17 - T.W

Pourquoi ? La question tourne dans ma tête sans s'arrêter. Je sais, je sais ce qu'il s'est passé. Quelque part au fond de moi, j'ai le souvenir de cette tentative-là, celle qui a presque marché. Mais je n'arrive pas à enlever le brouillard qui m'en bloque l'accès, je n'arrive pas à savoir pourquoi j'ai essayé cette fois-ci. 

Je sais très bien que ce n'est pas la première fois que ça m'arrivait, de faire ça. Je sais que j'étais ce que l'on peut appeler quelqu'un de suicidaire.

Je sais très bien que c'était une envie et probablement un moment de folie qui m'a fait craquer.

Je sais très bien qu'il n'y a pas besoin de raison pour avoir envie de mourir, c'est ça être suicidaire.

Je sais très bien que c'est quelque chose contre laquelle on ne peut pas lutter, que c'est constant.

Mais moi je veux savoir ce qui a fait que je saute encore une fois le pas. Je n'aime pas ne pas savoir ça. Je me souviens d'à quoi cela ressemble de vouloir mourir : c'est indescriptible. Aucun mot ne peux résumer parfaitement ce que c'est. C'est à la fois horrible, douloureux et vide de tout. C'est un paradoxe. C'est une chose et son contraire. Tu te lèves le matin et sans aucune raison tu as envie de te jeter par la fenêtre, sous les roues d'une voiture, du haut d'un toit. Tu te mets à trouver, voir et discerner toutes les possibilités de mort qui s'offrent à toi. Et il y en a tellement, c'en est affolant, je me souviens de chacune d'entre elles.Tu les passe et les repasse dans ta tête. Encore et encore, en boucle. Tu dois même te retenir de les dire à voix haute. C'est ainsi, c'est un automatisme à te rendre fou. Et ça ne te quitte pas de la journée, si tu es chanceux, de la semaine, si tu l'es un peu moins, du mois, si tu es ni chanceux ni malchanceux, de l'année, si tu es malchanceux ; enfin ce n'est pas exact : Il y aura toujours quelques secondes de repos, où un rire s'invitera, un sourire naîtra sur tes lèvres, mais ce vide intérieur reviendra très vite, accourant au galop. Aucun réel répit. Voilà la formulation exacte.  Par contre, je ne me souviens pas des moments où je sautais le pas ; ces moments où je surgissais sur la route alors qu'une voiture arrivait, la forçant à s'arrêter ; ces moments où je vidais une tablette de médicament sans jamais que se ne soit assez fort pour me provoquer autre chose que de la fatigue et un mal de tête ; ces moments où mon sang coulait un peu trop, au point de me sentir défaillir à chaque mouvement ; ces moments où j'essayais de me noyer ou de m'étouffer sans jamais réellement réussir. Tous ces moments, je ne m'en rappelle que trop vaguement pour savoir. 

Je sais juste qu'au départ j'avais des raisons pour vouloir mourir, avant que ça ne dégénère.

Au départ, c'était du désespoir pur et simple et au fur et à mesure j'ai fini par ne plus savoir pourquoi.

Au départ, Mae et B' étaient des raisons. 

Au départ, le calvaire que Josh me faisait subir était une raison aussi.

Mais lorsque tout s'est arrangé, ou du moins en apparence, j'ai perdu mes repères et mon savoir. J'ai arrêté de me comprendre. Bien sûr, j'ai cherché à savoir pourquoi, comment. Mais je n'ai jamais trouvé. Alors, j'ai laissé faire. J'ai abandonné. 

J'ai accepté d'avoir envie de partir parfois. 

J'ai accepté de me retrouver dans le néant par moments. 

J'ai accepté d'être dans un état sans solution apparente.

Je me rappelle de ce que c'était d'être ainsi, de comment je me sentais. C'était comme si plein de certitudes étaient ancrées das mon cerveau pour me ramener tout le temps à cet été de vide. 

Parce que tu le sais, tu sais au fond de toi que tu ne pourras jamais être entièrement heureux, tu sais que tu ne pourras jamais vraiment aller bien. Tu sais que tu reviendras toujours à cet état de légume ami de la mort. 

Parce qu'à force d'avoir envie et de vouloir la rejoindre, tu te mets à l'aimer plus que tout. Tu veux que toute cette torture s'arrête, alors tu la pries de t'emmener avec elle à chaque fois qu'elle vient te tenter. Tu la pries de t'amener loin, ou alors si elle ne veut pas, de te laisser en paix ne serait-ce qu'une année, pour que tu puisse goûter au réel bonheur. Les gens ne comprennent pas forcément, alors tu arrêtes d'essayer d'expliquer. Tu te sens faible de ne pas pouvoir y résister. Tu te sens faible d'avoir été touché. Tu as l'impression d'être atteint d'une maladie incurable, mais que malgré tout c'est ta faute puisque tu l'as forcément provoquée toi-même. On te met plein d'idées en tête sur comment arrêter de penser à la mort, mais c'est beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît. Non ce n'est pas simple, non tu ne peux pas juste arrêter d'y penser. Non tu ne peux pas faire taire tes pensées avec de la musique ou avec les paroles des autres. Tu le sais. Et pourtant, tu l'as tellement entendu que tu te crois incapable, tu te crois nul de ne pas réussir à le faire. Sauf que tu ne parles jamais réellement avec les bonnes personnes, avec celles qui sont comme toi, avec celles qui ont compris qu'ils n'y pourraient rien, avec celles qui évitent de parler avec le genre de personnes avec qui toi tu discutes. Tu ne leur parle jamais de tes envies, parce que tu n'arrives pas à les reconnaître. Pourtant, ils sont reconnaissable, avec leurs humeurs changeantes, avec leurs pertes de sourires constantes, leurs crises de colère ou de larmes, leurs TOCs. Même si ils le cachent, il y a toujours un moment où cela devient trop dur, où ils doivent exploser. Ce que toi tu fais tout le temps au départ, puis très peu par la suite. Mais, au final, quand tu arriveras à te maîtriser, tu penseras que tu peux le faire, que tu peux vivre avec, que même si c'est dur, c'est faisable. Au final, tu te crées une dose d'espoir, de lumière, et tu t'y accroches fort. Du moins, moi j'ai fait comme ça. J'ai fait mon possible pour m'accrocher à cette petite dose que j'avais, la réclamant chaque jour comme un drogue. Après, tu peux la trouver sous plusieurs formes, cela peut être quelqu'un, une passion, un livre, une chanson, un instruments, un sport, un lieu, une routine et que sais-je encore. Beaucoup de possibilités s'offrent à toi, il faut juste trouver la bonne. Oui c'est compliqué, oui c'est douloureux, et oui tout ne partira pas seulement parce que tu la trouve. Mais se sera apaiser, tu auras un moyen d'amenuir tes pulsions. Certes, après t'être senti faible, tu te sentiras dépendant, mais tu auras l'impression de pouvoir, et c'est ça le plus important. Je ne dis pas que tu auras l'impression d'être heureux et de pouvoir tout faire, dans tout et n'importe quand, mais seulement parfois. Alors oui à certains moments tu ne pourras rien retenir, tu ne pourras pas t'accrocher à cette part de lumière, tu subiras, tu subiras en essayant de ne pas craquer, de ne pas crier tes maux.

Parfois, il faut même plusieurs de ces sortes de drogues pour réussir, et ça peu ne pas être assez. Comme pour moi. Pourtant elles étaient nombreuses : la guitare, le ukulélé, la batterie, la musique, l'écriture, la lecture, Aaron... et ça n'a pas suffit de toute évidence. Parfois, ça sert juste à se raccrocher à quelque chose en attendant d'imploser, de tout lâcher.

Il y a plusieurs possibilités, plusieurs différences. Il ne faut jamais prendre les choses pour acquises. C'est un sujet sensible, tabou, et en parler ne veux pas dire tout savoir ou pouvoir tout expliquer. Par exemple, je me suis toujours refusé à dire ce que tu penses quand de telles envies te prennent, de toutes façon je ne m'en rappelle plus. Mais qui sait ? Je finirais bien un jour par me souvenir, puisque de toute manière je vais me perdre dans mon propre esprit. Mais pas pour l'instant. Je refuse de rajouter des horreurs au tableau que j'ai déjà créé. 

Et puis, il y a une remarque qui me vient en réfléchissant à tout ça. Être suicidaire, c'est peut-être simplement le résultat des leçons de vie que l'on veut nous faire apprendre. Parce que c'est ce qu'on nous dit de faire : apprendre à vivre, en même temps que les secondes défilent. On apprends sur le terrain, mais apprendre la vie sur le terrain, oui, mais il y aura des lacunes, des réussites et des ratés, des larmes, des pertes. Et ça, je crois qu'on n'y a pas assez pensé.



H.

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