13

— Cinq mois Tay'. Je ne sais pas si tu te rends compte, mais c'est énorme. Je ne vais clairement pas te répéter tout ce que tu as manqué, mais sérieusement, tu as été stupide. Au un point que tu dépasses tous les scores. Ce n'est même plus dépasser à ce niveau là, c'est exploser.
Je ne sais même pas si tu te rends compte de l'ampleur, de la gravité, de la connerie de ta bêtise. Je peux juste t'affirmer que tu m'as énormément déçu. Je sais que je ne suis pas censé te dire tout ça, peut-être que je me répète, et je me répéterai sûrement plus tard aussi, mais je dois t'ouvrir les yeux.
Je ne suis pas censé te parler de pourquoi tu es dans ce lit d'hôpital, des horreurs qui te sont arrivées, et de plein d'autres choses, mais j'aimerais que tu saches, si tu peux m'entendre et si tu ne te souviens plus.

Je l'écoute avec attention, j'encaissé ce qu'il me dit. Je suis dans le coma. Je ne m'y attendais pas, n'y avait pas pensé.

Coma.

Ce mot me fait peur, me fait mal. Peut-être même autant qu'à Aaron.

Cinq mois.

Ce temps m'effraie. Il a passé sans que je ne m'en rende compte. Et si l'on est déjà proche de l'anniversaire de mon meilleur ami, c'est que l'on est déjà à la mi-novembre. Et donc que je suis inconscient depuis juillet. Je ne sais pas pourquoi ça me choque autant : parce qu'il aura bientôt 18 ans et que je ne pourrais peut-être pas les fêter avec lui ? Ou parce qu'il a laissé échapper que les médecins pensait que c'en était presque fini pour moi ? Je n'en sais rien. Mais j'ai peur.

— Et maintenant que je me suis décidé à te le dire, continue Aaron, quelque chose me bloque. J'ai l'impression qu'au moment où je vais te dire les quelques mots, bien trop puissants, qui décrivent la situation quelqu'un va arrivé et me faire sortir d'ici. Je viens de te retrouver – si je puis dire – et je n'ai aucune envie de te perdre à nouveau. Je pense pouvoir dire que la peur me paralyse, qu'elle bloque mes mots et construit une barrière entre mes pensées et mes paroles. Il faut pourtant que je me lance, je pense que j'en ai moi aussi besoin : pour l'accepter, pour accepter ce que tu as fait, pour accepter un grand nombre de choses en fait. Mais c'est dur.
Au-delà de la peur, il y a le déni, il y a la douleur. La douleur surtout. Je n'ai pas envie de balancer ces mots à ta figure, même si tu ne répondras pas. Je n'ai pas envie de devoir te rappeler ce que tu as fait. Je sais, je suis contradictoire dans mes paroles, mais je peux pas m'en empêcher. Tu le sais bien, je dirais même que tu es le mieux placé de tous pour savoir — et comprendre — cela. J'ai besoin d'être contradictoire pour exprimer ce que je ressens, c'est impossible autrement. J'ai besoin de me perdre dans ce que je dis pour oser me lancer.

La douleur que mon meilleur ami doit sembler tellement surjouée pour les autres, mais pas pour moi. Ses monologues ont du sens pour moi, je sais que tout ce qu'il dit est vrai. Et si des personés ne comprennent pas, c'est qu'ils ne nous connaissent pas. Lorsque l'on voit la relation spéciale que nous entretenons avec Aaron, on comprend pourquoi on se connaît autant. Aussi proche que des frères, des disputes qui s'apparentent à celles de couple, des gestes et des paroles nous faisant passer pour de simple amis, et notre amitié qui correspond très certainement à la plus grande qu'il nous ait été donnée de voir. Nous sommes tous les deux bizarres, nous sommes tous les deux à part. Nous sommes normaux dans l'anormalité et anormaux dans la normalité. Et c'est ce qui nous plaît. On l'est ensemble.

— Tay', même si je m'égare souvent, je sais toujours ce que je pense et ce que je dois te dire. Je reste conscient malgré tout de la raison pour laquelle je me suis levé et je suis venu ce matin. Cela fait bien trop longtemps que je me retiens de te hurler dessus par rapport à tes actes, et je pense qu'il est grand temps que tu en répondes.
Enfin, je dois t'avouer qu'il est surtout venu le temps où je ne peux guère plus supporter ce poids sur mes épaules. Le poids immense de ta connerie.
Je te hais Taylor. Je te hais d'avoir fait ça. J'utilise peut-être des mots effrayant, c'est vrai, mais je ne peux pas faire autrement. Même si je ne te hais pas à proprement parler, il faut que je te fasse réagir, il faut que tu comprennes les sentiments que m'aspire ce que tu as fait.
As-tu déjà compris de quoi je parle ?
Ou bien te souviens-tu seulement de ce qu'il s'est passé ? En tout cas, je crois que je ne pourrais jamais l'oublier.
Pas un mot. Tu ne m'avais pas adressé un seul mot, tu te rends compte ? Pourtant, tu sais très bien que je suis toujours là pour t'aider, pour t'épauler quand ça te reprends. Je te l'ai expliqué des centaines de fois. Mais tu as dû encore l'oublier, exprès bien sûr. J'oublie de te préciser que tu ne m'as pas adresser un seul mot avant, mais aussi pour après. Pas une lettre, pas un message de laissé. Rien. Comment voulais-tu que je comprennes ? C'était impossible. Même si je connais grâce à ton passé les probables raisons de ce que tu as fais, je n'ai aucune certitude. Aucune. Et je n'aurais et ne pourrais vivre sans que tu ne me l'expliques. Alors Tay', je te confirmes que ma demande est purement égoïste, mais j'ai besoin que tu te réveilles et que tu m'expliques. J'ai besoin que tu me parles, que tu me dises ce qui t'a poussé à faire tout cela, parce que je vais vraiment devenir fou.
Des scénarios – chacun pire que le précédent évidemment – se jouent dans ma tête, les uns après les autres. Je ne saurais te dire lequel est le plus horrible, dans tous les cas, ce que tu dois savoir c'est que chacun d'entre eux réussi à me mettre plus bas que terre. Je ne le supporte pas. Je me sens faible, vulnérable, quand cela arrive. Je ne sais pas me battre contre moi-même. C'est beaucoup trop difficile. Je n'arrive pas à me battre contre mes propres pensées, contre ma propre imagination. Je n'arrive tout simplement pas à bloquer mon esprit. Je ne savais même pas qu'il était possible d'échouer à cette tâche. J'ai toujours eu une maîtrise de moi un peu plus grande que lantienne, et là je failli à mon rôle. Je n'y arrive pas, c'est au-dessus de mes forces, au-dessus de mes capacités, au-delà de tout ce que je suis capable de faire à vrai dire.
Et revoilà que je m'égare Tay', je n'y peux vraiment rien et j'espère que tu ne m'en veux pas. J'essaye, je te promets que je fais du maximum que je peux, mais cette situation me paraît insurmontable.
Je suis censé te dire quelque chose, comme un sorte d'annonce, que j'appellerais piqûre de rappel. J'ai l'impression de tout faire pour retarder le moment où je devrais te balancer ces quelques mots à la figure. Le pire c'est que je le fais inconsciemment. Je te jure, je ne m'en rends pas compte. C'est juste que la peur, ou bien le stress, voir l'angoisse, prends le dessus et je la laisse faire bien volontiers, c'est vrai. Je pense que je suis compréhensible sur ce point là. Qui aime annoncer des choses ? En l'occurrence qui s'apparentent énormément à une mauvaise nouvelle ?
Tay', je ne veux pas te le dire. Pas comme ça. Je ne veux pas avoir à te rappeler ce que tu as fait. Je ne le veux pas, et je me hais tellement de devoir le faire. Mais apparemment c'est une nécessité.
Personne d'autre ne s'est dévoué pour le faire, ou du moins n'y a pensé. À vrai dire, cela ne m'étonnes pas trop étant donné que les seules personnes qui ont eu le droit de te visiter étaient tes parents et que d'après ce que j'ai pu comprendre ils refusent de croire et d'entendre ce que tu as fait. Alors imaginer te le dire, c'est impossible pour eux. Il faudrait qu'ils comprennent que tu l'as décidé seul, que l'on n'y pouvait rien, et que même si ce n'était pas la bonne chose à faire, c'était ta solution. Cependant, la seule personne pouvant leur faire entendre tout ceci n'est autre que toi, et jusqu'à preuve du contraire tu es encore plongé dans ce fichu coma.
Et puis, il faudrait aussi leur faire comprendre que ce n'est pas de ma faute, que je n'y suis pour rien.

Il a dit cette dernière phrase si bas que je ne suis pas sûr de bien l'avoir comprise. Pourtant, elle me révolte. Elle me choque. Elle me fait mal.

— Pour t'avouer la vérité, reprend t'il plus fort, je me sens idiot de te parler comme ça. Je parle et discute avec quelqu'un qui ne me répond et ne me répondras pas. Comment suis-je censé me voir après ça. Non, je ne fais pas pitié, je suis juste pathétique. Je me raccroche à l'espoir que tu m'entendes pour pouvoir essayer de te donner un peu de force, et c'est stupide. Je suis dépendant de l'espoir littéralement. Tu te rends compte ?
Je suis dépendant de quelque chose qui n'est même pas matériel ! Je
suis dépendant de quelque chose qui va et vient à sa guise, un peu comme le bonheur. Je ne sais pas trop comment contrer cette impression de folie qui s'empare de moi à chaque fois que je te vois.
J'ai l'impression de parler dans le vide, de crier des mots plein de sens mais qu'aucune oreille n'est là pour les écouter, les capter, les enregistrer.
J'ai l'impression d'être seul et de parler avec la solitude et le désespoir : Hey ! Comment vous allez ?
Non vraiment Tay', je perds le Nord. Ça devient grave, urgent. Je ne vais pas tarder à devoir me faire interner. La folie me guette, et lorsque la douleur n'est plus dans ma tête, elle prend le relais, me faisant perdre mes moyens, mes mots, mes envies, mes rêves. Elle me fait tourner en rond comme un lion en cage. Elle me tue lentement. J'ai besoin de ton aide pour la contrer Tay'. J'ai besoin de ton aide, de ta force, de toi, de ta présence. De ta présence dans la vie active, de ta conscience, et non seulement de ton corps amorphe et presque sans vie dans un lit d'hôpital, c'est bien trop déprimant, bien trop douloureux.



H.

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