1

La douleur.

Elle est forte, lancinante, aiguë, horrible, insupportable.

C'est tellement douloureux. C'est trop. Beaucoup trop. Comment suis-je censé le supporter ? Ça prend tout mon corps, me vrille le crâne. Je ne ressens rien d'autre, rien c'est... c'en est assez. J'étais bien avant, rêvant et ne ressentant rien. Mais là c'est bien trop. Et puis, ce bruit horrible qui provient de je-ne-sais-où, je vais devoir le supporter longtemps ? Je n'ai aucun contrôle, sur rien. Je subis. Je me contente de subir et d'attendre. Mais attendre quoi ? La seule chose que je veux, c'est rêver de nouveau. C'est la seule chose qui calme la douleur. Le retour à l'obscurité est toujours douloureux, et la suite aussi, mais je donnerai n'importe quoi pour retourner à mes rêves. Ou alors au néant. Je veux juste un retour à rien. Un retour à la poussière.

C'est bien trop, bien trop que je ne puisse supporter. Arrêtez ça, arrêtez tout. Arrêtez moi.

Rêves où êtes-vous ? Je vous veux plus que tout.

Je deviens fou, je deviens fou. La douleur me fait tomber dans la folie et je ne le supporte pas. Je veux partir, je veux que ça s'arrête, je veux rêver.

*

Je ris à gorge déployée. C'est fou comme sortir avec ses amis peut faire du bien, c'est agréable. J'avais oublié à quel point rire aux blagues balancées du bout des lèvres peut être bon, c'est plaisant de retrouver ce bonheur. Toutes ces bêtises sorties sur la route, ces chansons chantées en cœur, qu'elles soient fausses ou justes, entendre le rire des personnes qui me sont chères ; c'est certainement une des meilleures choses au monde. J'aimerais vraiment que ça arrive plus souvent. Pourquoi je ne fais jamais en sorte de vivre plus de moment comme ça ? Je sais pourtant que l'époque sombre où personne ne m'aimait est finie, alors pourquoi je continue d'être aussi renfermé sur moi-même ?

Pourquoi je laisse le monde avoir une telle emprise sur moi-même ?

Pourquoi est-ce que je ne peux pas m'arrêter quelques instants de toujours tout ramener aux autres et profiter purement et simplement.

Pourquoi est-ce que j'écoute le diable sur mon épaule au lieu de l'ange dans mon coeur ?

J'écoute Aaron à côté de moi, j'observe ses mimiques, la façon dont sa tête bouge au rythme de la musique, la façon donc ses lèvres se mouvent, murmurant les paroles des chansons passant à la radio. J'observe le demi-sourire dessiné sur sa bouche. Aaron, c'est lui mon ange gardien, c'est lui mon ancrage pour ne pas sombrer. Aaron, tout se résume à lui maintenant. Avant il y avait d'autres personnes, mais il a prit leur place, vacante. J'ai été entouré, puis seul, et il est arrivé. C'est lui dont j'ai le plus besoin, c'est lui que j'aime.
Le seul que j'aime.
Âme sœur ? Non. Je ne le suis pas pour lui. Je ne suis pas bon pour lui, mais lui l'est pour moi ; et je sais que pour l'instant ça lui suffit. Il sait faire en sorte de ne pas transvaser mon mal-être dans son corps. Il me guérit sans être contaminer. Et ce depuis longtemps. Et c'est seulement maintenant que je le remarque. Je n'y ai jamais fait attention avant. Je me contentais d'apprécier sa présence sans faire attention aux détails. Pourtant tout le monde sait que se sont les détails qui font la différence. Je n'ai jamais fait attention à ça avant. Pourquoi je ne prends jamais le temps d'apprécier la beauté de ce que j'ai ? Je n'en sais rien, et c'est probablement mon plus gros problème. Je ne me comprends pas. Je ne me comprends plus. Quelque chose a changé en moi, depuis tellement longtemps que je n'y ai plus fait attention. Et c'est maintenant que je m'en rend compte. Pourquoi ? Pourquoi pas avant ? C'est incompréhensible, mais à quoi bon ressasser ? Je veux profiter maintenant.

Aaron m'observe du coin de l'œil, un sourire sur les lèvres. Il sait que je me suis perdu dans mes pensées, il le comprend, il a l'habitude. Après deux ans, il sait mieux que quiconque comment je fonctionne. Il est le seul à se taire face à mes moments d'absence, là où mes parents ont l'habitude de me hurler dessus. Et j'apprécie son attention. Mes lèvres s' étirent à leur tour. Je me sens bien, à ses côtés : heureux. Et c 'est tellement rare. Je suis plutôt du genre à être le garçon sombre et torturé du lycée, le garçon froid et distant. Mais aujourd'hui est une exception. Est-ce parce que l'on s'éloigne de plus en plus du bahut et de nos maisons respectives ? Peut-être bien. Pourtant, c'est un jour spécial à mes yeux, un bien triste anniversaire pour une si belle journée. Mais qu'importe hein ? Je ne dois pas y penser de cette manière, bien que je doive plus que tout m'en rappeler, par respect, par amour.

Le paysage défile sous mes yeux, nos yeux ; et je ne sais toujours pas où l'on va. C'est Aaron qui est aux commandes, c'est lui qui décide. La seule chose que je sache c'est que l'on va partir durant tout le week-end. Je ne sais pas comment il a compris que cette escapade était tout ce dont j'avais besoin, mais il n'empêche que je lui en suis reconnaissant. Je sais très bien qu'il me connaît bien mieux que n'importe qui ; mais avant d'embarquer avec lui pour une mini aventure je n'avais moi-même aucune idée que c'était tout simplement ce dont j'avais besoin. Mais en y réfléchissant tout prends son sens. Depuis trois ans la seule chose dont je rêve c'est de partir, depuis mes quatorze ans je rêve de pouvoir m'échapper. Et même si j'avais trouver un autre moyen pour y parvenir, je dois avouer que celui-ci est bien plus efficace, bien meilleur et bien plus logique.

Puisque c'est ce que je fais : partir .

*

Rêve ou souvenir ? Je n'en sais rien, je n'en suis pas sûr. Cette impression de déjà vu, de familiarité refuse de me lâcher et pourtant, je n'arrive pas à savoir, à déterminer la vérité. Ma mémoire me fait défaut, et personne n'est là pour m'aider. Mais y-t-il seulement quelqu'un proche de moi ? Et tout simplement, où suis-je ? Si la douleur s'estompe après ce court moment d'absence, je sais qu'elle ne devrait pas tarder à faire son grand retour. En attendant je profite, et je m'interroge le plus possible, usant de mon cerveau comme je ne l'ai jamais fait avant. Il ne me reste que très peu d'informations en tête, sur moi, ma famille, mes amis ; probablement les plus importantes. J'ai quelques noms qui me viennent à l'esprit, mais ils sonnent comme venant d'une autre langue pour moi. Je ne sais que très vaguement qui est Aaron, ou encore Mae ; il me semble seulement que ma mère s'appelle Katherine, mon père Pierre et mon – grand ? – frère Sacha. Je crois avoir atteint ma majorité et habiter à Toulouse ou dans ses alentours. Tout est flou, trop flou pour en être sûr. En plus d'être constamment plongé dans l'obscurité, il y a comme une masse noire m'empêchant d'explorer ma mémoire, comme une ombre au tableau. De tout ce que je subis actuellement, je me demande quel est le pire entre la douleur incessante et l'amnésie. Les deux sont horribles et horripilants au possible. Mais j'avoue avoir un penchant pour le manque de souvenir. Il n'y a pas plus grande frustration pour moi actuellement que celle que je ressens en me rendant compte que je ne sais rien de moi.

Je déteste ça, je déteste ces moments de lucidité comme actuellement ; où mes réflexions ne peuvent être menées à bien à cause de ce vide dans mon esprit. C'est insupportable. Pourtant, j'aime être lucide, j'aime pouvoir retrouver ma faculté à penser normalement, sans que tout soit déformé à cause de l'assaut de la douleur ; mais je déteste aussi ça. J'aimerais bien comprendre mon état, savoir où je suis, ce que je fais, si je suis vivant ou mort, ou même entre les deux. J'aimerais me rappeler pourquoi je suis dans cette situation, comment j'étais avant que le noir ne m'enveloppe, si j'étais amoureux de quelqu'un – un garçon, une fille – ou bien comment j'étais en cours. Je crois vaguement me souvenir que j'avais un goût prononcé pour la musique, et l'art en général bien que mon niveau en dessin ou alors en peinture était médiocre.

J'ai ce manque en moi, étrangement, c'est une des seules choses que j'arrive à identifier. J'ai ce trou à l'intérieur de moi, ce vide. Il est différent de celui causé par l'oubli de ma vie ; il est plus agressif. J'ai envie de le combler, de le faire disparaître, mais comment ? Et puis pourquoi est-il là ? À cause de quelqu'un, quelque chose ?

Je n'en sais rien et ça m'énerve.

Je n'arrive à rien et ça m'énerve.

Je ne comprends rien et ça m'énerve.

Mais qu'est-ce qu'il m'est arrivé à la fin ?

La douleur revient petit à petit, j'ai l'impression qu'elle guette le moment opportun pour surgir des tréfonds de mon être et m'assaillir de toutes parts, me faisant regretter de ne pas rêver. Je la sens, elle rode tout autour de moi, me caresse, me frôle, me touche, m'envoie des décharges ; et j'ai déjà envie de repartir. J'ai envie de la tenir à distance, de l'éloigner, de trouver une chose assez forte pour la parer. Mais quoi ? Ma force mentale ne suffit pas ; je suis épuisé de me battre.

Le bruit incessant, qui passe son temps à me suivre comme la peste, gagne en puissance. Je le sens augmenter et recommencer à me vriller le crâne.

Il augmente, augmente, augmente encore et encore.

Mais étrangement, quelque chose le rends plus doux et moins douloureux. Évidemment j'ai toujours mal, dire l'inverse serait mentir ; mais j'ai l'impression de mieux pouvoir le supporter. Il est moins fort qu'avant, moins puissant. Ou alors me suis-je juste habitué à en être la victime ? Je n'en sais rien, mais j'apprécie de retrouver un peu de présence d'esprit. Ça va de soit, la souffrance ne m'aveugle plus, alors je peux profiter un peu de mes pensées, de mes idées. Cela ne va pas changer grand chose, j'en ai conscience, mais au moins je vais mieux pouvoir chercher dans quel état je suis et ce qui m'a mit dans celui-ci.

C'est, d'après mes maigres souvenirs, la première fois que je me retrouve dans une telle situation, alors je vais devoir avancer à partir de rien. c'est frustrant, mais je dois faire avec, et je dois avouer que ça a le don de m'énerver. Je n'aime pas être soumis comme ça et ne rien pouvoir faire. Et puis, j'ai tellement de question dans ma tête, s'en est insupportable. Je me demande bien ce qui est pire entre ça et ne pas pouvoir me contrôler moi et mon enveloppe charnelle. D'ailleurs, il est où mon corps ? Je veux dire... Pourquoi je ne le sens pas – du moins à part mon crâne ?

Pourquoi j'ai mal comme ça ?

Où est-ce que je suis, moi ?

D'où vient ce fichu bruit ?

Et qu'est-ce que c'est comme bruit ?

Je suis vivant ? Mort ? Entre les deux ?

Mes proches, où sont-ils ?

Pourquoi je suis dans cet état ?

Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ?

Autant de question sans réponse, c'est une véritable torture mentale pour moi. j'aime avoir le contrôle sur les choses, bien que je sois au courant que vouloir gérer ses émotions ou ses sentiments est une affaire impossible ; je ne peux pas m'en empêcher. Alors, me retrouver comme ça, démuni, c'est horrible. Je n'ai aucune piste, aucune aide, aucun indice pour m'aider, m'aiguiller. Je n'ai rien. Alors, la tâche me paraît insupportable. Comment suis-je deviner les choses si je ne sais rien du tout ? C'est impossible.

Je dois me ressaisir. Je ne suis pas comme ça, ce n'est pas moi. Je ne suis pas quelqu'un qui abandonne aussi facilement ; ou alors j'espère ne pas l'avoir été par le passé. Je ne veux pas être comme ça. Je dois me concentrer sur le peu de choses que je sais, sur le peu de choses dont je peux me servir. Je vais devoir temporairement me transformer en enquêteur, et je vais devoir enquêter sur ma propre vie. Devoir démêler le vrai du faux sera forcément une tâche incommensurable, mais je ne m'en sortirai pas sans ça.

Si je pouvais faire une grimace, je suis certain que mon visage serait bloquer sur un rictus de douleur. Mes réflexions déclenchent plus de douleur que ce que j'aurais pu imaginer. J'aimerais pouvoir dire que je sers les dents sous ses vagues de souffrance, mais je ne peux même pas l'assurer. Je dois faire attention, j'ai le sentiment qu'un surplus de... tout ça, pourrait me faire disjoncter et m'être fatal. Je dois me concentrer sur une seule chose à la fois, puis passer à la suivante. Je dois trouver ce qui est le plus important pour moi de démêler, ce qui peut m'être le plus utile par la suite. Mais je n'en ai strictement aucune idée.

Qu'est-ce que je sais de mon état actuel ? J'ai mal, première information évidente ; je suis donc sois blessé, sois malade. Il y a un bruit qui m'entoure, et qui persiste, après à quoi est-il dû c'est une autre histoire, la seule chose que je peux dire dessus c'est qu'il ressemble à une série de bip réguliers. Et puis, il s'est aussi apaisé il y a quelques instants ; ou du moins la douleur qu'il engendre s'est apaisée, comme si quelque chose l'avait légèrement couvert pour l'étouffer.

À part le bruit et la douleur, quoi d'autre ? Les rêves. Je n'ai aucune certitude dessus, mais je suis certain qu'ils doivent au moins être inspirés de réels souvenirs. Certes, une masse noire bloque l'accès à ma mémoire, mais je ne peux pas m'empêcher de le rappeler cette impression de déjà vu que j'ai eu avant de me "réveiller". C'est... tellement évident que je ne peux pas passer à côté ; je suis persuadé que ce ne sont pas des rêves, mais bel et bien des souvenirs peut-être légèrement modifiés ; comme des sortes de flash-back. Je ne sais pas pourquoi ils me paraissent si importants.. peut-être à cause de l'espoir de retrouver ma mémoire avec leur aide ? Probablement. Et puis, qui sait, peut-être que ma mémoire est importante dans ce combat ? Enfin, un combat... mais contre quoi ? Qui ?

Je pense pouvoir dire que je me bats avec moi-même, contre moi-même, et pour moi-même. Ça semble bien ridicule dit comme ça, et infaisable... Mais tout est possible non ?










H.

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