21.5


̶ Ce que je dis n'a aucun sens, je le sais. Je n'arrive pas à exprimer ce que j'ai envie, car je n'arrive tout simplement pas à mettre de mot dessus. Alors oui, tout ce que je pense pourrait tenir en seulement trois petits mots, adressés directement à Mae, mais non. C'est beaucoup trop vague, beaucoup trop banal, beaucoup trop commun pour quelqu'un qui est loin d'être comme le commun des mortels. Je ne peux décemment pas juste dire Je t'aime à Mae, parce qu'elle mérite tellement plus. Elle mérite des milliers de mots, des milliers de déclarations, et des milliers de preuves. Mais il est trop tard, alors maintenant je ne peux qu'espérer qu'avant de partir elle avait conscience de l'intensité de mon attachement pour elle.

Je m'arrête l'espace de quelques seconde, ou peut-être de quelques minutes, et ferme les yeux J'essaye de rassembler mes idées. Je sais très bien que tout ce que je suis en train de raconter est loin d'être adapté à un enterrement, mais je ne me contrôle pas. Je dis ce qui me passe par la tête et mes pensées sont dictées par la douleur, le stress et la peine. Je n'y peux rien. Je respire un grand coup, plusieurs fois d'affilées, tout en gardant mes paupières closes. Lorsque je me sens à nouveau prêt, je relève la tête et regarde l'assemblée, étonnement silencieuse. Je reprends, usant de toute la force que je possède pour ne pas dire de bêtises :

̶ Je ne veux, ne peux, et ne vais pas l'oublier ; mais qui le peut de toute façon ? Elle a fait partie de ma vie pendant un certain temps, et sa présence dans mon cœur continuera d'égayer mes moments de faiblesses. Certes, je pense que, comme pour vous tous, son absence me sera douloureuse, mais je suis certain que l'après-coup vaudra toute cette douleur. Puisque, après tout, c'est comme ça que marche la Vie, je me trompe ? Elle rétablit l'équilibre. Alors, oui, cela mettra du temps, mais on arrivera à surmonter cette perte.

Je vais parler de quelque chose de totalement différent maintenant. Je vais parler de musique. Les personnes ici-présentes qui me connaissent savent que j'aime la musique.

Mae aussi.

Moi je chantais et elle, elle m'écoutait et parfois on s'amusait à faire des duos.

C'était beau.

Il y a quelque temps, je n'avais plus laisser sortir une seule note de mes lèvres. Ces sons, ces mélodies lui étaient réservés, alors je refusait de me remettre à chanter. Et puis j'ai craquer lorsque l'on m'a annoncer sa mort. Et aujourd'hui, je sais que c'est osé, j'aimerais chanter une dernière fois avant qu'elle ne soit plus là physiquement.

J'aimerais lui offrir une musique d'un de nos groupes favoris, une chanson que je me suis passée en boucle durant 6 mois environ. Elle résumait totalement la situation que je vivais, les événements passés, à quelques choses près. Et je la trouve magnifique, au moins autant que l'était la vie de Mae, alors maman, si tu pouvais venir juste trente secondes.

                    

Je ne cherche pas à connaître la réaction des gens, je regarde juste ma mère qui avance vers moi, ma guitare avec elle et un demi-sourire sur le visage. Je ne fais pas attention aux larmes qui ont coulé sur ses joues et la remercie en me saisissant de mon instrument. Elle retourne directement à sa place, et je m'installe du mieux que je peux pour pouvoir jouer, et lance un regard à Fabien qui hoche simplement la tête. Je me suis très peu entraîné chez moi, et j'avoue que sur l'instant présent je regrette un peu. Je ne veux pas me rater, j'ai peur vraiment peur de me louper à vrai dire. Ça gâcherait tout.

Une fois bien calé, je jette un coup d'œil aux gens présents et leurs dit juste avant de commencer :

                    

̶ La chanson s'appelle Amnesia, et elle est du groupe 5 seconds of Summer. Hum... Si je finit par pleurer, c'est normal, alors excusez-moi d'avance.

Je les regarde et vois quelques sourires ainsi que quelques visages exaspérés.

Je m'en fiche.

J'ai décidé de chanter devant toutes ces personnes, ce qui n'est jamais arrivé en réalité, à part lorsque j'allais dans ma rue. Le stress monte, il s'installe en moi et me tord le ventre. Je ne peux pas craquer maintenant, je me l'interdis. Je lève les yeux au ciel et ravale mes larmes, respire un grand, branche mon téléphone à l'enceinte que j'aie apportée dans la housse de ma guitare, lance l'instrumental et laisse ma voix s'élever dans l'air :

                    

̶ I drove by all the places we used to hang out getting wasted

I thought about our last kiss, how it felt the way you tasted

And even though your friends tell me you're doing fine

And you're somewhere feeling lonely even though he's right beside you

When he says those words that hurt you do you read the ones I wrote you?

Sometimes I start to wonder, was it just a lie?

If what we had was real, how could you be fine?
'cause I'm not fine at all

Le premier couplet va commencer, et c'est le plus dur de tous pour moi. Mais je dois continuer, alors je laisse mes doigts gratter les cordes de ma guitare :

                    

̶ I remember the day you told me you were leaving

I remember the makeup running down your face

And the dreams you left behind you didn't need them

Like every single wish we ever made

I wish that I could wake up with amnesia

And forget about the stupid little things

Like the way it felt to fall asleep next to you

And the memories I never can escape

'Cause I'm not fine at all

Respire Tayly', ne pleure pas, ne craque pas. Tu peux réussir, allez. Je me répète ces mots en bouclent dans ma tête, à tel point que je dois faire attention à ne pas en remplacer les paroles :

« The pictures that you sent me they're still living in my phone

I admit I like to see them, I admit I feel alone

All my friends keep asking why I'm not around

It hurts to know you're happy and to face that you've moved on

It's hard to hear your name when I haven't seen you in so long

Le refrain est là, véritable libération. Le chanter n'est pas éprouvant ou en tout cas moins que le reste, les mots sortent sans que je n'y fasse attention. Le refrain n'est pas important pour moi, ce n'est pas ça qui me transpercent dans la chanson, à part la fin :

                    

̶ It's like we never happened, was it just a lie?

If what we had was real, how could you be fine?

Cause I'm not fine at all

Je dois avouer que je ne sais plus vraiment ce que je chante, j'ai comme un trou de mémoire du moment où la suite sort de ma bouche, et quand je me réveille de cet espèce de moment d'absence, j'ai avancé d'un couplet déjà dans la chanson. Je me laisse porter par ma voix en réalité, et même si habituellement j'adore ça, là je me déteste pour réussir à le faire. Alors je me force à avoir conscience du reste :

                    

̶ If today i woke up with you right beside me

Like all of this was just some twisted dream

I'd hold you closer than I ever did before

And you'd never slip away

And you'd never hear me say

Et je recommence encore.

C'est la fin, j'ai réussi.

Je ne sais pas comment j'ai fais, mais je suis arrivé au bout.

J'arrive au bout, je ne fais plus du tout attention à ce que je chante, et finalement ce n'est pas si grave parce que j'ai tenu. Je sais juste ce que je veux faire pour la suite : je veux mettre le maximum de vérité et d'émotions dans le dernier vers. Et c'est ce que je fais :

                    

̶ 'Cause I'm not fine at all.

J'ouvre mes yeux et regarde devant moi. Aucun bruit.

Tant mieux.

Je murmure un merci et m'en vais directement rejoindre ma mère à ma place. J'ai les oreilles qui bourdonnent, et je me demande si ce n'est pas à cause de ça que je n'entends rien. Je crois distinguer les lèvres de ma mère former le mot bravo, mais je n'y prête aucune intention. J'attends que la cérémonie finisse.

J'attends que le cercueil soit emmené. J'attends que les gens se pressent pour le voir disparaître dans le four.

J'attends de voir le monde sortir.

J'attends la fin de la journée, ou de l'après-midi, je ne sais même plus.

Chanter ainsi à réveiller une partie que je n'apprécie pas vraiment de moi. Je n'étais plus moi, j'allais craquer. Ma jambe tressaute nerveusement alors que je suis le seul encore assis, et probablement le seul encore dans la salle. L'en empêcher ? J'en suis incapable. Et actuellement c'est mauvais signe, vraiment.

Je vais craquer.

Être innarrêtable.

Non.

Hors de question. Pas ici, pas maintenant. Je dois me maîtriser, me contrôler. Pour elle. Comme une question de respect. Je ne veux pas faire une scène. Je me fiche des conséquences une fois arrivé chez moi, mais je n'en ferais pas une à cet instant. Je ne peux...

                    

̶ Taylor... Mon chéri, on y va, c'est fini.

Je n'en demande pas plus, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire je suis déjà dehors. Ma mère a signé ma libération avec sa phrase.

Mon allure est rapide. Je cours presque. Je sais que mes parents vont rester un peu là-bas, qu'ils vont faire tout ce que je ne peux pas faire, qu'ils vont embrasser Fabien et la famille de Mae, qu'ils vont les réconforter, mais moi j'en suis incapable. Je dois marcher.

Je prends mon téléphone dans un geste automatique et envoie rapidement un SMS à ma mère :

envoyé à Mum, aujourd'hui, à 17h39

Je vais à la maison à pieds, m'attendez pas.

Puis je me mets à courir. Je sais très bien où je veux aller, et je sais que c'est loin sans vraiment l'être. Je lance de la musique sur mon téléphone et cours en le tenant fermement dans ma main.

Je ne m'arrête pas.

Je continue encore et encore d'avancer, sans me retourner. Je ne vois pas le temps passer. J'essaye de ne pas penser, de continuer de me retenir. J'ai besoin d'être calme. J'ai besoin de respirer, j'ai besoin de faire le vide dans mon esprit, j'ai besoin de ça.

Je m'arrête d'un coup sec, aussi bien dans mes pensées qu'en réalité.

J'y suis.

Ça y est. Je suis arrivé. Mon endroit secret, qui m'apaise rien qu'avec la vision de cette vue magnifique. La hauteur ne me gène pas, elle me donne l'impression d'être au-dessus de tout, perdu dans les nuages.

Proche d'elle.

Et je m'effondre en larmes.

*



H.

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