6. Étrange


PDV Chiara


Aujourd'hui, ma journée de travail a été plutôt productive. Nous avons eu beaucoup de clientèle, ce jour-ci. Tout s'est bien passé, tout était normal, banal. Mais alors que nous sommes sur le point de fermer boutique, un homme entre dans la supérette. Celui-ci est assez grand et semble avoir mon âge. Ses cheveux noirs sont en bataille, et son T-shirt blanc laisse entrevoir plusieurs tatouages. Dont un qui attire mon attention, lorsque cet homme au physique typé se met à extirper son portable de la poche arrière de son jean délavé. Il s'agit d'une grande rose, située sur son avant bras. Étrangement, quelque chose chez lui me fait penser à une personne que j'ai déjà rencontrée. Néanmoins je ne vais pas citer son prénom, par simple peur de m'égarer.

Nous devons fermer, monsieur, s'exclame ma mère.

Celle-ci pointe son doigt vers la pancarte accrochée sur le mur derrière nous, avec écrit les horaires d'ouverture et de fermeture. Tout ça pour lui signaler qu'elle ne plaisante pas avec le règlement. Néanmoins il n'est que seize heure et quinze minutes, ce qui équivaut à seulement quelques minutes en dehors de la "charte". Je pense que ma mère devrait être un peu plus tolérante.

Désolé, je ne savais pas que vous finissiez si tôt. Mais je vais juste prendre deux trois bricoles, rien de plus, fait-il d'une voix neutre.

Ne vous inquiétez pas. Allez-y. Vous le saurez pour la prochaine fois, le reprends-je.

Il me répond d'un simple hochement de tête, puis disparait dans les rayons sans sourciller. Quelques instants plus tard, il revient avec une canette de coca dans sa main gauche. Dans l'autre, il tient un paquet de maltesers. Heureusement, il a été rapide.

Ce dernier pose nonchalamment ses articles sur le tapis coulissant. Je les scanne, puis relève finalement ma tête vers l'homme, que je surprend entrain de me contempler. Mes yeux bleus viennent rencontrer la noirceur des siens. Et malgré cette noirceur, son regard semble être complètement ailleurs, dans le vide, comme si il réfléchissait. Mais à quoi ? Seul lui le sait.

Vous payez en carte ou en liquide ? Lui demandé-je, brisant ainsi le silence.

En liquide, répond-il en baissant la tête.

Bien. Ça vous fera six dollars.

Le tatoué enfonce la main dans sa poche droite, puis en ressort quelques billets verts qu'il me tend par la suite.
Je vérifie si il ne manque rien...Mais non. Le compte est bon. Je range la somme dans la caisse pendant que l'homme reprend ses articles. Avant que ce dernier ne finisse par s'éloigner de nous et de se diriger vers la sortie, celui-ci daigne tout de même m'accorder un fin sourire.

Passez une bonne fin de journée, lançé-je poliment.

Pareillement. Au revoir, fait-il d'un air détaché.

Puis il s'en va.

J'expire lentement, sereinement. Ça y est. Ma journée de travail est enfin finie. Un poids se libère de ma poitrine. Et mon Dieu, cette sensation de légèreté est particulièrement agréable.

Ma mère se presse à rassembler toutes ses affaires, ce que je fais également. Je n'ai pas vraiment envie d'être en retard pour mon «rendez-vous» avec Raphaël, même si je ne le suis pas vraiment. Enfin, pour l'instant.
Nous sortons de la supérette et ma mère ferme le rideau de celle-ci.

Au fait, je ne vais pas rentrer avec toi, en voiture. Je vais voir le frère à Ethel, finis-je par lui annoncer.

Ma mère tourne la tête vers moi.

Ok. Mais tu ne veux pas que je t'y dépose ? Propose-t-elle.

C'est gentil de sa part, mais je refuse car cela lui ferait faire un énorme détour. Et j'ai envie de me démerder un peu, dans cette ville qui ne dort jamais. Je vais donc prendre le métro, que j'ai l'habitude d'utiliser lorsque je dois me rendre aux réunions de thérapie, situées tout près de Central Park.

Mes écouteurs dans les oreilles, je me laisse bercer par «Only one» de The Score, qui est ma chanson du moment. Elle m'aide à décompresser de la journée que j'ai passée, elle booste le moral. Pendant ce temps, le wagon me guide tout droit vers ma destination souhaitée, faisant quelques fois des bruits sourds, qui sont rapidement isolés par la musique que j'écoute. Je regarde l'heure indiquée sur ma montre, qui indique seize heure et une quarantaine de minutes. Normalement, ça devrait le faire. J'arriverai à Central Park d'ici peu de temps, si tout va bien. J'hésite quand même à envoyer un texto à Raphaël pour lui avertir de mon possible retard, mais je décide finalement de ne pas le faire. Je me met la pression toute seule en pensant que j'arriverai complètement à la bourre. J'ai juste à souffler un bon coup pour faire évacuer toute cette anxiété inutile, et tout ira mieux.

Arrivée à mon arrêt, les portes du wagon s'ouvrent et j'essaye tant bien que mal de me frayer un passage, entre ceux qui montent et qui descendent de celui-ci. Je presse le pas, monte les escaliers du métro et voilà que je me trouve à quelques mètres de Central Park. Plus qu'une rue à traverser, et j'y suis. Pendant que je marche, je prête attention aux gratte-ciels qui entourent ce si bel espace vert. Je remarque également que le temps est particulièrement magnifique, pour une fin de mois de Septembre. Le soleil tape, le vent est doux. Moi qui suis habituée aux jours pluvieux, voir ce si beau temps est quelque chose d'assez rare et appréciable, ici, à New York.

Tout cela me rend véritablement plus détendue qu'avant. Hélas, toute cette tranquillité que je pouvais commencer à ressentir en moi vient se transformer en un tout autre sentiment, en une toute autre émotion, lorsqu'un cycliste me bouscule littéralement de plein fouet. Celui-ci est allé tellement vite qu'il m'en a fait perdre l'équilibre. Mais merde, je suis maudite ou quoi? Pourtant je ne suis pas sur la route, je suis juste sur l'extrémité du trottoir. Vraiment, ces comportements-là me mettent hors de moi. Surtout que le cycliste ne s'est même pas retourné. Comme si ce genre de situation était normal, alors que pas du tout.

Ne t'excuse pas surtout, hein ! Connard ! Crié-je, priant pour qu'il m'entende.

J'essaye d'apaiser mon bras, qui commence sérieusement à me lancer. Super. Moi qui pensais que ma journée allait être normale, eh bien là c'est raté. À tous les niveaux. Après avoir rassuré une vieille dame ayant vu la scène, je reprends mon chemin vers l'entrée du parc.

Plus je me rapproche, plus je reconnais ce visage...Souriant, radieux, masculin. Raphaël se tient debout, les mains dans les poches, adossé contre un portail en fer. Un sourire commence à naître sur mes lèvres, tandis que je continue de masser l'arrière de mon bras endolori. D'un geste anodin, Raphaël tourne sa tête en ma direction, et me remarque enfin.

Hey ! Fait-il, d'une voix enjouée.

Hey, réponds-je en m'approchant de lui.

Je lui fais une accolade. Je grimace légèrement, dû à ma blessure. Lorsque nos deux corps s'écartent, Raphaël me scrute un instant, d'un regard inquiet.

Ça va, toi ? Depuis que je te vois, tu ne cesse de toucher ton bras droit.

Oh ça, c'est rien de bien grave. Ne t'inquiètes pas. T'étais là depuis combien de temps ? Demandé-je, intéressée de savoir la réponse.

Cinq minutes, je dirais.

Je m'attendais à pire, à bien plus que ça. Mais heureusement que non.

Enfin bref. Quoi de neuf, depuis la dernière fois ? Continue-t-il en commençant à emprunter le chemin du parc.

Je le suis, tandis que je pense à sa question. Depuis que je l'ai vu la dernière fois, à la cafette, pas grand chose ne s'est passé. Enfin si, mais je n'ai pas envie d'en parler. Ce n'est pas faute d'assumer le fait qu'Hadrien m'intrigue, mais je ne souhaite pas que Raphaël se mêle de ça.

Rien de très spécial, tu sais.

Vraiment, rien ? T'es sûre ? Fait-il, mi-amusé, mi-intrigué.

Ses yeux pétillent de curiosité, attendant que je dise quelque chose. Nous nous approchons d'un pont, situé au dessus d'un long ruisseau. Nous croisons une petite fille courrant à pas de souris, sa mère à proximité d'elle.

Ah...Si. J'ai testé mes talents de cuisinière, hier. Et disons que je ne suis pas si nulle que ça, fis-je d'un ton faussement vantard.

Raphaël prend une expression complètement étonnée.

Toi, Chiara Davidson, vingt-et-un ans, tu as des talents en cuisine et je ne le savais pas ? C'est un comble ! Comment tu as pu me cacher ça ?! Fait-il en mettant ses mains sur son thorax, comme si il venait d'être blessé en plein coeur.

Je ris à gorge déployée. Son geste théâtral  rend la scène encore plus humoristique. Je donnerai n'importe quoi pour revoir ça. Ce dernier me regarde, le sourire jusqu'aux oreilles.

Si tu savais comme j'adore t'entendre rire comme ça, reprend-il en me tapant légèrement le bout du nez, de l'index de sa main.

Oh.

Je t'avoue que je ne sais pas trop quoi dire, lui annoncé-je, légèrement gênée.

Rien, Chiara. C'est juste que te voir dans cet état là est magnifique. Ça change de...

— ...Quand j'avais l'air d'une dépressive, complété-je, le regard dans le vide.

Raphaël se masse les tempes tout en fronçant les sourcils. Il semble s'en vouloir d'avoir prononcé ces mots.

Je...Je ne voulais pas...Je ne pensais pas..., balbutie-t-il.

Je pose une main sur son épaule.

— C'est rien, Raphaël. Tout va bien maintenant, le reprends-je.

Il me regarde un instant. Ce dernier me jauge, afin de vérifier si ce que je dis est bien vrai. Je lui fais alors un petit sourire, pour le rassurer.

Tout va bien.

Nous continuons de marcher, tout en discutant sur des sujets diverses. Soudain, mon pied bute contre les pierres grisâtres d'un pont légèrement arqué. Nous décidons de nous arrêter au milieu de celui-ci et je m'accoude au rebord, la tête posée entre mes mains. Me stopper ici devient une habitude. Sauf que là, je ne suis pas seule. J'observe le rythme régulier et doux que font les vagues du ruisseau. Les rayons du soleil viennent y créer des reflets étincelants, ce qui donne l'impression qu'il est fait à partir de paillettes. Je pourrais passer des heures à le contempler, sans passer une seule seconde à m'ennuyer. C'est dans ces instants que je me sens le plus sereine, et que je ne pense plus à rien.

Mon téléphone se met soudain à vibrer. Il s'agit d'un message de ma mère. Je règle la luminosité afin de mieux le lire.

《 De Maman, à 17h30 :
On t'attendra pour manger. Ne rentre pas trop tard. Fais attention à toi, Bisous 》

Qu'est-ce qu'il y a ? Demande Raphaël, mettant ainsi terme au silence.

C'est un message de ma mère. Rien d'alarmant, je t'assure, réponds-je aussitôt.

Après avoir répondu à celle-ci, je range mon portable dans la poche de mon jean. Depuis l'accident et même avant, mes parents se sont toujours inquiétés de mes moindres faits et gestes, ou encore des personnes que je me mettais à côtoyer. D'ou les messages que je reçois lorsque je sors seule, et vice-versa. Ma mère et mon père sont surprotecteurs. D'un côté, je comprends pourquoi ils sont comme ça avec moi. C'est vrai que depuis quelques années, la vie m'a bien donné du fil à retordre. Mais d'un autre, c'est un réel frein à ma liberté.

Au fait, comment elle est Ethel, à la thérapie ? Elle ne me dit jamais comment ça se passe, dit-il sans réfléchir.

Surprise par sa question, je tourne la tête vers lui, qui a partiellement adopté la même pose que moi. Je pensais qu'ils en parlaient entre eux, entre frère et sœur, mais en voici la preuve que non.

Normalement ce n'est pas à moi de te le dire. Mais elle s'améliore, la thérapie lui est bénéfique.

Oh, ok. Ça me rassure. Parce que les drogues n'avaient pas été très clémentes avec elle. C'était une horrible période, pour moi comme pour toi depuis que tu l'a connue, je pense, confesse-t-il.

C'est sûr. Pourvu qu'elle ne retombe pas dedans.

Raphaël reste silencieux, la tête baissée vers le ruisseau.

Elle ne retombera pas, fait-il d'une voix presque inaudible, comme si il se parlait à lui même.

Il semble tellement ému que je n'ose rien lui dire. Je sais ce qu'il est entrain de penser. Je sais qu'il ne se le pardonnera jamais, si elle retombe dans ce calvaire. Et pourtant il n'en est pas fautif.

Il refuserait de la perdre, une nouvelle fois. Ça lui paraitrait impensable, surréaliste.
Moi non plus je ne veux pas la perdre. Je ne veux perdre personne, d'ailleurs. Sinon, je ne me relèverai probablement jamais.

Mais Ethel, je la connais. Ce n'est pas le genre de personne qui baisserait les bras si facilement. Elle n'est plus cette fille là.
Dans tous les cas, je ferai tout pour qu'elle ne retombe pas. Vraiment. Voir les gens heureux est mon but numéro un, depuis que je suis guérie. Comme Raphaël l'a dit, voir une personne heureuse est quelque chose de magique, précieux...Comme le sourire d'Ethel. Maintenant, je prie pour voir au moins une fois le sourire que peut posséder Hadrien.

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Hey!

Alors, ce long chapitre vous a plu?

Que pensez-vous de la relation Chiara/Raphael?

Pour l'instant, qui est votre personnage préféré? Et pourquoi?

À plus pour un nouveau chapitre! (le prochain chapitre va être assez explosif, ça promet...)

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