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Respire Taylor.

Respire.

Tu peux la lire, tu dois la lire. Ferme les yeux, respire un grand coup, et repose tes yeux sur son écriture si fine et si belle.

« Hey Tayly'. C'est moi, Mae... Enfin, je suppose que tu auras reconnu mon écriture, vu le nombre de mots que je me suis amusée à écrire dans ton agenda depuis qu'on est ami. Je vais commencer par te demander de ne pas m'en vouloir, mais je vais pas respecter les codes de l'épistolaire parce que sinon, je n'y arriverais pas.

Je sais que c'est dur, Tayly', pour moi aussi, je t'assure. Outre la douleur due à ce foutu cancer, j'ai mal de ne pas te voir. Oui, je ne prends pas de pincettes, après tout, à quoi ça servirait ? Je suis malade, c'est un fait, alors pourquoi je devrais utiliser des paraphrases pour te le dire ? Oui, je suis cancéreuse. Une gamine cancéreuse. Et oui, c'est difficile à vivre. Mais je dois faire avec, je ne vais pas me laisser abattre. Alors oui, je dois t'avouer que parfois je craque, mais qui ne l'a pas déjà fait ? Ça arrive à tout le monde, parce qu'on est des humains après tout. Et puis, il y a des gens qui ont des problèmes bien plus grave que ma maladie. Alors, c'est fini de s'apitoyer sur son sort, place à la vraie vie !

Je dis ça, mais je ne peux pas réellement vivre... coincée entre l'hôpital et l'appartement que mon père a loué, à attendre l'opération qui est censée me guérir et me débarrasser de toute cette merde. À attendre et à subir les séances de chimio, à voir mes cheveux tomber, à voir mes forces disparaître... La vie rêvée hein ? Ouais, je sais, d'habitude je suis toujours positive, mais je pense que maintenant que tu es au courant, j'ai le droit de te lasser voir la part de désespoir que j'aie en moi. Je pense que tu es à même de comprendre ce que c'est, je me trompe ? Tu sais ce que c'est de vivre mais d'avoir l'impression de ne plus être vraiment là, non ?

Je suis désolée Tayly', je sais très bien que j'aurais dû te le dire avant, mais tu étais... ailleurs, je ne sais pas trop comment l'expliquer. Tu n'allais pas aussi bien qu'avant, je le sentais. Maintenant, je comprends pourquoi. Et je suis désolée de ne pas m'en être rendue compte... Mais, arrête de dire que c'est de ta faute, tu étais transi d'amour pour lui, alors crois-moi, ça ne dois pas être ta faute. En aucun cas. Oui, je sais que j'arrive trop tard pour te réconforter, mais mieux vaut tard que jamais non ?

Tayly', je n'ose même pas imaginer l'état dans lequel tu dois être... à vrai dire, j'ai peur de comment tu peux être. J'ai peur que tu fasses des bêtises, j'ai peur que tu te renfermes, j'ai peur que tu t'arrêtes de vivre. Tu ne pourras jamais le nier, tu étais sensible, et je pense que tu l'es encore. J'ai peur de t'avoir détruit en partant ainsi. J'essayais de te protéger, et j'essayerais toujours de te protéger.

Parce que c'est ce qu'on fait l'un pour l'autre, on se protège mutuellement. Parce qu'on est pas aveugle, et qu'on sait que la vie nous réserve quelques mauvaises surprises parfois. J'essayais de te protéger, crois-moi. Et de me protéger aussi en passant. Je pense que je refusais d'admettre que j'étais malade, et que j'allais probablement devoir te quitter. C'était trop dur à imaginer, trop dur à vivre, trop dur à penser, trop dur à faire. Tu comprends ? Je ne suis pas la plus forte de toutes, pourtant je me défends sur ce terrain, et tu le sais, mais là... Non, c'était bien plus fort que moi, j'en étais incapable, c'était impossible. La vérité ne pouvait pas être la réalité, c'était forcément faux. J'étais dans le déni complet, le déni total. Je suppose que tu connais ça aussi non ? Tu as déjà dû le vivre, non ?

Je ne devrais pas te parler de tout ça, je devrais te rassurer sur mon état, sur ma vie, sur le diagnostic. Mais je n'y arrive pas, je ne sais pas pourquoi. Je pense que je refuse juste de te mentir. Tout le monde le sait, que je suis une piètre menteuse. Je ne peux pas te dire que tout va bien, que je vais mieux, que demain je serais guérie, que je ne risque pas mourir. C'est faux. C'est juste un foutu mensonge. Un foutu mensonge que je suis incapable de te dire, pas à toi, surtout pas à toi. C'est bête non ? Totalement stupide même. Désolant.

Le cancer altère ce que je suis, je ne suis plus reconnaissable et ça a le don de me mettre dans une colère noire. Je déteste être comme ça. Vraiment, c'est insupportable. J'ai l'impression d'être une autre personne. Je me renferme, je suis incapable de rire ou de sourire sans que ça ne sonne faux. Je suis censée ne pas me laisser abattre, sourire à la vie, mais je n'y arrive pas. Pourquoi ? Pourquoi bordel ?

Taylor, j'ai tellement besoin de toi. Il n'y a rien ici, rien qui ne me rende heureuse, rien qui m'aide. J'ai besoin de toi avec moi, j'ai besoin de pouvoir m'appuyer sur toi pour réussir, pour surpasser tout ça. Pourtant je me refuse à t'appeler, je me refuse à te parler. Cette lettre est juste une preuve de ma faiblesse, et je suis sure qu'à la minute où je l'aurais postée, je regretterais aussitôt. Je veux te protéger de tout ça, je ne veux pas que tu souffres à cause de moi. Je dois m'éloigner de toi, même si ça fait mal. Je dois m'éloigner pour que tu puise vivre sans te préoccuper de moi. Je dois penser aux autres avant de penser à moi. Je ne peux pas épargner mes parents, mais toi, à qui je tiens comme à la prunelle de mes yeux, toi je peux t'éviter de souffrir. La décision que j'ai prise était radicale, et celle que j'aie encore une fois prise en refusant à tes parents l'autorisation de te donner de mes nouvelles est elle aussi radicale, mais c'est pour ton bien, crois-moi. Parce que comme ça, tu pourras plus facilement m'oublier, me haïr, me laisser. Parce que comme ça, si je meurs – enfin je devrais dire quand je mourais, mais bon – se sera plus simple pour toi de faire ton deuil. Comme ça, je ne te causerais pas de douleur inutile. Je sais très bien que ce que je te dis semble incompréhensible, que mes actes le sont encore plus, mais il ne faut pas chercher à comprendre, je suis comme ça. Dans ma tête, tout est clair. Et ça m'apparaît comme étant la seul solution à ton bonheur.

Pour t'expliquer un peu mieux, j'ai peur – et je sais que ça arrivera – qu'à force de vouloir et d'essayer de me protéger, tu finisses par te détruire. Il ne faut pas. Tu ne dois pas te donner autant de mal pour moi. D'accord ? Détache-toi de moi. La petite cancéreuse quasiment condamnée que je suis n'en vaut pas la peine, okay ? Ne te torture pas l'esprit en pensant à moi. Ne te fais pas de mal inutilement. Tu dois rester intacte. Et si l'idée de devoir m'oublier t'est aussi insupportable qu'elle l'est pour moi, dis-toi que tu dois rester sain pour moi.

Putain, cette lettre est vraiment pathétique. Je commence à me dire que je ne vais pas te l'envoyer. En fait, je l'ai déjà recommencée un bon nombre de fois, avant de me rendre compte que ça n'allait pas. À chaque fois je me dis que c'est bon, que c'est la bonne, que je vais enfin réussir à t'écrire quelque chose de potable. Mais non. C'est bête n'est-ce pas ? Et actuellement je n'ai pas l'envie de recommencer. J'ai juste envie de finir celle-ci, de la mettre dans une enveloppe et de demander à mon père de la poster. Je n'ai pas envie de la froisser et de la jeter. De toute façon, vu le nombre de boules de papier qui jonchent le sol de ma chambre, je ne sais pas si j'aurais la place pour en rajouter une. C'est minable.

Combien de fois je vais devoir recommencer ?

Combien de fois je vais devoir refaire le même début pour finir sur une fin qui ne me plaît pas ?

C'est stupide, surtout que je sais que toi, qu'importe ce que j'écris, tout t'ira. Mais je ne sais pas pourquoi, je n'arrive pas à terminer cette foutue lettre. Peut-être que j'ai peur. En même temps, c'est totalement rationnel d'avoir peur, puisque, sans me voiler la face, cette lettre sera sans doute la dernière chose qui te sera directement adressée, hormis mes pensées. Et puis, je pense que je ne vais même pas avoir de réponse. Ça ne m'étonnerais même pas si on m'apprenait que tu ne l'avais pas ouverte. Étonnant non ? Non, je pense que je te connais juste un peu trop bien pour ne pas pouvoir prédire tes réactions, tes gestes, tes idées et tes actes. En même temps, combien d'années a-t-on passées tous les deux ? Littéralement inséparable ? Et je ne peux que supposer que tu me connais aussi bien que moi je te connais.



H.

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