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Ce que je n'avais pas prévu, en revanche, c'est qu'ignorer ainsi ma mère me forcerait à ignorer le monde entier. Et pourtant, c'est bien ce qu'il se passe. Au début, je ne comprenais pas ; je pensais juste que Aaron ne venait pas. Et puis, j'ai fini par réaliser que plus aucun chuchotement ne me parvenait : plus rien du tout. Plus aucun bruit, plus aucun son. Rien. Je me suis enfermé dans un silence total, et sans le vouloir. Je pourrais dire que c'était contre ma volonté, mais c'est faux ; sur le moment je ne voulais pas écouter ma mère. Mais maintenant, je me rends compte de l'erreur que j'ai faite en pensant pouvoir contrôler ma capacité auditive.
Il n'y a plus rien qui m'entoure. Plus rien. Je suis privé de tout mes sens : je suis incapable d'entendre quoique se soit, de sentir ou toucher, de voir. Et ça me rend fou. C'est une privation sensorielle complète, et je déteste ça. Pourtant je devrais être soulagé : je ne ressens plu aucune douleur. Mais non, je n'arrive pas à me détendre alors que j'avais goûté un peu plus à un retour vers la vie active. Je ne peux strictement rien faire, à part penser encore et encore. Donc j'attends que le temps passe et j'espère, j'espère qu'il revienne.
Si je suis persuadé qu'ignorer ma mère m'a mis dans cette situation, je suis aussi persuadé qu'Aaron n'est pas à mes côtés. Il l'avait dit lui-même : ses parents voulaient qu'il me voit beaucoup moins souvent, se sont ses propres paroles. Et Dieu sait que j'ai eu du temps pour réfléchir à tout ce qu'il m'a dit. À vrai dire, je n'ai fait que ça pendant ce qu'il me semble être une éternité.
Je suis sourd. Muet. Paralysé. Aveugle. Et j'en passe. Et ça me fait mal. Je déteste ce qu'il m'arrive, et même sans rien y comprendre je sais que ce n'est pas bon. Les mots de mon meilleur ami se répète en boucle dans ma tête, ils ne me laissent aucun répit. Et ils me font mal, parce que j'ai toutes ces questions qui me suivent aussi et dont je n'arrive pas à trouver les réponses. Je déteste ça. Je suis dans l'ignorance, dans le noir complet, et ça devient insupportable.
Combien de temps a passé depuis qu'Aaron est parti ? Combien de temps a passé depuis que je suis comme ça ? Je n'en ai aucune idée. Et puis même, qu'est-ce qui m'est arrivé ? S'il a parlé de médecin, c'est que je me trouve forcément dans un hôpital – ce qui explique aussi le bruit constant qui me vrillait les tympans. Mais pourquoi ? Et puis, je n'ai aucune certitude de ce que j'avance.
Je suis bloqué, et j'en ai marre. J'ai envie de me laisser aller, de mettre mon cerveau en pause mais j'ai peur de ce qu'il pourrait se passer. J'ai peur des souvenirs qui pourraient remonter à la surface. Récemment, j'ai eu de plus en plus de flash, et ces images qui me sont apparues m'ont rappelé des choses que j'aurais préféré oublier et laisser au fin fond de ma mémoire.
*
— Non ! Je t'en supplie non ! Tu... tu ne peux pas ! Tu n'as pas le droit ! Je... non punaise ! Je t'en supplie ! Me fait pas ça ! Pas maintenant !
Je hurle sans le vouloir, les larmes brouillant la vue. Je refuses d'entendre ce qu'elle a à me dire, je refuses de comprendre ses mots. Je ne veux pas.
— Je suis vraiment désolée Tayly', elle continue ignorant mon état déplorable, mais je peux pas faire autrement, vraiment.
Ses mots me heurtent et ma réaction n'en est que plus violente :
— Non, non, non, non, non ! Tu te trompes ! Il y a plein de solutions j'en suis sûr ! Tu peux rester avec moi, y a forcément un moyen ! Tu n'as pas à m'abandonner ! Et puis de toute façon, tu n'as pas le droit de partir comme ça ! Tu n'as pas le droit, tu m'entends ? Tu me l'as promis tu te souviens hein ?
Elle soupire légèrement et passe la main sur son front avant de m'attraper les poignets et me forcer à la regarder :
— Tayly' on avait 5 ans, je ne pouvais pas prévoir ça. Et puis je te laisse pas tout seul, tu as B'. Tu te souviens ? Lui il restera avec toi, il t'aime non ?
Et je m'effondré encore plus. J'avais oublié qu'elle n'était pas au courant de ça. J'ai la désagréable impression que le monde s'acharne sur moi.
— Non, Il... Il... m'a quitté... je sanglote. Mais je ne voulais pas te le dire; je ne voulais pas que tu saches que j'ai merdé encore une fois, parce que je suis sûr que c'est de ma faute. Mais il m'a quitté il y a... trois mois ? Mais je... je voulais pas te décevoir alors... je faisais comme si... je sais que c'est malsain mais...
Et je ne peux même pas finir ma phrase avant de m'effondrer dans ses bras alors qu'elle semble comprendre :
— Quoi ? Merde... Taylor... je... je suis vraiment désolée... je croyais vraiment qu'il serait là... mais Tayly' tu m'aurais pas déçu, jamais. Je ne sais pas pourquoi tu as pensé ça, mais je serais toujours fière de toi tu sais ?
Je ne réponds pas. Je reste silencieux, le corps secoué de sanglots.
— Putain, elle reprend, je... je ne peux pas te laisser comme ça, j'ai vraiment pas envie. Et puis, tu sais très bien que si je pouvais je serais là et je resterais avec toi... mais je suis obligée ! Je ne veux pas que tu me vois dans cet état, c'est pour ton bien.... ce sera toujours pour ton bien...
Sa phrase me percute. Aussitôt, je m'écarte d'elle et je la fixe. Elle a l'air torturée, les mains tirant légèrement des cheveux.
— Quel état putain ? je craque. Tu ne me dis pas tout je le sais, mais ce qui est sûr c'est que tu n'as pas le droit de partir ! Tu n'as pas le droit de m'abandonner !
Elle me fixe, les yeux embués de larmes. On a l'air pathétique tous les deux, à se regarder comme ça en chien de faïence, totalement détruit par notre attachement pour l'autre.
— Tay' ! elle crie à son tour. Je suis obligée putain, tu peux le comprendre ça ? Je suis obligée si je veux guérir !
*
J'ai l'impression de m'éveiller brusquement. Je me suis laissé aller et je n'aurais pas dû. J'ai beaucoup trop de démons qui sont encore enfouis en moi, et elle en fait partie.
Je refuse de revivre ça comme ça. Seul. En étant juste seul. Ça m'est impossible. Je peux pas le supporter. C'est beaucoup trop dur pour moi. Pour ce qu'il me reste d'optimisme et de bonheur. C'est une bien trop grande ombre pour la part de lumière qui scintille à l'intérieur de moi. Bien trop grande. Bien trop imposante. Bien trop noire.
C'est ma faiblesse. Elle est ma faiblesse. Ses mots sont ma faiblesse.Je l'avoue voilà, mais hors de question de revivre ça. Je l'ai vécu une fois et ça m'a anéanti entièrement d'après les vagues souvenirs que j'ai, alors hors de question de retenter l'expérience. Cette période de ma vie n'existait plus et n'existera plus. Je refuse de la faire ressurgir. Je connais le début, je connais vaguement la fin. L'histoire n'a aucun intérêt à être revécue à part me faire souffrir. Rien d'autre. C'est un abandon pur et simple ce que je fais, je le sais, mais elle l'a fait aussi. C'est l'abandon de ce souvenir, causer par son abandon à elle. Si elle ne m'avait pas abandonné, je n'en serai pas là. C'est une certitude.
Aaron ne revient toujours pas. Je ne l'entends pas. Et je n'arrive pas à m'enlever cette idée qu'il n'a plus le droit de venir, cette idée que l'on m'a rendu sourd en me privant de sa voix. Pourtant, le peu de gens nous connaissant savent la valeur qu'a notre amitié pour moi, pour lui, alors pourquoi l'empêcher de me parler ? Sa voix ne résonne plus, et les autres ne m'intéresse pas, alors je n'entends plus rien, je suis juste entouré d'un silence assourdissant.
H.
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