30.35

̶ Taylor, souffle-t-il. Tu es là, juste devant moi, mais je n'arrive pas à m'approcher. Parce que j'ai l'impression que plus je suis proche de toi, plus tu es loin. Pourtant, avant, avant tout ça, avant ton coma, la barrière du langage ne nous a jamais séparé. Dans aucun de tes moments de silence on ne s'est retrouvé aussi éloigné. Jamais. Le silence ne nous a jamais dérangé. Alors dis-moi, qu'est-ce qui a changé ? Pourquoi on est comme ça maintenant ?

Un ricanement nerveux lui échappe, et il se répercute jusque dans mon coeur.

̶ Tu sais, je n'arrive pas à m'enlever cette idée égoïste de la tête, celle selon laquelle tout est de ta faute. C'est vrai, si aujourd'hui tu ne peux pas me prendre dans tes bras, me parler, chanter, écrire, m'embrasser et j'en passe, c'est à cause de tes actes. Tout ça est vrai, c'est un fait. Alors pourquoi est-ce que j'ai de penser ça ? Et pourquoi est-ce que j'ai l'impression de te blesser en te disant ça ? J'ai cette impression de changer et d'être le méchant dans l'histoire, sans raison apparente. Je me dégoûte sans savoir pourquoi, je me déteste aussi. Toutes mes pensées t'accuses, et toutes mes paroles me rendent coupable. Mais qu'est-ce qui ne va pas chez nous ?

Il souffle et laisse sa tête retomber dans ses mains. L'ambiance dans la pièce est froide.

J'ai l'impression que l'on n'est plus nous-mêmes. Et ça me fait mal aussi.

Il a raison, mais qu'est-ce qui ne va pas chez nous ?

̶ Tu sais quoi Tay' ? demande-t-il rhétoriquement. Il y a plein de choses qui me font envies actuellement, et c'est cruel que mon esprit m'impose ça parce que ce n'est pas encore prêt d'arriver. Je veux parler avec toi, avoir une vraie discussion ; regarder le ciel et Toulouse la nuit avec toi. Je veux lire avec toi, chanter avec toi, écrire avec toi, composer avec toi. Je veux te faire lire mes écrits. Est-ce que tu imagines l'ampleur de la chose ? Je veux te faire lire mes textes et mes histoires, alors que je te l'ai toujours refusé. Enfin, je pense qu'à la première ligne tu comprendrais pourquoi. Tay', la plupart parlent de toi. Tay', la plupart décrivent ce qu tu es pour moi. Ils décrivent mes sentiments pour toi, tes petites manies, et j'en passe. Tu sais, j'ai noirci tellement de pages quand tu étais dans le coma, j'ai rempli tellement de carnets, vidé tellement de stylos... Pourtant, il y a eu un long moment où je ne trouvais plus les mots, ou plus rien ne me venait, ou j'étais perdu. Mais j'ai réussi à le surpasser, et j'en suis le premier étonné.

Je n'ai pas changé, alors est-ce que c'est toi qui n'est plus le même qu'avant ? Je passe toujours ma vie avec de la musique dans les oreilles, j'écris toujours, j'ai tout l temps le nez plongé dans des bouquins. Mais et toi ? Est-ce qu'au plus profond de toi tu aimes encore tout ça ? Est-ce que tu as encore envie de t'en sortir ? Est-ce que tu m'apprécie encore ? Parce que putain, ce que je ressens pour toi ça n'a pas changé tu sais. C'est encore plus fort qu'avant, je pense que tu ne t'en es jamais rendu compte. Je suis tellement attaché à toi Tay'. Je suis perdu sans toi, totalement perdu. Ma vie ne mène à rien quand tu n'es pas à mes côtés, quand tu n'es pas avec moi. Je suis juste l'ombre de ma personne, l'ombre du garçon que tu as connu.

T'es tellement proche et tellement loin de moi à la fois.

C'est insupportable, ça me rend fou. Tu ne me manques pas à vrai dire, parce que c'est au-dessus de ça. J'ai un trou béant à la place de la poitrine, une espèce d'énorme trou noir qui aspire tout mon bonheur, comme si j'avais un détraqueur à la place du cœur. C'est un calvaire, je suis fatigué, mentalement et physiquement. Je ne dors plus et la solitude me colle à la peau.

Je désespère de t'entendre un jour parler, je désespère de ressentir à nouveau ce que je ressentais juste avec ta voix, je désespère que tu puisses te moquer de moi.

Je désespère et j'ai peur. J'ai peur, j'ai tellement peur que tu aies des séquelles plus importantes et que tu ne puisses plus jamais parler, j'ai peur que tu m'oublies, que tu ne te souviennes pas de moi, ni de nous. Tu sais, ce nous si différent de celui des autres, et qui me semble si différent aujourd'hui ? On faisait tout l'un pour l'autre, on n'avait pas besoin de se le dire, on le savait. Avec un regard, un sourire, un frôlement. On a poussé l'art du langage corporel à son paroxysme. Mais j'ai peur que tout ça ait changé. Si avant on se comprenait avec un rien, est-ce que c'est encore le cas aujourd'hui ? Je ne veux pas perdre tout ça, je refuse de perdre cela, de te perdre, de nous perdre.

Son ton change légèrement, sa voix se fait plus forte. Il est en colère, je peux le voir sur son visage. Si ce n'est contre moi, c'est contre le monde. Je le vois à la façon dont ses mains viennent tiré ses cheveux et comment sa tête vient percuter le mur derrière lui. Son regard me fuit maintenant, mais je sais que ça ne devrait pas durer. Je le sens. Je le connais.

Il bouillonne.

Il bouillonne de rage et il va exploser, c'est trop pour lui.

Sans surprise, je le vois se redresser lentement, sa colère encore emprisonner dans son corps. Mes yeux suivent chacun de ses mouvements, les décortiquent. Je lis en lui. Il se trompe en pensant que je puisse vouloir l'oublier, en pensant que j'aie changé. C'est faux.

̶ Tay', lâche-t-il enfin. Il faut vraiment que tu te battes ! Pour moi, je t'en supplie, parce que je ne sais pas si tu ne le feras pour toi. Il faut que tu te battes, que tu te raccroches à quelque chose pour te donner l'envie de guérir. Tu dois nous revenir entièrement, me revenir. Je t'en supplie, j'ai besoin de toi, tellement.

J'ai besoin de toi pour croire en tout, j'ai besoin de toi dans ma vie, j'ai besoin de toi pour ne pas faire les mauvais choix, pour ne pas faire n'importe quoi.

J'ai besoin de toi et je sais que t'as besoin de moi.

Tu es mon guide, mon phare, mon étoile du berger, tu le sais.

Alors vas'y, parle, chante, fredonne, hurle, ou ce que tu veux, mais sors de ton silence par pitié. Tu y étais il y a quelques temps, tu as déjà réussi plusieurs fois avec les docteurs, alors pourquoi tu ne recommences pas ?

T'y as le droit tu sais ? Tu as le droit d'être heureux, tu as le droit de sourire, tu as le droit de rire, tu as le droit d'aimer, tu as le droit d'être aimé, tu as le droit d'être amoureux, tu as le droit de parler. Tu as le droit d'être triste et silencieux, c'est vrai, mais pas que.

Il y a tellement de belles choses dans notre monde, il te reste tellement de choses à découvrir, tellement de choses à vivre ! Alors vas'y! Bouge Tay' ! Lève-toi je t'en supplie ! Il nous reste plein de défis à faire tu sais, il nous reste plein de chose à accomplir ensemble ! Alors je t'en supplie arrête de me faire croire que tu ne peux pas parler ou bouger comme tu le veux !

Tout explose dans mon crâne, alors qu'il s'arrête de parler pour reprendre son souffle. Ses yeux me fixent avec une lueur que je ne leur connaissais pas, et les miens pleurent sans s'arrêter. Ma tête est remplie des mots d'Aaron, elle les passe en boucle, les envoies directement à mon cœur. Je souris, sans savoir pourquoi, et je ne sais pas si ça l'énerve plus qu'il ne l'est déjà, mais je souris. Un sourire comme je n'en n'ai pas fait depuis longtemps. Mon cœur et ma poitrine se gonflent d'une chaleur qui m'avait manqué durant mon coma, et je crois que ça me fait encore plus pleurer.

Je ne me contrôle pas.

Si Aaron savait l'impact de ses mots sur moi, s'il savait à quel point ce qu'il dit peut me redonner de la force. Il ne m'en manque plus qu'un peu, c'est minime. Je peux réussir, je le sais, je le sens.

Je peux faire ce qu'il me demande, ne serait-ce qu'un chuchotement.

Je dois le faire. Pour lui.

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