2.5 - T.W
Tout le monde me pointe du doigt, les quelques professeurs présents dans les couloirs chuchotent eux aussi, me regardant avec pitié, ou montrant une colère certaine envers mes camarades. Je ne comprends pas. L'incompréhension se mêle à l'appréhension, et j'aimerai bien savoir pourquoi tout le monde s'intéresse à moi d'un coup. Ce n'est pas que ça me dérange, c'est juste que je ne suis plus habitué, avant on était deux à être ainsi fixé et maintenant je suis tout seul... mais bon, qu'ils me regardent si ça les amuse. Enfin... Ils soulèvent quand même quelques questions chez moi, peut-être poussées par une curiosité malsaine. Comment en suis-je arrivé là ? Pourquoi font-ils ça ? J'ai l'impression d'être spectateur de la scène, de la regarder d'en haut et d'observer en continu tout ce qu'il se passe. Je marche le long des murs, sourcils froncés et tête baissée – ce qui n'est pas habituel pour moi qui ait comme réflexe de me tenir bien droit. Tout le monde me regarde et me pointe du doigt, chuchotant plus ou moins discrètement. Je commence à être mal à l'aise à cause de tout ça, c'est dérangeant, inquiétant. Hier encore, personne ne me remarquait et aujourd'hui je suis comme sous le feu des projecteurs... que c'est-il passé ?
J'avance, j'avance, j'avance, je veux juste arriver à ma salle et aller en cours. Normalement il ne me reste pas beaucoup de trajet encore. Je passe devant plusieurs portes fermées sans faire attention à leur numéro, je sais déjà où se trouve celle où je dois me présenter. Je suis habitué à faire ce chemin, et encore plus à le faire seul. Mais, je me demande si baisser la tête est une si bonne idée quand je vois des feuilles à moitié froissées gisant au sol. Mes sourcils se froncent encore plus alors que je tends le cou vers la porte de ma salle et que je m'arrête net. Est-il vraiment sérieux ? C'est pire qu'un coup de poing, pire qu'une gifle, pire que tout ce que j'ai déjà subi. C'est un coup psychologique et non plus physique ; il a changé de technique apparemment, il est devenu plus malin.
C'est un coup classique, je pensais qu'il aurait fait preuve de plus d'imagination, mais c'est déjà énorme pour quelqu'un comme lui. Je suis un peu déçu, je dois l'avouer, mais je ne pense pas que mes états d'âme compte là de suite. Dans tous les cas, ça fait mal. Ça fait quand même énormément mal. Ça me troue le cœur, le broie ; ma poitrine et mes yeux me brûlent. La douleur me transperce, ma fierté en prend un coup. C'est un enfoiré de première, je le savais et pourtant j'espérais encore un peu de clémence de sa part. Mais après tout, il m'a prit en grippe pour une raison quelconque, que je ne comprendrais probablement pas si jamais je la connaissais.
Ça me frappe, là, comme ça, à froid. Et je me retrouve à tourner sur moi-même, les yeux écarquillés. Il y en a partout, sur toutes les portes de classe, sur les fenêtre et les murs. Mon second réflexe et d'arracher l'affiche placarder sur la porte devant moi et de la fixé, les main serrées autour au point de la déchirer. Autour de moi, un groupe d'élèves s'est formé, et il me semble que certains filment ma réaction. C'es donc ça, la jeunesse actuelle ? Parfois, je sens une main me tapoter l'épaule en signe de réconfort, et quelques personnes demander aux autres d'éteindre leurs portables et de partir. Est-ce que ça marche ? Non. Le seul moment où tout semble s'apaiser est lorsque, enfin, mon professeur arrive et disperse tout le monde. Mes camarades rentrent dans la salle, je les entends ; et moi je reste immobile. On ne m'invite pas à rentrer, on m'attends juste, mais c'est hors de question. Je ne vais pas aller en cours alors qu'il y a tout... ça. Alors je fuis. Je fuis à travers les couloirs, les larmes aux yeux. Je fuis et je m'arrête près de l'escalier, m'asseyant sur les marches, tenant dans mes mains la feuille dévastatrice.
L'objet du délit, celui qui me cause tant de mal n'est rien d'autre qu'une feuille, un bout de papier minable qui était scotché sur une porte, sur un mur, une fenêtre. Mais le contenu est tellement douloureux. On a beau se dire à chaque fois qu'on lit une histoire, une fiction, que l'on ne ressentirait rien si ça nous arrivait, c'est faux. On a beau se dire que ça n'arrive toujours qu'aux autres, c'est faux. Pourtant, je ne pensais pas avoir cette mentalité après tout ce que j'ai déjà vécu, mais apparemment je me suis trompé. Et bordel, la réalité fait mal, vraiment.
L'image ? Une photo de moi en caleçon, dans les vestiaires. Je suis debout, un peu sur le côté, la tête totalement tournée vers la personne à ma gauche qui ,elle, est coupée du cliché. Je me mord la lèvre et l'œil que l'on arrive à voir détient une lueur de désir dans le regard. Puis une autre photo accompagne le tout, je suis habillé cette fois, en cours et j'observe hypothétiquement quelqu'un. Il y a un cliché différent sur chacune des feuilles accroché dans le lycée, et je ne peux pas m'empêcher de me demander comment Josh a-t-il pu trouver tout ça. Et, puisse que ce n'est jamais assez, en dessous de cette magnifique œuvre est inscrit : « Dis donc tapette, tu fantasmes bien ? ». Et rien que cette phrase me donne envie de le taper, de l'envoyer à l'hôpital et que sais-je d'autre. Pas forcément parce qu'il sous-entends que je suis gay, je suis habitué à ça et c'est la vérité.Même l'emploi de l'insulte, puisque s'en est une venant de lui, ne me fait rien. Non, ce qui me gêne c'est qu'il vient d'afficher à tout le lycée mon orientation sexuelle. Alors oui, en soit ce n'est pas un problème, je l'assume ; mais la façon dont il l'a fait est intolérable. Je ne fantasme sur personne dans ma classe ou dans cet établissement. J'ai oublié la seule personne qui me retournait l'estomac depuis quelques mois maintenant, alors non, je ne supporte pas ce qu'il sous-entends avec ces images. Maintenant, tout le monde va m'embêter avec ça. Oh bien sûr je sais que je suis à un endroit ou en général les gens sont ouvert d'esprit ; mais l'orientation sexuelle de quelqu'un et son béguin possible, c'est différent. Et puis, toutes ces images sont trafiquées, parce que jamais, ô grand jamais, je n'ai porté un tel regard sur quelqu'un ici.
Je me dépêche de réduire le papier en mille morceaux. Je. Ne. Veux. Plus. Voir. Cette. Horreur. Les divers petits bouts se répandent autour de moi et j'entends encore les rires de quelques élèves qui assistent à la scène. Ce Josh est insupportable, invivable. Je suis sûr que c'est lui. Il n'y a aucun doute à avoir, puisque c'est le seul à me porter ce type d'attention. Sérieusement, n'a-t-il jamais éprouvé ne serait-ce qu'un peu d'amitié ou d'empathie pour quelqu'un ? C'est un cœur de pierre ou bien ? C'est avec certitude que je peux affirmer que tout le monde croit qu'il n'a jamais pleuré. Même moi j'y crois à vrai dire. Je suis en colère contre lui, à un point inimaginable. Jamais je n'aurais pensé en arriver là.
En attendant, ce n'est pas ça qui va m'aider. Ce n'est pas ma haine pour cet espèce d'énorme imbécile qui va m'aider à supporter tout ça, ce n'est pas ma rancœur qui va m'aider... mais en même temps c'est vrai, comment faire ? Comment je peux supporter de me faire rabaisser, taper et insulter ? C'est tellement injuste.
Je me tape la tête dans mes mains, les larmes roulant finalement sur mes joues. J'ai subitement envie de lui coller mon poing à travers la figure à cet idiot. Et avant même de m'en rendre compte je me retourne et balance ma main dans le mur de toutes les forces que je possède. Plusieurs fois, sans m'en rendre compte, jusqu'à ce que la douleur me rattrape.Je ne pensais pas avoir autant de force. La souffrance me fait pousser un cri très peu viril, je dois l'avouer, et je pense que j'ai la réaction habituelle de toute personne normalement constituée : je commence à secouer ma main dans les airs en jurant et insultant le monde, les larmes encore plus abondante.
Quand la douleur c'est un peu calmée, je prends le temps de regarder l'état de mon poing et je ne peux m'empêcher de grimacer en le voyant. C'est tout sauf beau à voir. Je saigne de quasiment chaque phalanges, j'ai du mal à plier et déplier la main, un œuf commence déjà à se former dans l'espace entre mon auriculaire et mon annulaire et un joli hématome est déjà un peu sorti. J'ai mal sans même y toucher. Je ne me suis pas rater et je suis à peu près sûr que je vais me coltiner ce magnifique bleu pendant un certain temps. Bravo Taylor, tu as toujours des bonnes idées.
Il faut que je me ressaisisse, et vite. Il faut que j'arrête de faire attention à ce pauvre imbécile de Josh, il est en train de foutre ma vie en l'air. Et le pire dans tout ça c'est que je peux pas le faire payer, sinon ce serait trop beau. Il a plus d'amis que moi – ce qui n'est pas difficile étant donné que je n'en ai pas un seul en fait – ainsi que plus d'influence et ce n'est pas comme si lui se fichait d'être renvoyé et moi pas. Je ne peux pas le balancer non plus, je connais le sort qu'il réserve aux balances qui ont le malheur d'aller se plaindre auprès du proviseur ou de leur parents et franchement j'en n'ai pas trop envie. Je crois que je suis coincé, et par-dessus tout ça, dans un bordel intersidérale.
La vie est putain d'injuste..
*
**
̶ Je vais faire de ta vie un enfer.
**
Je me souviens de cet avertissement, de cette mise en garde. Je ne sais pas ce qui est le pire actuellement. Le fait que tout se soit passé, ou bien qu'il me soit forcément arrivé pire que tout ça ? Je ne m'en souviens pas, mais je n'ai franchement pas envie de le revivre dans tous les cas. Chacun de ses souvenirs me son familiers, même si j'imagine que certains ont été un peu modifié avec le temps. Je ne sais pas de quand il date... Peut-être de la seconde ? Je crois me rappeler qu'après ma rencontre avec Aaron, je n'avais plus de problème de ce genre, or on s'est lié d'amitié vers le milieu de cette année-ci donc...
Je n'imagine même pas la peur que je devais sentir au quotidien, je ne m'en souviens même pas, mais là, tout de suite, rien qu'à la perspective de revire encore un souvenir aussi sombre, je suis effrayé.
H.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top