15 - T.W

*

— Qu'est-ce que c'est que ça Tay' ?!

Eh merde.

Comment lui dire ?
Comment lui expliquer ?
Il est en colère, et peu importe mes explications, il va continuer de s'énerver jusqu'à exploser, je le connais. Il le fait rarement, et je n'ai vraiment pas envie que ça arrive maintenant.
Automatiquement et sans le vouloir, je tire mon bras vers moi, remontant les manches de mon pull, ignorant la douleur et prenant soin de cacher mon autre poignet.

J'aurais dû me douter que c'est lorsqu'il est énervé que sa force dépasse la mienne et je peux dire adieu à tout mes espoirs pour essayer de tout camoufler. Il empoigne fermement mes deux bras avec une de ces mains, et remonte les deux manches, enlevant aussi les quelques bracelets camouflant les trop nombreuses marques. Ses mains viennent se resserrer autour de mes poignets, les broyant littéralement, et je sais que s'il ne se maîtrisait pas un minimum, j'aurais de grandes chances de me retrouver avec des bleus demain matin.
Son regard est baissé vers mes bras, et il est rempli de haine. Ses yeux ne brillent plus d'amusement et de joie comme il y a quelque minutes, mais au contraire, s'assombrissent de plus en plus jusqu'à en devenir trop sombre pour quelqu'un d'aussi doux que lui. Et là, je commence à avoir peur. Je ne l'ai jamais vu dans un pareil état, la fureur s'empare de lui au fur et à mesure que le temps passe, il bouillonne intérieurement, attendant une réponse de ma part, qui ne vient pas et ne viendra pas.

Il sait.
Il sait très bien ce que c'est.
Il veut juste que je le dise, or j'en suis incapable.

— Tay'. Réponds-moi. C'est quoi ça ?

Il ne hurle pas, son ton est légèrement haut, mais le pire, c'est la froideur avec laquelle il parle. Sa voix est menaçante. Je suis face à un mur, une bombe. Son timbre me transperce de partout, fissure un peu plus ma carapace, et me glace de toutes parts, me faisant frissonner.

— Taylor, tu as intérêt à me répondre. Dis-le. Dis-moi ce que c'est. Je ne suis pas con, j'ai très bien compris, mais je veux que tu me le dise. Tu l'as fait, tu assumes.

Je baisse la tête, il sait très bien où appuyer pour que ça fasse mal.
Il sait très bien que je n'assume pas.
Il le sait et il en joue.
Voilà pourquoi il ne faut jamais énerver Aaron, parce qu'il peut vous détruire en quelques secondes seulement.

— Taylor.

— C'est des coupures, répondis-je enfin.

— Précise. Je le vois que c'est des coupures. Tu sais très bien ce que je veux entendre.

— C'est des coupures volontaires...

— Pourquoi ?

— Hein ?

Je relève légèrement la tête, sourcils froncés,  jusqu'à croiser ses prunelles, ne comprenant pas.

— Pourquoi tu as fait ça ?

Il le dit en détachant bien chaque syllabes, en prenant tout son temps. Et moi je reste muet. Je refuse de répondre. Il va être encore plus énervé, mais je m'en fiche. Tout plutôt que de devoir lui expliquer à quel point je suis faible.

— Taylor. Explique moi pourquoi tu as fais ça. Explique moi pourquoi tu as recommencé.

Ses yeux me fixent et je ne peux m'empêcher de murmurer :

— Je n'ai jamais arrêté...

Je ne l'ai dit que dans un souffle, plus pour moi-même que pour lui, mais au vu de son expression faciale, je sais qu'il m'a entendu :

— Pardon ?! hurle-t-il, furieux. Taylor tu te dois de moi j'espère ?! Tu te paies ma tête, rassure-moi ?!

Maintenant il est vraiment énervé, et je sais très bien que j'ai intérêt à répondre si je ne veux pas aggraver mon cas, mais je me contente de secouer ma tête de gauche à droite, fermant très fort mes paupière, tirant mes bras pour les passer autour de mon corps. Sous le coup de la colère il s'est redressé d'un coup et le surplombe de toute sa hauteur, le regard assassin, me hurlant dessus, pendant que je me débats.
Je me débats.
Je me débats pour me défaire de son emprise et me rouler en boule sur le lit et je me balance d'avant en arrière.
Je réussi avec beaucoup de peine, et pendant que je retiens mes larmes de couler il se redresse un peu plus et se poste devant moi.

— Taylor.

Sa voix s'est radoucie, mais pas son expression. Il sait que dans ces moments-là, il ne faut pas crier, mais je pense qu'oublier sa colère lui est impossible.
Je ne supporte pas qu'il crie et qu'il soit énervé, mais je sais que je le mérite.

— J'en avais besoin et je le méritais. Je méritais cette douleur, dis-je d'une petite voix.

Sous les mots, ses yeux s'écarquillent et sa bouche s'entrouvre avant qu'il ne reprenne ses esprits :

— Bien sûr que non Tay' ! Tu ne le méritais pas ! Personne ne le mérite, et surtout pas toi, tu m'entends ?

Il paraît bouleversé alors que moi je continue de m'enfermer dans ma bulle. Je me balance d'avant en arrière, de plus en plus vite, les bras autour du corps. J'essaye de ne pas entendre ses mots, je veux me persuader que tout ça n'est pas réel.

— Putain mais Tay' ! tonne-t-il. Qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête ?! Tu sais très bien que je suis là pour toi, tu sais très bien que je suis près à tout pour que tu ailles bien ! Alors pourquoi, hein, pourquoi tu m'en as pas parlé ? Pourquoi tu m'as pas demandé de l'aide ?!

L'angoisse me noue la gorge mais j'arrive tout de même à parler, m'étranglant à travers mes sanglots, criant légèrement à mon tour :

— Parce que tu n'aurais pas compris ! Tu n'aurais pas réussi à comprendre que même si ça va à peu près bien, il a des moments comme ça où je me sens juste comme une sous merde et où j'ai besoin de faire ça ! J'en ai besoin ! À moitié pour me punir, à moitié pour me libérer, j'en ai besoin pour oublier qui je suis, et pour oublier la douleur mentale !

— Non t'en a pas besoin Tay' ! répond t'il sur le même ton. Putain mais qu'est-ce que je dois faire pour que tu le comprennes ? Tu dis que j'aurais été incapable de comprendre, mais dans l'histoire c'est toi qui ne comprends pas ! T'es mon meilleur ami Tay' ! T'es tout pour moi, et j'ai besoin de toi, alors si tu te fais du mal forcément je vais être touché !
Forcément je vais avoir mal aussi !
Forcément je vais être énervé !
Mais putain je m'en voudrais surtout ! Et tu peux pas savoir à quel point je m'en veux actuellement de pas l'avoir vu et de pas avoir été là, parce que normalement je sers aussi à ça, à voir quand tu ne va pas bien et quand t'as besoin de moi.

— Tu sais très bien que je n'arriverais pas à arrêter, parce que c'est ancré en moi. J'en ai besoin, j'en ai besoin pour être sûr d'être en vie, pour être sûr que je peux ressentir quelque chose. Quand toutes les perspectives d'avenir disparaissent, j'ai besoin de ça. J'ai besoin de ce couteau, de ce compas, de ces ciseaux, de cette lame de rasoir. Même quand tout va bien j'en ai besoin, parce que pour moi ce n'est plus normal d'être heureux, et j'appréhende toujours la chute qui vient après la disparition de ce bonheur si éphémère, et tu ne pourras rien contre ça.

Je sursaute. À la fin de ma tirade il a envoyé son poing dans le mur et se prends la tête entre ses mains. Le bruit sourd qu'a causé l'impact ne semble pas le faire sortir de sa fureur, et la douleur non plus. Il bouge un peu ses doigts alors que je le fixe les yeux écarquillés sous la peur, et je remarques qu'ils tremblent légèrement. Ses phalanges sont rouges et il a un œuf qui commence à se former et devenir bleu entre l'annulaire et le petit doigt. Il saigne un peu, mais il s'en contre fou, j'en ai bien l'impression. Il regarde fixement le sol, avant de s'activer, et d'aller à son bureau, fouillant les tiroirs sans m'accorder d'attention. Je ne sais pas ce qu'il a en tête, mais je crains le pire.

J'ai peur.
Pour la première fois de ma vie. Il me fait peur.

Aaron m'effraie.

— Tu m'as déçu Tay', lâche-t-il finalement, la voix neutre, et ses mots se répercutent jusque dans mon cœur. Je pensais que tu aurais assez confiance en moi et que tu me connaissais assez pour savoir que j'aurais fait l'effort de comprendre, que je t'aurais aidé. Mais apparemment je me suis trompé.
C'est horrible à dire, et je me déteste pour cela, mais tu m'as déçu tay'. Tu m'as menti, tu m'as dit que tu ne le faisais plus, mais regarde tes bras putain ! Ils sont couverts de cicatrices ! Et certaines m'ont l'air d'être super récente !

Au fur et à mesure qu'il parle, il s'avance vers moi et je ne peux m'empêcher de reculer sur le lit, effrayé. L'espace d'une seconde, je crois voir dans son regard une once de douleur face à ma réaction mais il reprend très vite :

— Et j'imagine que tes cuisses doivent être dans le même état, si ce n'est pire ! Alors, écoute moi, on va faire quelque chose de très simple pour que tu comprennes à quel point ça me fait mal de te voir te faire ça.

Il revient vers moi, en tenant quelque chose dans sa main, et je baisse la tête, honteux et apeuré, pensant aux coupures faites la veille même, sur les-dites cuisses.
Je pense aux mots que j'ai gravés et qui me brûlent la peau désormais.
Je pense à tout ce sang et au sourire que j'avais, à ce sentiment de bien-être et de satisfaction que j'avais en le regardant couler et en voyant mes cuisses mutilées ainsi.
Les larmes s'invitent dans mes yeux d'elles-mêmes et me brouillent la vue. Je refuse de pleurer, je suis déjà assez pathétique. Je l'ai déçu, je le sais et c'est ce qui fait le plus mal. Ses mots me font mal, il le sait lui aussi.
Mais c'est nécessaire. C'est nécessaire, car il veut juste m'ouvrir les yeux et me faire comprendre l'importance de la vie.

— Tay'. Relève la tête et regarde moi.

Je m'exécute et je prends immédiatement peur.
Il tient dans sa main un compas qui m'a l'air bien aiguisé. Il est ouvert au maximum, et il le tient fermement dans sa main droite.
J'ai peur, mes yeux sont écarquillés, mon cœur bat à cent à l'heure, je le sens contre mes tempes et jusque dans le bout de mes doigts.
Aaron voit ma terreur mais ne dit rien, il affiche une expression complètement neutre, et cela renforce mon mauvais pressentiment.

— Tay', commence-t-il, sa voix s'étant considérablement adoucie. Je sais que tu as peur, moi aussi en quelques sortes. Je ne sais pas ce que ça fait de se mutiler comme tu le fais, et je sais que ce que je m'apprête à faire est osé et horrible pour toi, mais c'est la seule solution que je vois.
Je sais que tu n'arriveras pas à arrêter du jour au lendemain, et je ne t'en tiens pas rigueur, car ce n'est rien de plus qu'une addiction et je sais à quel point ça peut être difficile de la battre. Mais j'ai peur que tu ne viennes pas demander mon aide la prochaine fois et que tu continue de me mentir, alors je vais m'assurer du contraire. Je vérifierais tous les jours tes poignets et tes cuisses, voir même ton ventre s'il le faut. Tous les jours sans exception. Cependant, je ne pense pas que se sera suffisant, alors je vais utiliser la manière forte, et je sais d'avance qu'elle sera douloureuse et horrible, pour toi comme pour moi, mais je ne vois que cette solution pour que tu comprennes que je tiens à toi et que te vois ainsi me fait mal. Alors excuse-moi.

Je le vois prendre le compas, et commencer à tracer un trait sur sa peau parfaite de son poignet gauche. Il appuie fort, vraiment fort, laissant glisser la pointe aiguisée. Elle tranche sa peau, et quelques gouttes de sang commence à perler de cette seule et unique blessure.

Mon cœur part au quart de tour, alors que Aaron ne réagit pas, le visage trahissant sa douleur.



H.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top