19.70 - T.W

J'ai peur.

J'ai peur quand je vois où mes pensées me mènent.

J'ai peur quand je sens toute cette colère bouillonner en moi.

J'ai peur quand je perçois toute cette peine, toute cette tristesse qui menace de me submerger.

Comment suis-je censé tout gérer, tout contrôler ? C'est impossible, je n'en possède pas les moyens. Depuis longtemps j'ai perdu l'ascendant que j'avais sur mon cœur, depuis la disparition de Mae à vrai dire, mais maintenant qu'il est au bord de l'explosion, je n'ai aucun moyen de l'en empêcher, aucun moyen de me protéger. Je vais encore souffrir, c'est indéniable. Mais quand ? Avec quelle intensité ? Pourquoi ? Tout ceci ne sont même pas un quart des questions qui envahissent ma tête à l'heure actuelle.

Chère Vie, chère Mort, répondez-moi, vous qui savez tout. Vous avez, chacune votre tour, était mon amie, mais aujourd'hui, je me sens abandonné, trahi. C'est vous qui l'avez emporté, et vous m'empêchez de la rejoindre ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Je veux bien entendre que la maladie était plus forte qu'elle, c'est possible, mais dis-moi la Vie, c'est toi qui a choisi qu'elle devait en souffrir ? Je me trompe ? Vous avez décidé de la tuer, je pourrais même qualifier cela d'assassinat, mais se serait trop... prétentieux. Je ne peux décemment pas vous accuser de mort. Enfin, théoriquement, oui je le peux, mais pas de meurtre, c'est totalement différent.

Pourquoi est-ce que je part dans de tel débat avec moi-même ? Il faut que je me stoppe, ça suffit. Fini de parler tout seul en faisant semblant de s'adresser à la Mort, ou bien à la Vie.

Stop.

Je dois m'arrêter. Je sais très bien que je ne vais pas bien, et faire ça ne m'aidera sûrement pas à remonter la pente.

Stop.

Mais je ne peux pas m'arrêter. Je ne peux pas, car c'est justement ces moments de discussions avec l'irréel qui m'empêche d'être submergé par les émotions. Depuis combien de temps nous a-t-elle quitté ? Une semaine ? Oui, cela doit être ça.

Et l'enterrement, y ai-je seulement songé ? Non. C'est tout simple, non.

Ai-je l'intention d'y aller ? Je ne sais pas, je n'en serais probablement pas capable.

Et, connaissant son père, il me proposera de parler, de faire une éloge funèbre pour sa fille. Mais je n'en aurais pas la force. Tellement de choses auxquelles je dois penser, tellement de choses que je dois prendre en compte, tellement de choses à supporter.

Est-ce vraiment faisable ? Je ne pense pas. J'en suis tout bonnement incapable. Je suis un incapable fini. Je ne peux rien faire, je ne peux rien supporter, tout est devenu trop dur pour mon pauvre cœur explosé.

La douleur arrive, je la sens, elle est encore tapie au fond de moi ne me laissant en ressentir seulement un peu, mais cela m'effraie tout de même. Je ne pourrais jamais survivre avec un tel flot de ressentiment. Et vivre avec tout ça, pendant des années, c'est inimaginable. Avoir tout cela dans ma tête, au quotidien... Non. Je ne le veux pas. Je refuse. Hors de question de devoir avancer dans le temps avec tout ceci. Je me fiche de ce que l'avenir, ou le destin, ou la Vie, ou que sais-je encore, avait prévu pour moi, mais je n'en veux pas. Enfin, je ne veux pas d'une vie sans Mae, c'est plus simple dis ainsi. Oui encore une fois, pour le dire autrement, je ne veux pas vivre sans elle.

Je suis dans le flou, submergé par tout. On m'étouffe, on me noie, on me broie, et que sais-je encore.

Quand est-ce que tout cela s'arrêtera ?

Combien de temps vais-je encore devoir supporter ça ?

Mes idées s'embrouillent et s'emmêlent. Je sais très bien ce que cela veut dire. Je sais très bien ce que je retiens d'entrer dans ma tête. Je dois me maîtriser, me contrôler. Vous voyez, très chère Mort, très chère Vie, dans quel état vous me mettez ?

Je dois m'asseoir, me protéger, et surtout pas me balancer d'avant en arrière. Je dois garder le contrôle de moi-même, je ne peux pas le perdre, même si c'est déjà quasiment le cas. Je dois essayer de garder la tête hors de l'eau, je dois faire un effort, je dois continuer de me battre, juste encore un peu. Juste le temps que cela passe, juste le temps d'aller à son enterrement. Juste le temps de lui parler une dernière fois, même si elle ne me répondra plus. Je dois tenir, je dois résister.

Lutte Taylor, lutte de toutes tes forces. Ne les laisse pas revenir, ne les laisse pas envahir ton cœur et ta tête.Ne te laisse pas avoir. Oui tu veux la rejoindre, mais tu dois attendre encore un peu. Pas dessuite, pas maintenant. Tu dois rester encore un peu. Tu dois te battre, tu dois résister. Sinon tes efforts seront vains, il n'est pas...

Trop tard.

C'est trop tard, elles sont là, elles reviennent, elles m'assaillent. Comment décrire ce que c'est ? Des envies, des pensées, des questions, la Mort.

Et puis, ça changerait quoi si je mourais ?

Et puis, y aurait-il vraiment quelqu'un qui le remarquerait ?

Et puis, mes parents s'en foutraient non ?

Et puis, se serait mieux pour Aaron aussi, non ?

Et puis, y a-t-il vraiment quelqu'un qui tient à moi, qui a besoin de moi ici ?

Et puis, pourquoi je suis en vie ?

Et puis, à quoi ça sert que je lutte ?

Je ne suis pas assez fort, je ne sers à rien, ça ne changera rien, ça sera mieux pour tout le monde. Je n'y arriverai pas. Je veux la rejoindre, je ne pourrais pas supporter d'attendre encore.

Elles ont gagné, encore une fois.

Je les hais.

Je hais ces pensées, ces idées, ces envies. Et pourtant, je leur obéis. Je les hais, mais elle font partie de moi.

Je me hais.

Je me hais de succomber à chaque fois qu'elles reviennent. Je me hais de ne pas réussir à les faire disparaître.

Je me hais !

Mon corps ne m'obéis même plus. Je me lève sans le vouloir, je sors de mon lit, je trébuche un nombre incalculable de fois sur les dizaines de feuilles de papiers qui jonchent le sol. Je sais très bien ce que je suis en train de chercher, inconsciemment, mais je n'ai aucune envie de le trouver. Je sais très bien que je ne pourrais pas me retenir une fois qu'il sera exposé à ma vue. Le papier se froisse sous mes pieds, et je grimace en pensant à tout le travail que j'ai fait et que je suis en train de piétiner. Aaron me tuerait s'il voyait ça. Je tombe à genoux parmi tout mes écris et je fouille.

Je fouille.

Je ne sais même pas pourquoi, je sais très bien que mon rasoir, ou même mon compas, ne sont pas là. Mais je fouille frénétiquement parmi les feuilles. Je suis incapable de savoir ce que je cherche. Je suis totalement déconnecté. Mon corps obéi à mon subconscient et moi je suis perdu. J'essaye de comprendre ce qu'il m'arrive, ce que je fais. Je ne fais même pas attention à ce qui me passe sous les yeux, j'écarte tout sans vraiment le regarder.

Puis je la trouve. Enfin. Cette petite enveloppe, un peu plus rigide que mes textes. Je la regarde encore une fois avec incompréhension. Je pensais l'avoir jetée. Mon nom est écrit dessus, d'une belle écriture, je pourrais presque dire en calligraphie. Enfin, ce n'est pas mon nom mais mon surnom : Tayly'.

Mae.

C'est sa lettre. Je ne l'ai même pas ouverte, pourtant je l'ai reçue avant sa mort. Depuis combien de temps est-elle là ? Elle est partie il y a quelques jours à peine, certes mais...

La dernière fois que j'en ai parlé à quelqu'un, c'était à Aaron, il y a un peu moins d'un mois. Et je ne l'ai toujours pas ouverte. Pourquoi ? Je n'osais pas, je ne voulais pas savoir ce qu'elle pouvait bien me dire. J'avais peur. Tellement peur. J'ai toujours peur. Pourtant mes doigts viennent ouvrir l'enveloppe, sortent les feuilles glissées à l'intérieur. Je les déplies, lentement, doucement. Mon cœur s'emballe, il bat à mille à l'heure. Je tremble légèrement.

Les larmes menacent déjà de couler lorsque mes yeux se posent sur les premiers mots :
« Hey Tayly'... ».

*



H.

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