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J'ai l'impression que mon cerveau s'est lui-même mis sur pause durant une éternité depuis que je lui ai parlé. Non pas que je regrette, je sais que j'en avais besoin ; juste un trop plein d'émotions pour après m'être mentalement adressé aux deux personnes qui n'y été pendant longtemps les plus importantes de ma vie.

Si Mae me rend encore vulnérable, ce n'est plus vraiment le cas avec B'. Bien sûr, pendant un temps il était aussi ma faiblesse. Et parler de lui aujourd'hui est encore douloureux. Moins que pour Mae, beaucoup moins, mais douloureux quand même. Je ne veux pas spécialement me rappeler de lui, je ne veux pas lui donner de l'importance, je ne veux pas expliquer ce qu'il s'est passé. Je veux juste l'oublier. J'ai été traumatisé par son abandon. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me lâche comme cela, j'étais sur mon petit nuage et j'ai très vite déchanté. J'avais momentanément oublié que la vie se doit de maintenir l'équilibre et donc qu'après un long moment de calme ou de malheur, le juste milieu revient, ou alors tout simplement que tout l'opposé de ce qu'il s'est passé avant arrive. On venait de passer un moment d'horreur intense et on entrait dans un moment de joie. Mais j'avais oublié que je ne devais pas croire en ma bonne étoile. Et maintenant je le sais. On m'a beaucoup trop souvent prouvé qu'elle n'existait pas pour que je puisse accordé à cette légende urbaine un tant soit peu d'attention.

La vie est ainsi, elle nous dégoûte du monde, puis nous rend niais face à celui-ci. Qui n'a jamais haïs sa vie ? Qui n'a jamais détesté ce qu'il était ?

Je m'égare, cela m'arrive de plus en plus. Pour l'instant cela ne me dérange pas. Àvrai dire, tant que cela me permet d'oublier momentanément B', Mae et Aaron, ou encore Josh et mes parents, ça me va. Un peu de tranquillité peut faire du bien à l'esprit parfois. Non pas qu'Aaron m'embête, mais penser que je ne l'entends pas et que je ne l'entendrais peut-être plus jamais me fend le cœur. Alors je fais tout pour l'oublier — momentanément bien sûr. Même si on peut dire que c'est une mission impossible étant donné qu'il est tout le temps dans ma tête, dans mon esprit, dans mes pensées, dans mon cœur. Il est littéralement ancré dans mon âme. Il occupe une place bien spéciale dans ma vie, ce qui rend le tout encore plus difficile. Je le voyais tous les jours depuis trois ans, alors autant dire qu'après avoir pris cette habitude, la perdre est plutôt compliqué. Je suis devenu accro à lui, il est devenu comme une drogue, tout comme pendant un temps j'ai été accro à B'. Enfin, j'ai tout de même l'impression et le mérite de pouvoir dire que cette fois-ci, ce n'est pas nocif pour mon être mais, bien au contraire, positif. Je sais que c'est cliché de dire ça, mais je n'y peux rien, c'est la meilleure façon d'expliquer ce que je ressens. Il est ma drogue, mon addiction, la raison de mes joies et de mes pleurs, de mes bonheurs et de mes peurs, irrémédiablement. Je ne peux rien y changer, et de toute évidence, même si je le pouvais je ne le ferais certainement pas. C'est stupide à dire, effectivement, mais clamer des choses sans aucun sens fait parti partie de ma nature, je l'ai toujours fait et je le ferai toujours. Je suis un éternel incompris, c'est vrai.
Mais, j'avais réussi à trouver quelqu'un qui me comprenait. Aaron. C'est peut-être aussi de là que vient l'amour si spécial que je lui porte. Enfin, il n'y a pas vraiment d'explications ou de raisons, c'est comme ça et puis c'est tout, on n'y changera rien, je vais arrêter d'essayer de l'expliquer, puisque cela me paraît tout bonnement impossible.

Qui n'a jamais eu cette impression de ne pas pouvoir s'exprimer ou du moins s'expliquer clairement ? C'est un sentiment universel il me semble. Du moins, d'après mes déductions. Chacune des personnes avec qui j'ai un jour parlé ont toujours eu au moins une fois des difficultés à dire comme ils le voulaient certaines choses — enfin, sauf Mae, évidemment, mais on peut dire que c'est l'exception qui confirme la règle. Il est vrai que je me base seulement sur des expérience personnelles, mais qui ne l'as pas déjà fait ? Effectivement je fais de ces quelques personnes une généralité, mais c'est bien plus simple que de devoir citer leurs noms tour à tour, en expliquant que untel à dit ça, tandis qu'un autre pensait plutôt ça. Oui, c'est bien plus simple. Je choisi la facilité sur ce coup-là, je dois l'admettre, mais ce n'est pas toujours le cas.

Faire compliqué, c'est aussi une habitude. Rien que dans ma vraie façon de parler. J'aurais pu céder à la facilité et faire comme la plupart des jeunes de mon âge, j'aurai pu décider de seulement parler vulgairement. Je dois avouer que pendant un temps, je l'ai fait. Je devais être en 5ème, cette période de ma vie est la plus honteuse. Je voulais être cool, alors j'utilisais le vocabulaire le plus vulgaire possible. Je l'utilisais tout le temps, pour tout et n'importe quoi. Les injures venaient avec. Une horreur vraiment. Maintenant, lorsque j'y repense, je me fait juste honte, et je me demande comment j'ai pu un jour me dire que je serais accepté en faisant cela, que je serais cool. Cela sonnait tellement faux, tous ces mots sortis de ma bouche, ça n'allait pas. Il y avait plus qu'un décalage. M'entendre parler devait être un vrai supplice, pour n'importe qui. Et si je pouvais, je retournerais à cette époque et je me donnerais quelques gifles tout en fourrant un livre de Baudelaire sous mes yeux pour que j'arrête mes bêtises.
Il est vrai que j'aime lorsque les choses sont bien dites, bien écrites, mais ce n'est pas pour autant que parfois je ne m'accorde pas quelques petits écarts de langage, je ne me les accorde pas vraiment, je devrais plutôt dire que lorsque la colère s'empare de moi mon vocabulaire part très loin de mes pensées et il ne me reste alors plus que le langage vulgaire. Je peux aussi accorder au monde que de temps en temps, parler cruement, ou même écrire cruement, peut se révéler être plus apporteur de sens que de belles phrases à rallonge comme j'aime les faire. Il est aussi vrai que ce langage-ci parle beaucoup plus à la jeunesse d'aujourd'hui. Il faut aussi préciser que mon vocabulaire adoré les fait fuir et les ennuis au bout de la troisième lignes, sous prétexte qu'il faut littéralement décoder ce qui est dit. 

J'ai un style particulier, je le sais. Il parle beaucoup plus aux adultes, voir aux personnes appartenant au troisième âge plutôt qu'à ma génération. Il me fait souvent passer pour plus vieux que ce que je ne suis réellement. Mais il décrit plus et, à mon sens, il décrit mieux les choses. Il possède plus de détails que le style "banal" des adolescents. C'est dans ces petits détails que j'excelle, ainsi que dans les émotions. J'aime les transmettre, et j'aime soigner les choses, alors quoi de plus naturel pour moi que de réussir ces deux choses plus que les autres ?  Pour moi, c'est dans les petites choses, celles du quotidien, que se trouvent un grand nombre d'indices sur les gens, leur personnalité, leurs goûts. J'aime dissimuler des indices dans ce que j'écris, et j'aime décoder les indices présents dans les habitudes des autres. C'est là-dessus que se base mon écriture, si j'aime à laisser des petites informations par rapport à ma vie camouflées quelque part dans mes écrits, j'aime aussi expliquer les secrets des choses que fait le commun des mortels, répétitivement. Étrange, oui, mais passionnant. Passionnant, intrigant, intéressant, original. Que serait l'écriture si elle n'avait pas quelques particularités ? 

Parler et épiloguer me fait divaguer, alors que les choses entre elles n'ont pas forcément de rapport. J'ai essayer plusieurs fois de comprendre comment je fonctionnais, mais c'est infaisable. Il est impossible de savoir comment je vais réagir, ce que je vais dire, ce que je vais faire, ce que je vais écrire. Je change du tout au tout, en quelques secondes. Ni lunatique, ni bipolaire, loin de là. Je suis juste la plupart du temps perdu, perdu face à l'immensité du monde, des sentiments, des émotions. Je ne comprends rien à la mécanique du cœur. Et ce qui est le plus étrange c'est que j'arrive tout de même mieux que tout à l'expliquer dans mes écrits. Enfin, je crois. Je l'admets, je suis en train de m'embrouiller tout seul. Mais ce n'est pas ma faute, mes pensées tournent toujours dans ma tête et je ne sais pas comment les canaliser. C'est assez énervant à la longue, je l'avoue, mais je fais avec, je ne peux pas faire autrement à vrai dire. Comment suis-je censé stopper cet afflux d'idées qui me viennent ? Habituellement, je les mets sur papier, mais je suis dans l'incapacité de le faire. Je me complique souvent la vie, en voici le parfait exemple. Je me suis habitué à être incapable de m'exprimer, de rester concentrer sur un seul sujet. Je me suis habitué à beaucoup de chose à vrai dire, et en disant cela, je sais que je vais encore divaguer, mais je pense que je vais arrêter de me retenir.

Je me suis habitué aux comportements des autres vis-à-vis de moi.
Je me suis habitué à être jugé, même si cela m'énerve au plus haut point.
Je me suis habitué à parler avec un langage que j'estime être des plus corrects.
Je me suis habitué à être bizarre.
Je me suis habitué à être catégorisé.
Je me suis habitué à devoir porter des étiquettes qui ne changent jamais.
Je me suis habitué à moi-même.
Je me suis habitué à mes sautes d'humeur, à mes changements soudains.
Je me suis habitué à mes parents.
Je me suis habitué au regard des autres.
Je me suis habitué à chanter dans la rue, en tant qu'anonyme.
Je me suis habitué à être mis de côté.
Je me suis habitué à devoir écrire, chanter, composer pour me sentir bien.
Je me suis habitué à Aaron.
Je me suis habitué au fait d'être gay.
Je me suis habitué au fait de l'aimer.
Je me suis habitué à taire mes sentiments auprès des autres.
Je me suis habitué à être une tornade, un ouragan, à l'intérieur et en apparence une simple brise, un fleuve tranquille.
Je me suis habitué à être contradictoire.
Je me suis habitué à être un paradoxe.
Je me suis habitué à devoir m'habituer.
Je me suis habitué à être souvent incompréhensible.
Je me suis habitué à être ainsi.
Je me suis habitué à être un garçon de l'ombre.
Je me suis habitué à devoir écrire sans cesse.
Je me suis habitué à devoir pour m'évader.
Je me suis habitué à souffrir.
Je me suis habitué à me retenir de taper contre les murs.
Je me suis habitué à déverser toute ma haine envers le monde sur moi.
Je me suis habitué à être torturé.
Je me suis habitué à avoir souvent envie de partir.
Je me suis habitué à devoir tout donner ?
Je me suis habitué à être brisé.
Je me suis habitué à voir mon cœur être piétiné.
Je me suis habitué à avoir l'esprit et les idées en vrac.
Je me suis habitué au monde extérieur et à mon monde intérieur.
Je me suis habitué à la vie, tout simplement.
Mais avais-je le choix ? A-t-on vraiment le choix face à ce qui nous arrive ? Pouvons-nous vraiment décider de ce que nous voulons ? Pouvons-nous vraiment décider de ce que nous faisons ? Pouvons-nous vraiment être sûr que nous ne sommes pas de simple jouet, de simple robot ? Pouvons-nous vraiment être sûr que nous ne sommes pas pliés à la volonté d'un quelconque sadique ? 

Mon esprit fait encore des siennes. Mon cerveau invente des théories farfelues et pour me libérer de leur poids je suis obligé de les exprimer à ma voix haute – même si dans mon état actuel je ne peux pas le faire, bien évidemment. Je commence à en avoir marre de moi-même. Enfin, ce n'est pas une nouveauté ou une lubie passagère, simplement que ce sentiment se renforce en ce moment. L'état végétatif ne me réussi pas, vraiment. Je vais finir par sombrer dans la folie beaucoup plus rapidement que ce que je pensais. Comment suis-je censé supporter cette situation ? Aucun moyen de m'exprimer, de m'échapper, de m'évader. Je suis juste enfermé dans le noir, seul avec moi-même.
L'horreur. L'horreur à l'état pur. D'autant plus que je ne suis pas la compagnie rêvé, je ne suis pas la meilleur personne avec qui on aimerait être enfermé pendant une durée indéterminé. Ô joie.
Sortez-moi de là, je ne vais pas ternir. Je vais me remettre à parler à quelqu'un dans ma tête, je penche pour Aaron actuellement. J'ai déjà parlé à Mae et à B', alors pourquoi pas Aaron ? Puisqu'il est la personne qui me comprends, au jour d'aujourd'hui, le mieux. Mon dieu, je me perds de plus en plus, c'en est insupportable. Je ne sais clairement plus quoi dire, plus quoi faire, ni encore comment survivre et me sortir de cette situation. 

De la musique, il me faut de la musique pour m'en sortir. La voilà la solution, elle est logique et pourtant je n'y avais pas pensé.

Aaron revient s'il-te-plaît.
Reviens avec ton téléphone, ton enceinte et que sais-je encore.
Reviens avec tout ton répertoire musicale.
Reviens me parler je t'en supplie, je deviens fou. Littéralement.
Reviens me parler du bon vieux temps, reviens juste passer du temps avec moi, reviens et reste auprès de moi.
Reviens Aaron, je t'en supplie.
Reviens, ne me demande pas pourquoi tu le sais très bien.
Reviens, parce que j'ai tout simplement besoin de toi plus que de quiconque.
Reviens et aide-moi, sauve-moi, je t'en conjure. Inverse la donne, sors-moi de là.

Mince, j'ai recommencé. La voilà, la folie, je la sens couler dans mes veines,et j'ai peur de lui laisser carte blanche, mais puis-je vraiment faire autrement ?



H.

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