre meubles de bibliothèque, chacun de la même taille, assemblés, et chacun rempli à ras bord. Les livres sont rangés, mais on peut voir au bout d'un moment qu'il manque toujours de place, ses ouvrages sont empilés les uns sur les autres, à tel point qu'on ne voit pas le fond de ses meubles. Je m'avance vers ceux-ci, et je vois à la façon qu'a mon meilleur ami de se redresser que j'avais raison, il va pouvoir écrire en paix.

Quand j'arrive devant ses bibliothèques, je passe au fur et à mesure mes doigts sur chacune des tranches s'offrant à moi, lisant les titres des bouquins, souriant en me souvenant de quelques discussions endiablées sur certains d'entre eux. Parfois je tombe même sur des nouveautés et je me permets de les sortir pour en lire le résumé, retenant les titres de ceux que je vais devoir me procurer ou lui emprunter.

Une fois tout ça finis, je fais le tour de la chambre et finis par me jeter sur son lit tout en me positionnant pour le regarder. Il a un bureau mais il ne va jamais dessus, Aaron préfère s'installer à cette espèce de table basse que l'on a montée et achetée ensemble. Il est toujours plongé dans ce qu'il écrit, et moi je m'ennuie de plus en plus. Je l'adore, mais parfois l'attendre devient énervant. Je m'allonge sur le dos et regarde le reste de sa chambre : elle est vraiment grande. Elle ressemble énormément à la mienne, c'est peut-être pour ça que je m'y sens si bien.

Mes yeux tombent sur le bureau d'Aaron. Je n'arrive pas à savoir s'il est rangé ou non, je pense qu'il y a tellement de choses à stocker que c'est ce qu'on appellerait un « bordel organisé ». Je fouille un peu, puis quelque chose attire mon attention. Un appareil photo. L'appareil photo d'Aaron. Il a économisé pendant des mois pour pouvoir se le payer, et attention il n'en voulait pas un autre, non, il voulait celui-là, un point c'est tout. J'en ai entendu parler pendant des mois, et quand il l'a enfin eu, il l'emmenait partout avec lui. Je me souviens que je faisais souvent la tête parce qu'il s'amusait à me prendre en photo alors que je déteste ça, puis au fur et à mesure c'est devenue un jeu.

Je m'en empare, une petite idée en tête. Et si j'improvisais un shooting photo ?
Je m'avance lentement, tel un fauve guettant sa proie, me positionne vers le meilleur angle possible, veillant à ce qu'Aaron ne le remarque pas, même si dans tous les cas il est tellement absorbé parce qu'il fait qu'il ne me remarque pas, amène doucement l'appareil photo à mon visage, cadre le tout et appui sur le bouton.

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Une.

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Deux.

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Trois.

Je sais que mon meilleur ami a remarqué ma combine, il sourit discrètement, et apparemment mon passe temps ne le dérange pas, alors je continue, changeant de place, alternant portrait et paysage, en venant à m'allonger par terre pour faire certaine photos.

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Je le mitraille, je le bombarde avec son propre appareil, et il se prend au jeu. Mon meilleur ami prend la pose, regarde droit vers l'objectif, bouge un peu, et je devine alors que l'inspiration a finit par peu à peu s'amenuiser jusqu'à ce qu'il n'ait plus rien de cohérent à écrire. Je souris à mon tour, retenant un éclat de rire, et continue de le prendre en photo. Je ne sais pas ce que ça va donner, je suis loin d'avoir le talent d'Aaron, mais quand on est un aussi beau model que lui, je suis sûr que même le pire photographe arriverait à faire des chef d'œuvres.

Il commence à partir dans un fou rire alors que je continue de prendre quelques clichés, mais je finis vite par le rejoindre me pliant littéralement en deux. Quant à lui, il est en train de se rouler au sol sans que je ne comprenne pourquoi, je sais juste que le voir aussi ridicule me donne le plus gros fou rire de toute ma vie et j'en ai mal aux abdos au bout de même pas trente secondes. Quand je finis par m'arrêter de rire, j'ai des larmes qui coulent sur mes joues et Aaron est dans le même état que moi. Je le regarde et lui souris, on doit avoir des têtes d'imbéciles heureux tout les deux, mais je pense qu'on s'en fout un peu au point où on en est. On se complète et c'est tout ce qui compte.




H.

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