25

Des griffonnements.

Un stylo qui gratte le papier.

Des rires légers.

Je souris intérieurement en entendant ça.

Aaro, je te reconnaîtrais entre mille, tu le sais.

Tu ris.

Ce son m'avait manqué, si tu savais à quel point. Il surpasse et prend l'ascendant sur le bip des machines, et je n'entends bientôt plus que ça. C'est reposant, plaisant.

Si tu savais comme je t'aime Aaron... tu es le seul à me calmer ainsi, le seul a réussir aussi facilement.

Même si tu ne parles pas, t'écouter est une des meilleures choses qu'il existe. J'essaye de deviner ce que tu écris, ce que tu penses. C'est répétitif, certes, mais au moins je ne me perds plus dans le tourbillon de mon âme. J'avais le cœur lourd jusqu'à ce que tu arrives, mais le poids s'est allégé, ou du moins a disparu, maintenant que tu es là. C'est bien la première fois que tu parais aussi calme depuis que je suis dans le coma.

Que fais-tu Aaron ?

Qu'écris-tu ?

Tu ne t'adonnes que très rarement à tes passions quand il y a quelqu'un près de toi.

Le fais-tu parce que c'est moi ?

Le fais-tu parce que tu es au courant que je ne peux pas te répondre ou bouger ?

Profites-tu du fait que pour une fois je n'essaye pas de te lire ?

J'attends.

J'attends encore et encore. Des secondes, des minutes ou des heures peut-être.

J'attends qu'il parle.

J'attends que sa voix résonne dans la pièce et parvienne à mes oreilles.

J'attends en ignorant, et je déteste ça.

J'ai toujours aimé le regarder faire et là je ne peux pas. Frustrant ? Au maximum possible et imaginable. Je crois que c'est une des premières fois où j'ai autant envie de voir. La tentation est tellement forte, mais je n'arrive pas à ouvrir les yeux.

Aaron, sais-tu que tu me tortures actuellement ?

En as-tu quelque chose à faire ?

As-tu oublié ma présence dans cette chambre ?

As-tu oublié la – supposée – raison de ta venue ?

       Un son monte petit à petit dans l'espace. Léger, doux. Une mélodie.

Il chantonne.

Et j'aime tant sa voix.

Il chantonne une chanson que je ne connais pas, et maintenant je suis curieux de savoir son titre. La curiosité est un vilain défaut dit-on, mais lorsque l'on ne peut rien faire d'autre à part écouter, je pense qu'on ne peut pas appliquer cette expression. Il est normal d'être curieux et de vouloir savoir ce qu'il se passe autour de nous.

       Aaron, parle-moi. S'il-te-plaît. Arrête-toi et parle-moi.

Je n'attends que ça. Tu es là depuis tellement longtemps, alors parle-moi, refais un monologue ou bien chante clairement, mais arrête de faire ça, de me torturer ainsi. Entends mes demandes, entends mes supplications, s'il-te-plaît. On a toujours été connecté, alors s'il-te-plaît, toi qui sais mieux que personne ce que je veux et ce que j'aime, tu devrais savoir ça aussi.

Faut-il que je fasse un arrêt pour que tu relèves la tête et que tu poses ton stylo ?

Aaron, fais quelque chose. Signale autrement ta présence, donne moi un signe de vie.

Je déteste inverser les rôles, pourtant c'est bien ce qu'il se passe. Je l'avais déjà remarqué avant ; lorsqu'il vient me voir il met de plus en plus de temps à me parler. Comme s'il voulait que je le supplie intérieurement.

       Il bouge. Je ne sais pas pourquoi mais il bouge. J'entends nettement le bruissement de ses vêtements, les craquements de son dos, les mouvements de sa chaise, un souffle lâché, un bruit inidentifiable, un autre son un peu plus sourd.

Mais qu'est-ce qu'il fait ?

Il se déplace, ou alors il déplace quelque chose, d'accord, mais pourquoi ?

Et quand va-t-il parler ?

C'est vexant de voir que le but premier de sa visite n'était pas de discuter. Vraiment.

Pourquoi fait-il ça ?

Je le déteste actuellement. À vrai dire j'ai tellement envie de le haïr que j'en ai mal au cœur, mais je n'y arrive pas. J'aimerais avoir une aversion totale envers lui, rien que cette fichue ignorance dont il fait preuve à mon égard, mais c'est mission impossible parce que ça me fait beaucoup trop plaisir de l'entendre ainsi joyeux. Il me tape sur les nerfs, me tape sur le système. Il m'énerve et me fous en rogne.

Parle-moi à la fin, putain !

      Il s'est arrêté de bouger, en fait il ne fait plus aucun bruit. Aaron tu vas me rendre fou, littéralement. Mais qu'est-ce qui te prends bordel ? Donne-moi un signe de vie ou je sais pas, fais quelque chose ! Sais-tu à quel point j'ai envie de t'étriper quand je vois – ou plutôt quand je remarque – que tu ne fais rien ? Le but, lorsque l'on visite une personne dans le coma, est de lui parler pour stimuler son cerveau, je me trompe ? Lui passer des ondes positives et ce genre de chose, alors pourquoi tu ne fais rien de tout ça ? Tu sais quoi, je pense que je préférais largement quand tu explosais et que tu pleurais en te retenant de m'insulter. Je pense même que je préfère entendre mes parents plutôt que toi actuellement.

Je ne te comprends plus Aaron, tes pensées sont loin de moi et je n'arrive plus à savoir ce qu'il se passe dans ta tête. Qu'est-ce que tu prépares ? Je ne sais plus rien, j'ai l'impression de ne pas te connaître. Est-ce vraiment toi à mon chevet ? Pourtant, je suis quasiment sûr de reconnaître ton odeur, ton parfum qui m'enivre si souvent.

Tu deviens incompréhensible pour moi, et ça a le don de m'énerver. Sais-tu ce que je pense en ce moment ? Ou toi aussi es-tu dans l'ignorance complet de mes ressentis ? Il serait beaucoup plus loyal et juste que tu te retrouves dans la même incompréhension que moi. Je refuse de penser que tu puisses tout savoir de moi et tout comprendre – sans que je ne te parle – alors que moi sans ta voix je suis littéralement perdu. Je refuse totalement s'y croire. 

     Aaron. Je t'en supplie. Arrête ce cirque et reprends-toi. Fais quelque chose, bouge, ne serait-ce que remettre tes cheveux en place. Tu sais, comme je le faisais habituellement, quand je passais doucement ma main dans ta chevelure lisse et tellement douce.

Elle me faisait rêver.

Je t'en ai fait des papouilles, je ne pense pas qu'on puisse le nier, et j'adorais ça – comme toi j'espère. Ça me manque tu sais, j'aimais cette proximité qu'on avait, cette affection qu'on se portait en permanence l'un envers l'autre, quitte à rendre notre relation ambiguë aux yeux des autres. On s'en fichait, donc après tout, autant faire ce qu'on veut non ?

Dis-moi, tu penses qu'un jour on pourra retrouver tout ça ?

Tout ces petits moments de partage et de pur bonheur ? Ou alors tout ces souvenirs sont-ils partis à jamais ? Te souviens-tu seulement de tout cela ? Ou suis-je le seul imbécile à y avoir accordé autant d'importance ? Mon dieu Aaron, je m'égare beaucoup trop lorsque je n'ai pas ta voix pour me recentrer.

Je m'égare, je me perds, je divague, je navigue, je me noie, je ressasse et je regrette.

Je regrette amèrement. Mon cœur se rempli instantanément de sentiments plus amers les uns que les autres à chaque fichues fois où je me perds dans le néant qu'est mon esprit. Ce sont les regrets de ma vie, les regrets de ma mort. C'est très joyeux tout ça, vraiment très joyeux. C'est donc ça qui est censé m'aider à revenir définitivement à la vie ? Je refuse d'y croire.

      On voit la vie autrement lorsque l'on est inconscient. On voit la vie et les événements autrement. Notre vision change. On se contente d'entendre les autres. On se contente d'essayer de déduire les émotions des autres. On se contente d'écouter et d'imaginer. De toute façon, que faire d'autre ? Rien. Il n'y a aucune possibilité de plus. À part écouter le silence lorsque personne n'est à notre chevet.

Mais le silence, ce n'est pas la chose la plus agréable qu'il existe, hein Aaron ? Tu devrais le savoir non ? Cette absence de bruit, de son, elle est assourdissante, pesante, stressante.

Vas-tu finir par y mettre un terme ? Par arrêter ma douce souffrance ? Vas-tu enfin me parler au lieu d'écrire, de déplacer des choses et de faire je-ne-sais-trop quoi ?

Depuis tout à l'heure j'arrive à entendre une toute petite mélodie, mais elle est trop faible pour que je sache quelle musique tu as mise. Elle est si basse comparée aux fois précédentes, pourtant pourquoi me parait-elle si proche ? Si vrai ? Et si peu numérique ?

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