22.5
Alice se tait un instant. Sa voix était plus faible quand elle a prononcé la dernière phrase de son petit discours. Certes au départ elle paraissait enjouée et amusée, mais je ne sais pas pourquoi, j'ai l'impression que son humeur c'est dégradée... ça me fait de la peine, je ne veux pas qu'elle soit triste.
Et je ne sais même pas si c'est à cause de moi ou pas.
C'est tellement épuisant de connaître à peu près les sentiments des gens mais de ne jamais être sûr et de ne jamais savoir pourquoi. Se serait bien parfois d'avoir quelques explications. Bon j'admets qu'écouter les petits problèmes de tout le monde m'embête un peu parfois, parce que je deviens un psy, un confident.
En soi, qu'on se confie à moi ne me gène pas, c'est plus le fait que l'on se confie à moi parce que je ne peux rien dire qui m'embête. J'ai l'impression que les gens viennent dans ma chambre et parlent à voix haute en faisant comme s'ils me parlaient mais qu'en fait ils déversent juste leur colère sur moi même si ce n'est pas à moi qu'elle est destiné au départ. Ils en profitent pour cracher toute leur haine. Et au bout d'un moment je sature. Surtout que certaines fois c'est les personnes qui me parlent qui sont fautives !
Bordel.
Je dois me calmer, sinon je vais vraiment arriver au point de non retour. J'arrive déjà à entendre une augmentation de la vitesse du son des machines.
Je sens Alice s'agiter autour de moi et j'imagine qu'elle regarde un écran en fronçant les sourcils. Ne parle pas, ne parle pas, ne parle pas, je t'en supplie Alice, tais-toi, ne recommence pas il me faut du temps pour me calmer.
Raté.
̶ Oh Taylor ! Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Je ne sais pas ce que tu as et je peux pas savoir, alors tu vas devoir agir tout seul ok ? Il faut que tu calmes ton cœur. Vraiment. Je ne sais pas ce qu'il se passe. Bien sûr je sais que ce n'est pas forcément alarmant, c'est juste une petite accélération, mais on ne sait jamais. Ce n'est pas le moment de nous lâcher Taylor.
Elle se tait.
Dieu merci elle se tait.
Comme si j'avais l'intention de les quitter. Elle ne sait donc pas les effets de la colère sur les gens ? Elle n'est pas censée avoir fait des études de médecine ? On ne leur apprends donc pas ce qui se passe dans le corps avec la peine, la joie, la peur, la colère, l'amour ? Punaise même moi je le sais tout ça ! D'accord, je veux bien qu'elle ne puisse pas vraiment deviner ce qui se passe dans ma tête, dans mon cœur, dans mon esprit, dans mes pensées, mais pourquoi est-ce qu'elle me dit ça ? C'est totalement stupide !
Tais-toi Taylor, tais-toi.
Plus tu ressasses, plus tu t'énerves.
Calme-toi. Calme-toi. Calme-toi.
Pense à autre chose. Pense à autre chose. Pense à autre chose.
̶ Voilà, c'est bien, la voix d'Alice résonne à nouveau. Le pouls est presque redevenu normal. C'était la peur hein ? Ou peut-être l'énervement. Je ne saurais pas deviner, mais tu as réussi à te calmer, tant mieux. Je vais essayer de te parler d'autre chose, il me reste encore un peu de temps.
Aaron te donne-t-il des nouvelles ? Je veux dire, je sais qu'il vient très souvent, mais je ne sais pas s'il te dit comment il va. Je le croise régulièrement dans les couloirs de l'hôpital, et quand on peut on discute. Il va mieux que lorsque je lui avait parlé la première fois, vraiment. Et je sais que c'est la possibilité de pouvoir te voir qui le rend comme ça. Mais il manque quelque chose dans son regard. Enfin, je dis ça mais je ne sais pas s'il l'avait avant. Cette petite étincelle dans les yeux. En fait je crois qu'il ne l'a seulement que lorsqu'il te parle, mais je ne peux pas en être sûre. Il n'est plus aussi éteint qu'avant en tout cas, mais il a toujours des cernes énormes sous les yeux. Parfois j'essaye de savoir s'il a dormi mais il évite la question. Je l'ai déjà surpris dans la salle d'attente, endormi, avec un air neutre sur le visage. Parfois il s'agite dans son sommeil, j'imagine qu'il doit faire des cauchemars.
Tu l'aides inconsciemment, c'est une certitude.
Ta présence, même en étant dans ce coma, l'aide énormément. Il tient vraiment à toi. Je ne sais pas si tu peux imaginer à quel point. Certains pourraient dire que c'est malsain, mais je suis sûre que non. Et je peux affirmer sans aucun doute que tu ressens la même chose que lui. Tu es un peu comme... son tout. Tu es.. Je ne sais pas trop comment le dire... C'est compliqué en fait. J'ai juste l'impression que tu es la personne qui tient dans ses mains toute la vie d'Aaron. C'en est presque effrayant, vraiment.
Je l'écoute sans vraiment l'écouter, j'ai trop peur de ce qu'elle pourrait dire. J'ai peur qu'elle me dise qu'il n'en peut plus, qu'il ne viendra plus. Mais malgré moi, je ne peux m'empêcher de tout entendre. Je n'arrive pas à comprendre certaines choses, mais d'autres me semblent tellement claires que je ne peux faire autrement que de les graver dans ma tête.
Je sais qu'Aaron tient énormément à moi.
Il est mon tout à moi aussi. Vraiment.
Je tiens à lui plus que tout au monde.
Mais je ne savais pas qu'il pouvait se mettre dans de telles états. À vrai dire, certaines choses me choquent, mais je me doutais bien qu'il ne dormait quasiment plus. Je sais que quand il est tourmenté il a tendance à faire des insomnies et des cauchemars. Parfois il m'appelait en pleine nuit pour me les raconter et me demander de l'aider. Et les quelques fois où on a dormi ensemble après une journée à s'amuser il se réveillait en panique.
J'ai appris à trouver les mots pour le rassurer.
Je ne sais pas pourquoi il me demandait toujours à moi de rester, d'être là, je sais juste que je le faisais. Pas besoin de poser la question, lui aussi a des moments de faiblesse et je n'avais pas à l'embêter avec mes interrogations.
Je souris intérieurement, discrètement.
Ça m'amuse de repenser à tout ça. Forcément j'ai un petit pincement au cœur parce que ça va faire longtemps – enfin je suppose – que l'on a pas réellement rigoler ensemble. Ça me pèse. Je m'en veux. Je m'en veux tellement.
̶ Il a hâte que tu te réveilles, Alice sourie en parlant, ça s'entend dans sa voix. Ça se sent. Lorsqu'il me voit sortir de ta chambre il se jette presque sur moi pour me demander des nouvelles. C'est mignon et très amusant, c'est vrai. Si tu le voyais je suis sure que tu rigolerais à gorge déployée !
Mince, l'heure tourne et je ne m'en suis même pas rendue compte. Je vais te laisser Taylor. Je repasserais un plus tard pour pouvoir faire les dernières vérifications de la journée. Ne te torture pas trop l'esprit hein, et surtout, continu de te battre, tu y es presque.
J'entends qu'elle se lève et la porte s'ouvrir et se fermer. Me revoilà seul. Seul avec moi-même. Ne te torture pas trop l'esprit hein ? Plus facile à dire qu'à faire. En même temps c'est la seule chose à ma portée. Je dois vraiment éviter de me tourmenté maintenant.
J'aimerais bien me reposer.
Je crois qu'il existe un moyen pour dormir sans sombrer dans le noir. Je vais essayer ça. Je dois juste me concentrer. Me concentrer sur quelque chose, comme si je rêvais, comme si j'allais réellement dormir dans mon lit, je l'ai déjà fait alors je peux recommencer.
Voyons voir...Ça fait du bien, un peu de répit.
Bonjour à toi faux-Aaron.
H.
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