28.70
̶ C'est beau n'est-ce pas ? murmure Mae, brisant le silence et le fil de mes pensées.
̶ Hum ? répondis-je.
̶ Le paysage, la vue, la ville ainsi. C'est magnifique je trouve, encore plus que le coucher du soleil que l'on a vu tout à l'heure.
̶ Oui, tu as raison. C'est magnifique.
Elle se redresse et se repositionne dans mes bras. J'arrête de lui faire des papouilles et elle ne cille pas. Je pose mes mains sur son ventre et fourre mon nez dans son cou, humant son odeur si rassurante.
Mae, guéris-moi je t'en prie. Mae, aide-moi à oublier la douleur.
Et, sans pouvoir résister, les larmes se mettent toutes seules à dérouler mes joues, sans mon accord. Je ne sanglote pas au départ, je pleurs juste silencieusement. Ma meilleure amie ne bronche pas, ne dit rien elle non plus, enfermée dans un silence. Je sais qu'elle a remarqué mes larmes, mes yeux mouillant allègrement son cou.
Je me laisse aller, cinq minutes, dix minutes, quinze minutes.
Puis je me mets à sangloter réellement, le corps parcouru de soubresauts plus violents les uns que les autres. Les larmes ne se tarissent pas, et mes supplications crèvent la nuit, prenant l'ascendant sur le fond musical. Je jurerais entendre la fenêtre de la baie vitrée s'ouvrir et se refermer presque aussitôt. Mes pleurs ameutent les adultes, contrairement à ce que je voulais. Mae les chassent silencieusement et décale ma tête de sorte à pouvoir me faire face et m'enlacer. On reste ainsi, moi dans ses bras, sanglotant comme un enfant pleurs dans les bras de sa mère, elle me tenant fermement et me rassurant.
Elle ne dit rien, elle ne parle pas.
Elle me fait juste savoir qu'elle est là, et cela vaut tous les mots du monde.
Parce qu'il est de ces fois où les gestes veulent dire bien plus que les paroles, et elle le sait.
Elle m'enlace encore et encore, me serrant toujours plus fort, de toute la force que son petit corps lui donne.Une de ses mains se glisse dans les boucles de mes cheveux et vient faire les mêmes mouvements que j'aie exécutés quelques temps auparavant. Les rôles ont été échangés, à quelques détails près.
Et son aura, son parfum, ses gestes, tout agit sur moi.
Elle me calme, doucement, se fichant totalement du temps que cela lui prends. Son pouvoir de médicament fait effet, et elle met du baume sur mes blessures, sur chacune de mes plaies. Mon cœur s'arrête doucement de saigner, mes larmes cessent de couler, mais mes sanglots continuent et s'amplifient. Mes yeux sont secs, et mes pleurs redoublent. J'ai évacué jusqu'à la dernière goutte salée présente dans mon corps, mais mon palpitant pleure encore. La douleur est toujours là, réveillée par mes larmes, et peine à disparaître. Ma meilleure amie le remarque et commence à me chuchoter des paroles apaisantes au creux de l'oreille, doucement, tout doucement, pour ne pas me brusquer. Et je les bois. Je bois ses mots, je m'en abreuve et je m'en sers pour panser les plaies encore ouvertes.
À l'aide du temps et de ses phrases, de ses bras et de ses mains, Mae a réussit à me calmer. Il aura fallu du temps, une heure entière peut-être, mais elle a réussi. Les crises de larmes comme celle-ci n'arrive pas souvent, mais elles sont toujours aussi exténuantes. Nous sommes rentrés tous les deux sans que je ne m'en sois rendu compte, l'air commençant à devenir trop frais pour pouvoir rester assis sans rien faire d'autre qu'observer l'horizon. J'ai accueilli Mae dans ma chambre pour le reste de la soirée, bien décidé à oublier les événement précédents.
C'est elle qui trouve encore une fois la chose à faire pour nous sortir de ce silence omniprésent. Elle se saisit de mon ukulélé – pourtant bien caché au fond de mon placard – et le place dans mes mains, m'intimant silencieusement de lui jouer une chanson qu'elle pourrait chanter avec moi.
Alors c'est ce que je fais.
Je joue, je laisse mes doigts aller et venir sur les cordes, les pinçant, les frappant, les effleurant. Je laisse le son des accords prendre possession de l'espace et je commence à chanter, en même temps qu'elle, dans un alliage parfait de nos deux voix :
̶ I'm in trouble,
I'm an addict
I'm addicted to this gril.
Et la fin de la soirée passe ainsi, on chante tous les deux, on rit tous les deux, on en oublie même de manger ou de boire, on en oublie l'heure. On passe les heures suivantes à alterner entre rires, chansons et sourires.
On oublie le monde extérieur.
J'oublie Bauryce, j'oublie mes blessures, on oublie le collège, on oublie nos parents. On se focalise sur nos individualités, qui s'allient et s'associent, souriant, dansant, et riant. On en profite ensemble, parce que c'est ce que l'on fait de mieux : être ensemble, uni.
*
**
Le garçon n'entend pas l'équipe médical s'agiter une nouvelle fois autour de lui, bien trop fatigué et trop abasourdi par son souvenir. Le bruit des machines autour de lui le rendent pratiquement sourd et envoie dans son crâne une douleur insupportable alors que son cœur n'a de cesse de s'affoler.
Pourtant, il ne souhaite que du calme. Il veut simplement se déconnecter du monde extérieur, ne plus y faire attention et se protéger en se refermant sur lui-même. Il veut échapper à la douleur qui lui enserre le cœur.
Il veut se souvenir encore de ses moments passés avec sa meilleure amie, ne supportant plus d'être dérangé dans ces instants de rêverie.
Il veut rêver.
Il veut qu'on le laisse rêver.
Au dehors de la chambre, un fois que tout est revenu a la normal pour le jeune patient, il ne reste plus que Alice qui insiste auprès du médecin pour comprendre pourquoi Taylor n'a de cesse de rechuter :
̶ Qu'est-ce qu'il s'est passé monsieur ? demande-t-elle. Pourquoi son cœur a-t-il réagit comme ça ?
̶ Il rechute, répond son supérieur comme si c'était une évidence.
Il ne comprend pas. Ce n'est pas ça qu'elle veut savoir. Et elle veut comprendre pourquoi.
̶ Mais, comment est-ce possible ? insiste-t-elle.
̶ Je ne sais pas, souffle le médecin, je pensais qu'on l'avait stabilisé et qu'il était sur la bonne voix pour se réveiller. Comme quoi il faut toujours se méfier. Je veux que l'on garde un œil sur lui pour au moins les trois prochains jours.
̶ D'accord monsieur.
Elle n'insiste pas plus ne le reprend pas sur son manque d'investissement. Elle n'en a pas le droit.
Alors qu'elle s'éloigne à son tour, le garçon sort du brouillard et s'énerve seul contre son incapacité à avoir le contrôle sur lui-même. Il peste avec pour seule pensée le manque qu'il lui étreint le cœur : Mae.
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