12.5

— Deux semaines, deux longues et horribles semaines que j'attends de pouvoir revenir te voir. C'était long, affreusement long. Je voulais tellement te parler, j'avais tellement de choses à te dire, et maintenant que je suis devant toi, tout s'est envolé, loin, très loin de moi.
Comment ?
Comment ça se fait ?
Pourquoi ça me fais ça hein ? Pourquoi ?
Pourquoi maintenant que je te vois, j'ai seulement envie de pleurer ?
Pourquoi j'ai seulement envie de m'effondrer, sanglotant, contre toi ? J'ai seulement envie de m'allonger à tes côtés, mais la peur me retient. J'ai peur de te faire mal, tu sembles si vulnérable, installé de cette façon devant moi. Je veux sentir ta chaleur, comme lors de ces moments où tu te collais contre moi, cherchant juste du réconfort. Pour une fois, c'est moi qui en demande, mais tu ne peux même pas y remédier. Tu ne peux pas, tu ne peux pas parce que tu n'es pas éveillé. Tu es à moitié de notre monde ! C'est la réalité et elle me fait tellement mal ! J'essaye de sentir ta chaleur mais elle aussi elle a disparu, au même titre que ta conscience ! J'ai beau tenir ta main, essayer de la réchauffer comme je peux, il n'y a rien à faire, elle reste tiède, presque froide ! Putain je... J'en perds mes mots, j'en perds mes moyens. J'essaye, si tu savais à quel point j'essaye Tay', mais c'est tellement dur...
Je m'étais promis de ne pas pleurer, parce que je me dois d'être positif avec toi, comme toujours, je voulais que tu aies quelques ondes positives, d'amour et de bonheur, mais c'est impossible ! Ça me paraît infaisable, alors tu m'excuseras, mais pour une fois, retenir mes larmes face à toi est beaucoup trop épuisant et douloureux. Bordel Tay' !

Il pleure, il sanglote. Je l'entends. Il est si près de moi. J'aimerais dire que je le sens, mais non. Je l'entends simplement. Et je ne peux rien faire. Ça me tue, ça me tue de l'intérieur. Je veux le prendre dans mes bras. Je veux sentir son contact, je veux sécher ses larmes.
Aaron, je t'en supplie arrête de pleurer, je ne supporte pas ça.

Il pleure toujours, il pleure à cause de moi. Et dans ces sanglots qu'il essaye d'étouffer — je suppose pour ne pas rameuter le service infirmier —, j'entends toute sa douleur, toute sa peine. C'est ça qui me tue. Le fait que je lui fasse du mal. Je ne supporte pas ça, je déteste ça. Je me hais pour ça.
Il doit probablement penser que c'est la première fois qu'il pleure devant, mais non.
Il doit se croire vulnérable et faible, mais il est loin de l'être. Je ne sais pas pourquoi il a autant mal, je sais que c'est ma faute si il souffre, mais je ne sais pas ce que j'ai fait — encore — comme connerie. Je ne sais pas pourquoi me voir lui est si douloureux et j'en ai marre de cette ignorance.

Il pleure encore, j'ai perdu la notion du temps depuis ce qui me semble être une éternité, alors je suis incapable de dire si cela fait une heure ou plus — voir moins — qu'il sanglote comme ça. C'est toujours insupportable, de plus en plus à vrai dire. À chaque fois que je pense que son flot de larmes va s'arrêter, il repart de plus belle, brisant mon cœur un peu plus.
Aaron, doudou, calme-toi.

Il renifle un peu, souffle plusieurs fois avant de reprendre :

— Pardonne moi, c'est rare que je craque ainsi, et surtout devant toi. J'irais même jusqu'à dire que c'est la première fois.
Mon dieu, je dois être tellement pathétique comme ça, je n'imagine même pas ma tête. Mes yeux doivent être rougis et bouffis à cause des larmes, mes cernes doivent ressortir — merci les gentilles insomnies qui me gagnaient à force de ne pas pouvoir avoir de tes nouvelles — et mes cheveux totalement laissés à l'abandon doivent être encore pire. Je dois avoir une mine et une tête effrayantes au possible. Je n'aimerais pas que tu me vois dans cet état là. Enfin, ne prends surtout pas ça comme un encouragement à retarder ton réveil, car ton silence devient une horreur insupportable. Si je pouvais, je le fuirais comme la peste ou le choléra, mais c'est impossible, puisque le fuir serait te fuir aussi et sortir de cette chambre, chose beaucoup plus douloureuse.
Mais, si tu savais à quel point tu peux, toi aussi, faire peur. Te regarder m'est presque insupportable, parce qu'au-delà de la peur, il y a la douleur — et les remords, ou regrets comme tu préfères. Tu es... Dans un état pitoyable. Toi que j'ai toujours connu d'une beauté et d'une forme physique époustouflantes, tu m'apparaîs tellement malade maintenant. Et je m'en veux, car c'est en partie ma faute. Et te voir comme ça, allongé dans ce lit, branché de partout, les yeux clos, des bandages autour de tes poignets — et j'imagine de tes cuisses —, la couverture remontées sous tes aisselles, ta tête reposant mollement et sans force sur l'oreiller, ta bouche obstruée par le tube relié au respirateur artificiel, te permettant d'être approvisionner en air, me fait mal.
Ton teint est si froid, si pâle, si terne. Tu as maigris, tes muscles commence eux aussi à s'amoindrir, ta peau est glacée. Ton touché me glace jusqu'au sang, mais te regarder me fige littéralement sur place. Tu es en quelques sortes l'incarnation de ma pire peur, de mon pire cauchemar. Je te vois te dégrader petit à petit, comme si tu mourais à petit feu, et durant ces deux semaine d'absences de ma part, tu t'es dégradé beaucoup plus que je ne l'aurais pensé, ou alors, j'avais juste oublié à quel point tu étais déjà dans un mauvaise état quand je t'ai laissé la dernière fois. Mais rien que l'arrêt que tu as fait en début de semaine prouve que ta santé ne s'est pas améliorée.
Tay'. Je t'en supplie, je t'en supplie réveille-toi. Je n'en peux plus. Je ne sais même pas si tu peux m'entendre. On nous dit toujours que parler peut aider, mais à quoi ça sert si l'on obtient aucune réponse et si l'on est même pas sûr que tu comprendras ce que l'on te dit ?
Tay', punaise, j'ai besoin de toi moi. J'ai besoin de toi, tu m'entends ? Tu comprends ça, que moi j'ai besoin de toi, que j'ai besoin de toi à mes côtés ? Pour avancer, pour réussir, pour supporter le monde, ses horreurs et ses erreurs ? Tay' putain... Ça fait beaucoup trop longtemps que t'es comme ça... Ça fait plusieurs mois Tay', t'imagines ? Plusieurs mois que je viens dès que je peux, que les études sont littéralement passées au second plan, de toute façon le bac est passé alors on s'en fiche non ?
Tay'... Tay' ça fait cinq mois. Cinq mois, et les médecins commencent déjà à nous dire qu'il n'y a plus d'espoir. Et puis, t'as raté tellement de choses !
Tu l'as eu, ton bac, tu sais. Mention très bien, avec les félicitations. T'étais accepté dans l'école où tu voulais aller, et maintenant la rentrée est passée et tu l'as ratée. Noël se rapproche aussi à grand pas, tout comme mon anniversaire. Et tu n'es toujours pas de retour parmi nous.
Tay'... Réveille-toi, réveille-toi s'il-te-plaît. Réveille-toi, reviens-moi, parle-moi, chante, danse, ris avec moi. Je t'en supplie Tay'. J'en ai marre de devoir le répéter tout le temps, mais Tay' tu me manques tellement. C'est horrible sans toi. C'est horrible. Et je ne veux pas avoir à affronter le monde sans toi, je ne veux pas devoir vivre sans que tu ne sois avec moi. Rien que le fait que tu ne sois pas conscient m'est insupportable, et ça fait cinq mois que je dois vivre avec.
C'est horrible si tu savais, j'agis comme un automate, je suis complètement en marge de la civilisation, me tenant seulement au courant des choses les plus importantes, notamment les horreurs du monde. Il y en a énormément, à croire que ton absence de conscience influe sur la planète... Putain Tay' je deviens fou, je ne tiendrais pas, je ne tiendrais pas sans toi. Tay' réveille-toi je t'en supplie.
J'ai tellement mal, si tu savais Tay', et je m'en veux de te le dire, mais tu dois comprendre que ça fait cinq mois que tu es dans le coma et que c'est beaucoup trop.



H.

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