I - L'homme qu'on appelait Sombre-Lame (1/6)

Une lune gibbeuse éclairait chichement la forêt. En son sein, pas un seul bruit ne se manifestait. D'ordinaire, pourtant, les rares créatures qui peuplaient ce colosse végétal, en amont de la chaîne Vélérienne, frontière naturelle qui séparait les Téraï chthoniens du nord glacé du reste de la population, le vivifiaient la nuit de leurs pas lourds, de leurs courses graciles, de leurs chants distincts. Mais rien, rien ne trahissait le calme de cette nuit d'hiver, pas même le sifflement de l'aquilon glacial ou les chutes de neige ayant recouvert les massifs chênes centenaires.

Cela n'empêchait pourtant pas l'homme de rester à l'affût. Au cœur de l'obscurité, sous l'abri naturel qu'offrait un dolmen plus ancien encore que les chênes, il cherchait à trouver le sommeil, emmitouflé dans la peau d'un grand-loup qu'il avait chassé la veille. Il ne tuait jamais les animaux sauvages, mais il y avait été contraint. Le canidé l'avait eu par surprise, plus silencieux que l'aigle chassant sa proie. Depuis un promontoire formé par des racines, le loup avait bondi et l'avait écrasé de tout son poids. Mais la créature ignorait bien à qui il s'en prenait, et s'il avait eu connaissance des légendes que l'on chantait pour apeurer les enfants autour d'un feu ou que l'on racontait dans les tavernes aux soiffards, le grand-loup aurait pris la fuite. Trop tard : l'homme avait dégainé son couteau et avait enfoncé la lame à de multiples reprises droit dans sa poitrine, son avant-bras repoussant la gueule du loup qui, en vain, cherchait à lui déchirer la gorge et le visage. Sous des couinements, l'animal avait succombé, et l'homme s'était relevé. Il avait soupiré : cette majestueuse créature au pelage argenté, sans nul doute alpha et fierté de sa meute, n'aurait pas dû mourir ce soir. Il s'était agenouillé, avait confié son âme à Celle-qui-nourrit-et-protège-les-petits, déesse courotrophe de la Chasse, et l'avait dépecé pour récupérer sa peau et une portion de sa chair, laissant le reste aux prédateurs et autres charognards de la forêt.

L'homme soupira en se remémorant ce meurtre fortuit. La mort semblait le suivre où qu'il se rendît. S'il pénétrait au sein d'un village, il savait pertinemment que sa lame ferait couler le sang d'un bandit ou d'un voleur. Parfois même, c'étaient les gardes, aux portes du bourg, qui l'attaquaient, le reconnaissant à son long manteau, ses gants et sa capuche noirs, laquelle voilait au monde l'intégralité de son visage à l'exception de ses deux yeux qui, par son hybridation, brillaient d'un éclat laiteux dans la nuit. Alors, face à la menace que représentaient ces soldats, il sortait son épée, une broadsword à la lame aussi noire que l'onyx, dont la garde qui protégeait sa main était éburnéenne comme ses yeux. Indubitablement, le duel aboutissait en la mort des deux gardes.

Les cloches sonnaient ensuite, et l'on annonçait la venue de celui qu'on craignait dans tous les territoires.

Voleur, mercenaire, assassin, truand, coupe-gorge, fantassin, monstre, ennemi, terreur. Il était tout ceci et rien de tout cela. On l'appelait par tous ces noms, mais il y en avait un qui revenait toujours, dans toutes les bouches, un nom qui le représentait par son épée, un nom qui avait fait de lui une funeste légende par-delà les âges et les contrées.

Il était Sombre-Lame, le Prince de la Mort.

Bien des mythes et des légendes étaient apparus. On le disait humain, humanoïde ou non-humain, un enfant de ces sales Téraï, ceux qui n'étaient pas comme les autres, ceux que l'on nommait monstre, ceux qui n'étaient pas humanoïdes et que l'on haïssait pour leur simple existence. Il n'en avait que faire. Qu'on le dît humain ou non, cela n'avait aucune importance. On le détestait lui aussi pour sa simple existence, sans chercher à le connaître ou l'apprécier. Mais en avait-il seulement envie ? Après tout, l'être que l'on nommait Sombre-Lame vivait désormais seul, sans jamais chercher de compagnie qu'au détour d'une mission qu'on lui confiait avec inquiétude.

Et c'était bien ainsi. C'était bien ainsi.

Car il était l'incarnation de la mort en personne. Car celle-ci le suivait où qu'il se rendît, quoi qu'il fît. Ceux qui l'approchaient ne survivaient jamais bien longtemps. Quelle en était la raison ? Avait-il été maudit dès sa naissance ? Cela, personne ne le savait, ni ne cherchait à le savoir. Il était le seul à connaître la vérité, celle d'un passé aux lourdes conséquences sur son présent, tout comme son avenir.

Non, Sombre-Lame ne connaissait jamais plus rien d'autre que la solitude, le froid, la guerre, le sang et la violence.

Et c'était bien ainsi. C'était bien ainsi.


(partie 2 en suivant...)

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