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̶ Alice, je peux te laisser t'occuper de lui ? Je dois aller voir quelqu'un.

La voix ne m'est pas inconnue, et elle m'insupporte alors qu'elle a prononcé à peine quelques phrases.

                    

̶ Encore ? Je devais prendre ma pause après, mais bien sûr je suppose que tu ne seras pas revenu et que tu aimerais bien que je prenne ton service aussi hein ?

Alice.

                   
̶ Hum... En fait oui... Tu serais un véritable ange tu sais ? Ce serait vraiment, vraiment, vraiment super gentil de ta part !

J'entends mon infirmière préférée souffler.

                  
̶ De toute façon j'ai pas trop mon mot à dire je suppose ? Puisque même si je te dis tu ne reviendras pas quand et je devrais prendre ton service parce que je suis tellement gentille que je ne veux pas que tu aies de problèmes...

̶ Merci merci merci ! Je te revaudrais ça, je t'assure !

̶ Tu as dis ça les trois dernières fois, et j'attends toujours...

La porte de ma chambre claque en même temps qu'Alice parle, alors j'en déduit que l'autre infirmière ne l'a pas entendu. En général je ne fais pas trop attention à ce que dise les médecins quand ils viennent vérifier mon état, mais je sais que Alice va m'informer de ce qu'il se passe en même temps qu'elle fera les vérifications et ma toilette.

Ce n'est pas la première fois que cette femme lui demande – ou plutôt lui impose – de s'occuper seule de mon cas et de prendre sa garde. Elle profite de la gentillesse d'Alice, et ça commence à me mettre en colère. Pourtant je ne devrais pas m'en plaindre, puisque, à chaque fois, je me retrouve seul dans la pièce avec elle et qu'elle finit par me parler et donc me tenir compagnie. Mais je suis sûre qu'elle doit être exténuée à force, et encore, je suis sûr que c'est un euphémisme.

J'aimerais pouvoir être en pleine possession de mes moyens, de ma capacité à parler, juste pour pouvoir remettre à sa place cette infirmière qui se croit au-dessus de mon "amie". Je m'en veux de ne pas pouvoir le faire, ça me pèse sur la conscience. Je me réconforte comme je peux, en me disant qu'Alice est heureuse de pouvoir me parler. Elle m'avait dit la première fois qu'elle avait pris la parole en ma présence qu'elle n'en avait pas le droit parce que ses supérieurs craignaient qu'elle ne s'attache trop à un patient. Donc, le fait de se retrouver dans une solitude partielle dans ma chambre lui permet d'avoir une sorte de conversation à un seul sens avec moi. Ça arrive souvent en ce moment, et plus le temps passe, plus j'en apprends sur sa vie. J'ai réussi à confirmer certaine idées que j'avais d'elle grâce ça. Elle me paraissait jeune la première fois que je l'ai entendue, et effectivement. Elle ne m'a pas dit son âge, mais je sais que c'est la plus jeune des infirmières. Enfin, je ne sais pas vraiment si elle est infirmière à proprement parler ou bien autre chose.

Je n'y comprends pas grand-chose à vrai dire.

Mais pour l'instant ce n'est pas gênant, puisque je ne fais que l'écouter. J'arrive même à avoir une idée de son physique grâce à ses monologues. À certains moments j'adorerais pouvoir rire de quelque chose qu'elle me dit, mais je ne peux pas, alors je le fais intérieurement, imaginant le fou rire que l'on aurait eu si j'étais réveillé.

C'est vraiment une femme incroyable, aucun doute là-dessus.

Je suis sûr qu'Aaron doit penser comme moi, et que si il voyait cette espèce de pétasse empêcher Alice de se reposer et lui imposer des choses, des gardes en plus, il entrerait dans une colère noire. Il vient souvent me voir d'ailleurs. J'en ai déduit que maintenant il n'a plus besoin de se cacher, enfin j'espère. Je suppose qu'il vient tous les jours, mais je ne peux rien affirmer, la seule notion du temps que j'ai étant les visites quotidiennes d'Alice pour s'occuper de moi. Et puis, parfois je fais attention à ce qu'il me raconte, parfois je me sens beaucoup trop fatigué pour essayé de me concentrer. Ce qui est sûr c'est que je n'ai plus envie de sombrer, malgré la fatigue omniprésente. Et apparemment depuis que je ne me plonge plus dans le noir mon état s'améliore à vitesse grand V. Et savoir ça me fait oublier les quelques douleurs que je peux ressentir, ainsi que le manque.

̶ Alors Taylor... Voyons voir où on en est aujourd'hui... Ton rythme cardiaque est bon, ta tension aussi. Hum...

Alice commence les vérifications. Je devine qu'elle bidouille toutes les machines qui doivent m'entourer pour avoir un compte rendu. J'essaye de me concentrer sur le bruit constant qui emplit la pièce en permanence. J'ai finit par comprendre qu'il s'agissait de mon pouls. Effectivement, il est un peu plus lent que la dernière fois, mais régulier. Je souris fièrement à l'intérieur de moi. Je reprends petit à petit le contrôle sur mon corps, et ça, c'est merveilleux.

̶  Bon, ça m'a l'air bon tout ça, fait mon infirmière d'une voix enjouée. Je suppose que tu aimerais bien avoir quelques nouvelles, et pour une fois je vais être sûre que tu m'entends. Le médecin qui s'occupe de ton cas a dit à tes parents hier que ton cerveau réagissait à nos voix, autrement dit que ton audition marche. Il n'est pas sûr que tu as la même sensibilité qu'en étant conscient, mais il a affirmé que c'était bon signe et qu'il ne manquait plus qu'un peu de temps, de patience, et d'effort de ta part pour que tu te réveilles. C'est génial non ?

En même temps qu'elle m'annonce d'aussi bonne nouvelle je l'entends bouger autour de moi, et je suppose qu'elle a commencé à faire ma toilette habituelle.

̶ Enfin, même si je pense qu'il paraissait bien trop optimiste en disant cela à tes parents. Attends avant de me détester que je m'explique. On ne peut rien affirmer normalement, tu peux toujours avoir une rechute, même si c'est seulement dans de rares cas que cela c'est produit, il y a toujours une possibilité. Or, là, il a complètement dit à tes parents que tu allais te réveiller. Bien sûr, je crois à ton réveil, je sais que tu peux revenir à la vie active, tu en as les capacités, mais si jamais pour une raison X ou Y le docteur s'est trompé, tes parents – et Aaron – en seront anéantis. Du coup j'imagine que tu as une motivation en plus pour sortir du coma. En fait cette information est un peu à double tranchant. D'un côté c'est une super nouvelle, de l'autre côté, ça l'est à tel point qu'on oublie que tu peux toujours y rester. Soit on vivra un joie immense, soit on vivra une douleur énorme.

Super dilemme, vraiment.

Donc j'espère qu tu va tout faire pour te réveiller et confirmer ce que le médecin a dit, parce que sinon je pense que tes proches ne s'en remettront pas. Ils vivent déjà une tragédie depuis un peu plus de 7 mois. Crois-moi, te voir dans un tel état est vraiment horrible. Même pour moi. Tu as beau avoir repris des couleurs, tu restes pâle. Et puis, tu maigris, énormément. Déjà que tu n'étais pas bien gros quand tu as été admis, tu n'imagines pas maintenant. Vraiment. Tes joues se creusent à mesure que les jours passent, tes muscles disparaissent – j'imagine l'horreur que ça doit être pour toi d'entendre que tu ne seras plus musclé une fois revenu à la vie –, et puis, même tes cheveux se font un peu... Faiblards. Ne crois pas qu'on ne te nourrit pas, au contraire, pour faire simple, tu as un tube qui passe dans ton nez pour t'apporter l'énergie dont tu as besoin pour continuer de te remettre. Si tu savais l'allure que tu as avec tous ces fils, ces tubes qui te sortent de partout. Tu ferais peur à des enfants, j'en suis sûre. Tu n'imagines même pas à quel point c'est étrange de voir quelqu'un comme toi ! Même moi qui suis censée avoir l'habitude j'ai encore du mal parfois. C'est vraiment impressionnant Taylor.

J'adore l'écouter parler, presque autant qu'Aaron. Bon d'accord peut-être pas, mais c'est plaisant. Elle me parle comme à un vieil ami d'enfance et c'est vraiment cool de sa part. Elle reste tout de même professionnelle, malgré nos discussions. Elle m'explique mon état, mais jamais trop à la fois et seulement très peu des mauvais signes qu'ils peuvent détecter. Mais je m'en fiche un peu, j'ai des nouvelles et quelqu'un d'autre que mes proches qui me parlent. Et ça, c'est vraiment, vraiment, le pied.

̶  Ta mère me sourit quand elle me croise. Je ne comprends pas trop pourquoi puisque je pense qu'elle a bien dû comprendre que je ne cautionnais pas ce qu'elle faisait subir à Aaron avec ton père. Oh et ce-dernier m'ignore, il ne m'écoute jamais quand je leur explique ton état, non, il appelle quelqu'un d'autre comme Emma, à croire qu'il pense que je suis incapable de faire un rapport de santé. D'accord, j'avoue que ton cas est compliqué et que c'est toujours émouvant et attristant de se retrouver face à un ado qui n'a encore rien vécu de la vie dans le coma. Oui, j'avoue que je suis la plus jeune de toute, mais est-ce que ça fait de moi une incompétente ? Non je ne pense pas. Et puis, lorsque tu as eu des rechutes ça a toujours était pendant qu'Emma faisait les vérifications donc qu'ils se taisent un peu qu'ils me laissent faire mon métier. Non Taylor, je ne suis pas méchante, je ne fais pas dans la méchanceté gratuite, je te l'ai déjà dit. C'est juste que j'ai du mal à accepter certaines choses. Comme le fait de ne pas pouvoir dormir pendant deux jours d'affilés parce que je dois prendre de force la garde d'Emma. C'est pas la première fois qu'elle fait ça et ça commence à vraiment m'énerver. Je sais que je ne devrais pas accepter, que je devrais me plaindre auprès de nos supérieurs, mais c'est sa parole contre la mienne, toute l'équipe l'aime et elle est là depuis plus longtemps. Je peux rien faire face à elle. Mais un jour, je te promets, un jour elle paiera et elle rattrapera tout ses tours de gardes ! D'affilés s'il le faut ! Ouais non peut-être pas en fait, sinon elle est partie pour ne pas dormir pendant quelques semaines... et je ne suis pas sure que les médecins cautionnent ça... et puis elle sera tellement fatiguée qu'elle pourrait faire une connerie et c'est moi qui l'aurait sur la conscience... Ouais ce n'est définitivement pas une bonne idée !  Bon elle ne les fera mais pas à la suite !

Je vais bien finir par trouver. Et si jamais j'oublie je compte sur toi pour me le rappeler hein Taylor ? Du coup ça implique qu'il vaudrait mieux que tu sois réveillé mais je suppose que ça tu pouvais le comprendre tout seul, non ?



H.

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