I - L'homme qu'on appelait Sombre-Lame (2/6)

Le sommeil, qui avait fini par le gagner après bien des heures de dur labeur, lui fut arraché comme tout bonheur. Un bruit s'était manifesté, et son ouïe affutée, née de son hybridation, avait aussitôt fait frémir la pointe supérieure de son oreille. Sa main droite avait instantanément saisie la fusée de sa broadsword, sans pour autant la dégainer.

Il ne bougea pas, guettant tout autre son en fermant les yeux. Il l'entendait distinctement, cette série de pas affolés qui faisait craquer la neige et les branches cachées en dessous. En se concentrant plus encore, il perçut les battements du cœur, véloces par la peur qui les fouaillait comme une lance dans une poitrine. Ce chant du cœur lui permit d'identifier à qui il pouvait appartenir : une jeune fille, selon toute vraisemblance humanoïde sans être humaine. Une fée ? Non, ses ailes frémiraient à chacun de ses pas, même abîmées. Une cendreuse ? Non plus, car le feu qui brûlait en leur sein produisait un chant extrêmement doux et réconfortant en toutes circonstances. Ce ne pouvait être qu'une elfe, une très jeune elfe encore ignorante de bien des choses, terrifiée par ce qui la poursuivait de près.

Un bruit plus lourd que les autres survint : elle venait de tomber. Elle voulut se relever, mais elle n'y parvint pas. Aux légers râles qu'elle émettait, il comprit qu'elle s'était blessée en chutant. Son instinct premier le poussa à sortir des entrailles du dolmen pour l'aider, mais il se ravisa en entendant distinctement les hurlements des grands-loups qui l'encerclaient.

Il soupira imperceptiblement. Il n'y avait bien qu'une loi qui régissait ce monde : celle du plus fort. Que faisait cette elfette dans les bois ? Pourquoi avait-elle pénétré cette frontière qui la séparait du danger que représentaient les Téraï du nord ? La paix semblait pourtant régner dans cette partie du territoire, bien que la Grande Guerre eût été déclarée entre tous les peuples depuis cinq ans maintenant.

Il soupira encore. Jamais il ne parviendrait à comprendre la bêtise, pas même celle de la jeunesse. Il pourrait la sauver, il pourrait sortir sa lame et tuer les grands-loups qui s'approchaient de plus en plus de l'elfette, de façon à lui bloquer quelque échappatoire. Mais après tout, elle ne parvenait toujours pas à se lever, et c'étaient désormais les pleurs qui faisaient tressauter son petit corps fragile.

Qu'il abhorrait la faiblesse plus encore que la bêtise...

De nouveaux hurlements s'élevèrent. Les grands-loups étaient là. Ils s'approchèrent, faisant à leur tour craquer la neige et les branches qu'elle camouflait. L'elfette cria de terreur, mais pas très longtemps.

Les grognements furent là, puis un dernier aboiement, avant que les crocs ne déchirent la gorge de l'elfette qui se noya dans son sang.

Il aurait pu sortir. Il aurait pu chasser les grands-loups. Il aurait pu offrir une sépulture décente, à base de libation et d'inhumation, à la jeune sylvestre qui n'était déjà plus. Mais telle était la loi du monde, celle du plus fort.

Il lâcha la garde de son épée, ferma les yeux et s'emmitoufla dans sa peau, derechef en quête du sommeil.

Il le trouva, en même temps que le silence reprenait pleine majesté de la forêt.


(partie 3 en suivant...)

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