7.5

— On les regarde ? me demande Aaron avec un sourire en coin.

— Carrément ! répondis-je.

On s'assoit tous les deux sur le lit et je commence à faire défiler les photos, repérant les clichés plutôt réussis et ceux totalement ratés. Il faudra que je me les envoies et que je les tries moi-même avant qu'il ne puisse toucher à son appareil, on ne sait jamais ce qu'Aaron pourrait faire de ces portraits. Je n'ai aucune envie de me rendre compte qu'il les a supprimés, c'est hors de question. Je les garderais, quitte à en tapisser ma chambre s'il le faut.

Mon meilleur ami reste silencieux à côté de moi, je l'observe discrètement. Il sourit, mais je ne sais pas ce qu'il pense des photos.

— Alors ? je demande, soucieux.

— Ouais... elles sont potables, répond-t-il.

Il fait sa remarque avec un sourie au coin des lèvres, et je sais qu'il me taquine, alors je me prends au jeu :

— Ah vraiment ? rétorqué-Je en me redressant.

- Ouais, on voit que le photographe manque de pratique, il continue, son sourire s'agrandissant.

Ma bouche s'ouvre sous le choc. Je ne pensais pas qu'il allait faire cette remarque et je compte bien lui faire payer :

— Tu te fous de moi là ?

— Moi ? Je n'oserais pas, voyons, quelle idée, il répond avec une lueur de malice dans le regard.

Ni une, ni deux je me retrouve au dessus de lui en train de le chatouiller et de le taper légèrement sur la tête. Il commence alors à se débattre dans tous les sens, essayant de me faire tomber et émettant quelque cris très peu viril.

— Ah, ça y est, le photographe pro nous montre ça vrai nature hein ? Fillette ! le taquiné-je.
- N...non... ah... Arrête s'il te plaît... Tay', arrête ! ria-t-il, n'arrivant pas à former une phrase cohérente, à moitié plier de rire.

— Qu'est-ce que tu as dit ? Je n'ai pas compris, tu veux que je continue ?

— Non ! Ar... Arrête Tay' !

Il est violent ! J'essaye de le contenir tout en riant, sachant que je le bat musculairement parlant, mais il profite de sa grande taille — même si je pense qu'il ne sait pas trop ce qu'il fait en l'instant — et me renverse. Je tombe la tête la première entre sa tête et son épaule, sur le lit. Le reste de mon corps se retrouve allongé sur le sien. Oh je vais me venger.

Je me redresse un peu et retombe d'un coup sur lui, de tout mon long et surtout de tout mon poids.

— Ouff.. Tay' c'est pas que t'es gros mais tu m'écrases là, lâcha-t-il.

— Et alors ? marmonné-je.

— Bouge s'il te plaît.

— Nan t'es confortable.

— T'es un enfant tay'.

— M'en fout.

— Allez bouge.

Il essaye de me soulever à l'aide de ses bras, mais je m'accroche à lui tel une moule à son rocher. Ou tel un enfant à sa maman. Je profite de la situation et le serre encore plus, comme si je lui faisais un câlin, comblant mon manque d'affection.

— Tay' aller, reprit-il.

— J'ai pas envie, soupiré-je.

— Aller...

Il me pousse légèrement mais je ne cille pas.

— À une condition, négocié-je.

— Oui ?

— Tu dois m'expliquer pourquoi parfois tu ressens ce besoin d'écrire, tu sais, comme t'as fait tout à l'heure.

— Non Tay'.

— Oh s'il-te-plaît !

Il semble réfléchir quelques instants avant de craquer :

— Bon d'accord, mais décale-toi je peux plus respirer là.

Il souffle et je le laisse se redresser un peu, toujours accroché à lui.

— Tu ressembles à un koala Tay'.

— Et alors ? C'est mignon les koalas, grogné-je.

—Je sais Tay'.

Il sourit doucement en répondant et je rougis un peu avant de me cacher en le serrant plus contre moi. Il sait que quand je suis comme ça, c'est que je suis en manque d'affection, et que je laisse tomber mes barrières, alors il me laisse faire. Il me tapote l'épaule et demande avec un regard s'il peut commencer à m'expliquer et je lui réponds à l'affirmative par un hochement de tête.

— Alors... j'aime l'écriture, c'est un fait. Tu le sais, enfin je pense que ça se voit quand même énormément dans mon comportement. Tu sais, je trouve que c'est un moyen de s'échapper de la réalité, un moyen d'exprimer tout ce que l'on ne peut pas dire. Et puis l'écriture ne se résume pas qu'à une seule chose, au contraire ! C'est tellement vaste ! Tous les textes, les poèmes, les haïkus, les histoires, les récits, les biographies, les autobiographies, les raps, les chansons, les slams et j'en passe ! Tu peux tout faire avec l'écriture, et comme tu le veux, tu es libre. Tu es libre de ce que tu écrit, libre de ce que tu dis, libre de le faire lire ou non, libre de la façon dont tu dis les choses, libre d'être organisé ou désorganisé ! C'est à ta guise, c'est comme tu veux. Et tu vois, j'ai besoin de ce sentiment de liberté que je ressens quand j'écris, j'ai besoin d'avoir cette liberté de crier au monde tout ce que je n'ai jamais osé dire.

J'avais oublié la passion avec laquelle il en parlait, mais étrangement ça m'apaisé et ça me plaît de le voir comme ça. Sans m'en rendre compte, je ferme mes yeux et me repose contre son épaule.

— Tu sais, continue-t-il, il y a des gens qui prennent des cours pour savoir comment écrire, et puis il y en a qui ont un talent pour ça, un "don". Il y a aussi ceux qui font ça comme ils veulent et qui s'en foutent. Pour moi, l'écriture ça ne s'apprend pas, c'est quelque chose de naturel, de sentimental. Ça se ressent, l'écriture. Ça doit venir de toi, ça doit être personnel, expressif. Quand tu écris, tu fais ressentir des sentiments au lecteur. La façon dont tu associes les mots va plus ou moins toucher celui qui te lit. Je trouve ça beau, qu'avec des mots on puisse faire pleurer quelqu'un.
L'écriture c'est fascinant, c'est poétique, c'est révoltant en un sens, c'est touchant. Ça représente tout et rien à la fois tu sais. "Les paroles s'envole et les écrits restent", tu connais ? C'est ce que j'ai lu un jour. Le problème c'est que la personne qui analysait cette phrase utilisait selon moi le mauvais point de vue. Elle disait que la première partie de la phrases était préférable à la deuxième, parce que l'on donne aux paroles une image aérienne tandis que celle des écrits apparaît comme une ancre. Je suis à la fois d'accord et à la fois en désaccord avec ça. Les paroles s'envolent oui, mais les écrits, qu'est-ce que c'est ? Des choses qui n'ont jamais étaient dites, ou alors au contraire qui l'ont été. Alors si les écrits sont des paroles, il n'y a quasiment plus de différence à faire, tu vois ? Je veux bien que la deuxième partie de la phrase ressemble à un poids, mais c'est aussi un moyen de se souvenir, toujours, de ne jamais oublier certaines paroles, certains faits. C'est ce que j'aime aussi dans l'écriture.
Tu voulais savoir pourquoi parfois je ressens ce besoin d'écrire hein ? C'est compliqué. J'ai les pensées qui tournent à mille à l'heure, tout le temps. Des phrases, des mots, des mélodies. Ça me donne des migraines horribles parfois. Mais ça ne s'arrête jamais, ça continue tout le temps, et parfois, pour pouvoir vider ce qui me vient en tête, je suis obligé de l'écrire. Sauf que plus je pense à un sujet, plus l'inspiration vient et plus j'écris. C'est comme un cercle vicieux. Tu as bien vu tout à l'heure ? J'ai remplis une bonne trentaine de pages d'une histoire qui m'est venu à l'esprit avant de m'arrêter parce que l'inspiration n'était plus la même qu'au début. Le problème c'est que même là, tu vois, j'ai plein de chose qui me viennent en tête, et j'ai besoin d'écrire pour les organiser. Un peu comme un besoin vital. Le fait d'épiloguer sur un sujet, de parler avec quelqu'un, d'écouter de la musique, d'en jouer, ou même d'essayer de dormir, tout ça, ça m'inspire de manière inlassable. Parfois ça m'énerve, je te le cache pas, ça m'énerve parce que mon cerveau tourne toujours, et que ça me repasse les mêmes choses en boucle. Et pour peu qu'on me lance sur un sujet et que j'ai trop d'idée, il va falloir que je pose des questions pour pouvoir résumer mes pensées.
L'écriture est une passion, mais c'est aussi un moyen de contrôler mes pensées. J'ai besoin de passer par l'écrit pour pouvoir m'organiser et pouvoir penser clairement. Et même là tu vois, j'ai du mal à tout t'expliquer et je suppose que tu ne comprends rien à ce que je dis. Donc pour essayer de te trouver un comparatif, mon besoin d'écrire c'est comme ton besoin de chanter et de faire de la musique tu vois ? Pourquoi parfois tu te mets à chanter ? Pourquoi parfois tu dégaines tes écouteurs et tu mets la musique à fond ?
La musique t'apaise, l'écriture m'apaise. Après, j'ai en quelques sortes appris de moi-même à rendre mes écrits intéressants et beau, enfin j'espère.

Il souffle avant de finalement s'arrêter.  Il a parlé vite, mais je suis habitué. En revanche, il m'a littéralement cloué le bec. Je n'ai pas tout compris, il a raison, mais la fin oui. La comparaison avec ma situation je l'ai comprise, et je pense que je comprends un peu plus ces moments où il a un besoin irrépressible d'écrire.

Je le regarde en souriant. Je vois bien qu'il est gêné mais je ne comprends pas pourquoi. Je sais qu'il n'a pas l'habitude de se confier autant, mais je suis son meilleur ami donc il ne devrait pas avoir peur.

— Je comprends mieux maintenant, le rassuré-je.

— C'est vrai ? dit-il en écarquillant les yeux.

— Oui, enfin c'est encore un peu flou mais j'arrive à comprendre l'essentiel.

— Je savais que je n'étais pas clair je n'arrive pas à...

Je le stoppe avant de le laisser aller plus loin :

— Eh ! J'ai compris moi, donc arrête, pourquoi t'es stressé comme ça ?

Il lâche un rire nerveux avant de rougir un peu.

— Parce que c'est la première fois que je dois expliquer ça et je sais que c'est bizarre donc...

A sa remarque, j'ai envie de rire. Il a oublié qui je suis ?

— Bizarre ? Je suis bizarre aussi, tu l'as dit toi-même, toutes ces fois où j'ai un besoin irrépressible de chanter ou de composer, ça revient au même. Peut-être que je ne l'ai pas aussi fort que toi, ça n'empêche que c'est bizarre aussi dans ce cas-là.

— Ouais t'as sûrement raison.

— Tu vois, faut toujours écouter Tay'.

Je le regarde et lui sourit, c'est dans ces moments-là que je sais que je peux compter sur lui n'importe quand et que j'espère qu'il comprends que l'inverse aussi.

— Tay' ? m'appela-t-il.

— Oui ? répondis-je.

— Ce n'est pas que je ne t'aime pas, mais tu deviens lourd.

— Et ?

— Bouge s'il-te-plaît.

— Pff, je n'ai pas envie.

— Aller Tay', j'suis pas ton lit, ni ta peluche.

- Si ! Doudou !

Je laisse traîner la dernière syllabe et s'ensuit une légère bagarre :

— Non.

— Si.

— Non.

— Si.

— Non.

— Si.

Il ne gagnera pas à ce jeu-là, et il le sait.

— Gamin.

— J'assume.

— Allez bouge.

— Aide-moi.

— T'abuse.

— Non. Allez aide-moi.

Il m'attrape par les hanches et me fais rouler sur le côté, puis me soulève un peu pour me poser à côté de lui. Sauf que vu que je suis un très bon ami, je fais exprès de retomber sur lui en riant. Il rit aussi et recommence. Je bouge un peu pour essayer de l'empêcher de me porter mais il attrape fermement mes poignets en remontant un peu les manches de mon pull. Je dissimule une grimace de douleur à cause de sa force et le regarde en riant un peu avant de me stopper progressivement.

Il a la tête baissée et a arrêté de rire et je fais comme lui, ne comprenant pas. Il remonte la tête vers moi et je vois dans ses yeux qu'il est en colère. Je baisse la tête pour essayer de trouver la source de ce changement d'humeur, quand je réalise. Fais chier.

— Tay' putain c'est quoi ça ?!

Eh merde.

*

Qu'est-ce que j'ai fait, hein Aaron ?




H.

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