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Aaron est encore à côté de moi, il n'a pas bougé depuis un certain temps. Je le regarde du coin de l'œil. il fixe le mur devant lui, un air neutre sur le visage. Plus je l'observe, plus mes sourcils se froncent d'incompréhension.

Il est préoccupé, je le sais.

J'aimerais lui parler, mais ma voix refuse de s'élever depuis mon réveil. Ça me demande trop d'effort, trop de concentration. C'est trop dur pour l'instant.

Les médecins disent que c'est normal, que ça passera, que je suis en phase de réveil.

Mais c'est quoi la phase de réveil ? Combien de temps ça dure ? Comment je sais que j'en suis sorti ? Je n'en ai aucune idée.

J'ai de plus en plus de visite maintenant que j'aie ouvert les yeux. Les docteurs, infirmières, et autres se pressent tous à la porte de ma chambre pour voir le miraculé. C'est comme ça qu'on m'appelle ; parce qu'il m'aura fallu un an et demi pour sortir de mon coma et que personne n'y croyait plus. Ma famille vient aussi, tout comme Fabien. Mon meilleur ami a enfin l'autorisation de venir me voir, donc il n'a plus besoin de se cacher.

J'ai rencontré Alice, elle m'a longuement parlé à mon réveil et je n'avais pas tort : elle est exceptionnelle.

Ils ont tous, chacun leur tour, essayé de me faire parler, de me faire sortir de mon lit, en vain. Je n'y arrive pas encore. Je suis trop faible pour ça. Je peux à peine lever le bras et bouger la tête. Parfois, quand ils insistent trop, j'arrête tout. Je ferme les yeux et je les ignore. Et si jamais je ne veux pas les voir, je dors ou je fais semblant.

C'est ça l'avantage d'être en phase de réveil : j'ai besoin de repos, même si j'ai déjà passé énormément de temps inconscient.

Alors dès que j'aie les yeux fermés, mes visiteurs partent en général, ou ne prennent même pas la peine de rentrer dans ma chambre. Sauf Aaron.

Comme aujourd'hui par exemple. Quand je me suis réveillé, il était à côté de moi et m'a offert un sourire bienveillant, avant de totalement m'ignorer.

Pas un mot, pas un geste, pas un regard.

Si au départ, cela ne me dérangeait pas, c'est le contraire maintenant. J'ai envie de le secouer, de lui rappeler que j'existe, que je suis bien réel, que je le vois. Mais je n'arrive à rien, hormis m'énerver tout seul.

Je ne peux rien faire, alors j'attends. J'attends qu'il daigne bouger ; et le temps me semble long.

Alors que j'avais fini par regarder ailleurs, le mouvement que je n'attendais plus à fait son apparition. Aaron bouge, se laissant aller vers l'avant et se prenant la tête entre les mains, murmurant des choses inaudibles. Il souffle à répétitions et se frotte les yeux.

Il se lève, se redresse. Son corps se déplie, et j'ai tout le loisir de l'observer. Sa voix ne résonne toujours pas, mais maintenant ça me passe au-dessus.

Je suis inquiet pour lui.

Je veux savoir ce qui lui arrive, pourquoi il est comme ça.

Un bruit sourd retentit, et mon corps sursaute automatiquement. Aaron a percuter le mur de son dos avec une violence qui me fait pâlir. Il se laisse glisser jusqu'au sol lentement, et reprend exactement la même position qu'avant, sa tête reposant dans ses mains et ses genoux replié replier contre lui. Il recommence, exactement comme tout à l'heure, à souffler et jurer à voix basse.

Je suis perdu. Depuis combien temps est-il comme ça ? Aussi préoccupé ? Jamais il ne s'est tant laissé aller, et ça me fait presque peur. Comment puis-je être sûr qu'il me montre vraiment tout, et non pas seulement une partie de l'iceberg, comme avant ? Je n'en sais rien.

Je suis perdu.

Et je crois que lui aussi.

Sa respiration est irrégulière, il retient ses larmes, et je crois que moi aussi.

Il a mal. J'ai mal.

Cette situation me pèse, et à lui aussi.

Je suis fatigué.

                    

̶ Tay', sa voix s'élève en brisant la tension de la pièce, elle est légèrement cassée et moins forte qu'à l'habituel.

J'essaye de tourner un peu plus ma tête vers lui, voir une partie de mon corps, en vain. Il doit remarquer mon manège parce que je l'entends ricaner légèrement avant de continuer :

̶ Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas laissé aller comme ça devant toi. En fait, il me semble que la dernière fois je te chantais une chanson pour la première fois depuis qu'on se connaît. Enfin, je ne sais pas vraiment si t t'en souviens ou même si tu m'as entendu...

Il laisse planer la fin de sa phrase et me regarde droit dans les yeux comme pour me demander confirmation.

Comment oublier ça ?

Je hoche la tête en réponse, et presque automatiquement je vois un sourire prendre place sur son son visage.

Il a compris.

                    

̶ Mais tu sais, continue-t-il, aujourd'hui je ne pleure pas à proprement parler. Je suis juste heureux, beaucoup plus que je n'aie pu l'être depuis très longtemps. C'est assez étrange à dire et à vivre. Pour tout t'expliquer, je pense que je viens juste de réaliser que tu es vraiment réveillé, que tu es vraiment là, avec nous. Et ça m'a fait sourire, ça m'a fait pleurer, ça m'a fait du bien. Tu vois, j'étais juste assis à tes côtés, et j'ai juste réalisé. Tu as raté beaucoup de choses, d'événements, mais plus maintenant. Parce que tu es là, bien réveillé et ça me rends plus qu'heureux. Tu m'as manqué Taylor, si seulement tu savais. Si seulement tu m'avais vu.

Mais encore aujourd'hui, tu me manques Tay'. Mon meilleur ami me manque. Parce que si avant, l'attente de revoir tes yeux était insupportable, maintenant l'attente d'entendre ta voix et de te voir en pleine possession de tes moyens est bien plus que ça. Je sais, je sais que pour toi aussi le temps a dû être long et qu'il l'est sans doute encore plus maintenant. Je sais que tu dois désespérer de pouvoir faire ce que tu veux, mais c'est toi qui a le contrôle Tay'. Je suis juste un spectateur. Moi je ne peux rien faire, et c'est horrible.  J'assiste à ton retour à la vie et je peux juste me contenter de passer mes doigts dans tes cheveux, de tenir ta main. Je ne peux rien faire d'autre, et même, tout ce que je fais je ne sais pas ce que tu en penses. Pourtant, tu sens mon contact, tu me vois, et mais tu ne me parles pas et c'est vraiment frustrant. C'est douloureux.

Il marque une pause et en profite pour essuyer une larme qui lui a échappé. Il me sourit, mais son sourire me fait plus mal qu'autre chose. il est forcé, désolé. Et je n'aime pas ça.

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