Chapitre 22
La télé continue de diffuser le journal télévisé mais je ne l'entends plus. Je ne réagis plus. Mes yeux fixent un point perdu. Mes membres sont comme pétrifiés. Mon cerveau est en ébullition et pourtant je n'arrive pas à bouger. Comme si mon corps était emprisonné dans de la colle. Toutes mes pensées sont tournées vers eux.
Mes parents
Ils ne peuvent pas... ils ne peuvent pas avoir péri dans ces explosions. C'est pas possible. Jamais je ne pourrais m'en remettre s'ils étaient... Ce sont mes parents, j'ai besoin d'eux... Non. C'est vraiment pas possible...
Plein de scénario différents défilent devant mes yeux, accentuant de plus en plus ma panique. Ma vue commence à se brouiller. Je n'arrive pas à esquisser le moindre geste.
Un filet glacé se met à couler le long de mon dos me ramenant à la réalité. Doucement je sors de ma torpeur. Je passe une main sur mon visage et écarte les mèches de cheveux qui me tombent devant les yeux.
Délicatement je pose mon bol sur une table pour ne pas le faire tomber et parcours la pièce du regard pour trouver mon téléphone. Je me précipite dessus et cherche le numéro de ma mère. Les larmes inondent mes yeux et je peine à le trouver. Une fois fait, je colle le portable à mon oreille et attends. Les sonneries défilent dans un suspens insoutenable.
-Allez... réponds s'il-te-plaît ! je couine.
Lorsque je tombe finalement sur la boite vocale je manque de craquer. La panique commence doucement à m'envahir. Mais j'essaye de garder la tête froide. Je rappelle à nouveau ma mère mais n'ayant toujours pas de réponse je tente avec le numéro de mon père. Mes mains qui étaient figées, à présent tremblent tellement que je manque de faire tomber le téléphone. Je le sers si fort que mes jointures commencent à devenir blanches.
Alors que je tombe à nouveau sur la messagerie, je fini par céder. Mon portable m'échappe et atterrit sur le tapis. Je m'effondre sur le canapé la tête entre les mains. Les larmes ruissellent sur mes joues rendant ma vue complètement floue.
-C'est... c'est pas possible. Vous pouvez pas... c'est pas possible, sanglotais-je.
La douleur dans ma poitrine est insupportable. La peur d'avoir perdu mes parents m'anéantie complètement. C'est la pire chose que l'on puisse ressentir. C'est comme si on prenait mon cœur et qu'on s'amusait à le piétiner puis le déchiqueter en plein de morceaux. Ça fait tellement mal...
Ne rien savoir me rend complètement folle. J'attrape mes cheveux et tire dessus pour canaliser la douleur mais en vain. Elle est beaucoup trop puissante. Elle m'ensevelit. Comme des sables mouvants dans lesquels on est pris et dont on n'arrive pas à s'extirper. Ils nous collent à la peau, nous empêchent de bouger, pour au final, nous couler et nous noyer.
Je reste sans bouger, les larmes roulant sur mon visage, pendant un bon moment. Je ne sais pas quoi faire. Je suis seule, totalement perdue. Je n'ai plus aucun point de repère. Je m'efforce de me calmer, sans y arriver. Je finis par attraper à nouveau mon cellulaire pour appeler Cathy. Elle pourra peut être m'aider. Je compose son numéro et attends. Comme pour mes parents, ça ne répond pas.
-Mais pourquoi vous ne répondez pas tous ?! m'agaçais-je.
Tout un flot d'émotions se mélange en moi. Tristesse, angoisse, colère, désespoir, souffrance,... Tout ce cocktail me monte à la tête et explose. C'est vraiment la pire chose que l'on puisse ressentir.
A travers le brouillard qui entoure ma tête, une autre personne me vient à l'esprit. Je ne sais pas si c'est une bonne idée mais je ne vois qu'elle. J'attrape une énième fois mon téléphone et fais sonner. Par chance cette fois elle répond.
-Julia ? fait la voix de l'autre côté.
-Thomas..., je murmure à travers mes larmes.
Ma voix se brise et je retiens un sanglot.
-Ça ne va pas ?
-C'est mes parents... il y a eu... j'ai peur... j'ai peur qu'ils soient...
Sous le coup de l'émotion je n'arrive pas à finir ma phrase. J'entends dans le combiné la respiration de Thomas. Il reste silencieux avant de reprendre la parole.
-Tu veux que je vienne ?
-Oui... je souffle dans un murmure, ayant peur qu'il refuse.
-Ok j'arrive.
Un léger poids en moi s'envole.
-Merci..., le remerciais-je.
On raccroche et je me mets en boule sur le canapé. Les informations ayant changées de sujet, j'éteins la télévision, avant de balancer la télécommande à l'autre bout du canapé. Un silence pesant m'entoure alors. Les sanglots qui m'échappent, brisent de temps à autre le calme ambiant. Seuls les piaillements des oiseaux rendent l'atmosphère moins lugubre. Dehors, le soleil brille, les feuilles bruissent, les fleurs s'épanouissent et les oiseaux chantent. Tout cela contraste affreusement avec l'orage noir en moi. Il me ravage de l'intérieur, me brûle et me consume. Rien ne peut l'arrêter.
Les larmes continuent de tomber en cascade sur mes joues, inondant le haut de mon pyjama. Mon bol de céréales m'attend toujours sur la table mais je n'ai plus faim. Toute cette histoire m'a coupée l'appétit. Si j'avale un truc je pense le régurgiter dans la minute qui suit. Je devrais aller le jeter mais je n'ai pas la force de me lever. Alors je reste en boule, et j'attends.
Quand on sonne enfin à la porte, je n'ai pas le temps de me lever que Thomas entre, sans attendre que je lui ouvre. En général je me serais offusquée mais pas aujourd'hui. Peu m'importe. Les cheveux toujours devant le visage j'entends ses pas s'approcher, après qu'il ai refermé la porte derrière lui. Je sens le canapé s'enfoncer à côté de moi et j'ose enfin relever les yeux. La première chose sur laquelle je tombe est son regard noir braqué sur moi.
La douceur qui en émane me replonge dans les souvenirs de la veille. C'est la même douceur que j'y ai vu hier quand il m'a annoncé qu'il faisait tout ça pour me protéger.
-Julia... prononce-t-il tout bas.
Sa voix grave et rauque me sort de ma rêverie et me fait revenir sur terre. Mon monde s'écroule à nouveau et les larmes menacent de déborder à nouveau. Je suis dans un état lamentable. J'ai le nez qui coule et je porte un short et un débardeur qui couvrent à peine mon corps, en guise pyjama. Mes cheveux sont tout emmêlés et je dois avoir les yeux tout rouge à force d'avoir pleuré.
-Julia. Explique moi. Que se passe-t-il avec tes parents ? m'interpelle Thomas une nouvelle fois.
Je me redresse lentement et renifle de façon peu glamour. Je passe mes cheveux d'un côté pour y voir plus clair et prends une respiration avant de me lancer.
-Tu... tu te souviens que je t'ai dit que mes parents étaient médecins ?
Il prend un temps de réflexion avant de hocher la tête.
-Ils travaillent en Afrique c'est ça ?
-Oui... ils aident les villes qui sont trop pauvres pour avoir des docteurs, confirmais-je.
-Et que s'est-il passé ? m'interroge-t-il.
-Plusieurs villes ont fait la cible de plusieurs attaques terroristes... soufflais-je sentant les larmes revenir.
-Et celle de tes parents en fait partie, termine-t-il à ma place.
Je hoche la tête à mon tour en restant silencieuse. J'essuie rageusement les larmes qui coulent. J'en ai marre de pleurer. Mais j'ai tellement mal à la poitrine. Cette douleur permanente qui continue de déchirer mon cœur.
-J'ai... j'ai essayé de les appeler... j'ai pas eu de réponse...
Je renifle à nouveau et souffle un coup pour tenter de me calmer. Thomas tente alors de me rassurer.
-Ça ne veut pas forcément dire qu'ils... font parti des blessés. Ne pense pas au pire. Tant que tu n'as pas plus de nouvelles d'eux n'y pense pas. Ça se trouve ils n'ont juste aucun moyen de te contacter. Essaye de ne pas trop te torturer l'esprit.
-C'est pas si facile que ça, grognais-je dans ma barbe.
-Je sais bien, enchaîne-t-il avant de se lever.
Il attrape la boîte de mouchoir posée sur le bar de la cuisine et me la tend. Je la prends, gênée. J'ai l'impression d'être une malpropre à force d'avoir renifler sans cesse. Je me mouche rapidement avant de reposer la boîte sur la table basse devant moi.
-Tu devrais sortir prendre l'air, annonce-t-il en brisant le silence qui s'était installé.
-Pour aller où ? demandais-je confuse.
Cette idée me rebute quelque peu. Je n'ai pas la tête à sortir. Tout ce que je souhaite c'est retourner me mettre en boule sous ma couette et attendre d'avoir des nouvelles de mes parents.
-Je ne sais pas, en ville, au parc.
Je m'affale sur le canapé, peu convaincue. Thomas remarque mon scepticisme.
-Une heure pas plus si tu veux. C'est juste histoire de te changer les idées. C'est pas une bonne idée de rester ici à ressasser. Crois moi je sais de quoi je parle.
Sa déclaration me fait relever la tête. Je remarque que les traits de son visage sont déformés par la mélancolie. Il fixe un point invisible et semble plongé dans un souvenir douloureux.
-Tu parles de Wyatt ? le questionnais-je doucement.
Je sais que c'est un sujet sensible entre nous. Je n'ose plus trop aborder le sujet maintenant, de peur de le mettre en colère. Il reste un instant perdu dans ses pensées, immobile, avant de revenir au moment présent.
-Quoi ? Wyatt ? Euh... oui c'est ça.
Sa réponse me paraît bizarre. J'ai eu l'impression qu'il pensait à autre chose mais, ne voulant pas m'en parler, a préféré mentir. Aurait-il d'autres sombres secrets cachés au fond de ses tiroirs ?
-Bon tu te lèves ou je dois te porter jusqu'à ta chambre ? enchaîne-t-il.
Son changement de sujet soudain me confirme qu'il y a quelque chose d'autre. Je préfère quand même ne pas poser de question. A chaque fois que j'ouvre la bouche pour en poser, il finit par s'énerver contre moi. Et puis cette fois ça ne me regarde pas vraiment. Alors je la boucle et me lève pour me diriger vers ma chambre. Je m'habille rapidement et fais un saut rapide à la salle de bain pour me brosser les dent et me coiffer. Quand je redescends il est déjà vers la porte d'entrée à m'attendre.
On sort et on commence à marcher côte à côte, silencieusement. Le soleil tape sur ma peau. La chaleur ambiante commence à monter et nous étoufferait presque. Thomas enlève sa veste pour ne laisser place qu'à un t-shirt blanc moulant, qui laisse apercevoir une musculature légère. Je détourne le regard avant de me faire surprendre.
On arrive bientôt en ville et les gens se pressent sur les trottoirs. Des mamans avec leur poussettes. Des enfants en vélo. Des couples qui se tiennent la main. Des hommes en costumes d'affaires... Toute cette foule qui fourmille dans tous les sens. Mon ventre se met à gargouiller, me rappelant qu'il est bientôt midi et que je n'ai rien dans le ventre depuis le déjeuner d'hier. Je n'aurais pas dû sauter le dîner la veille. Maintenant je le regrette. Et mon bol de céréale de ce matin aussi. On continue notre balade dans les rues, en direction du parc, lorsque mon ventre émet un énième grognement de faim. J'entends Thomas ricaner à côté de moi.
-C'est pas drôle, grommelais-je.
Il ne fait pas de remarque et nous dirige vers une boulangerie, sourire en coin.
-Hum j'ai pas d'argent, annonçais-je avant qu'on entre.
-Ne t'inquiète pas pour ça. Moi j'en ai.
Ça me gêne un peu mais je n'ai pas le temps de contester qu'il est déjà rentré. Je capitule et le suis. Cinq minutes plus tard on en ressort, sandwichs en main. On reprend alors notre chemin en direction du parc.
Lorsque l'on dépasse le portail de ce dernier, les couleurs du parc m'éclatent au visage. Du vert principalement, mais aussi du rouge du jaune, du rose et du blanc. Des fleurs, partout, de toutes les couleurs. Des arbres aussi, où s'abritent oiseaux et écureuils. Des plantes, qui grimpent le long des lampadaires. Une brise légère vient soulever mes cheveux et agiter les feuilles. Un mélange d'odeur vient embaumer l'air. Je respire à plein poumon pour sentir et imprégner ces effluves. Ici la nature reprend ses droits. On n'entend plus les voitures qui roulent à toute allure sur les boulevards, ni les klaxons, les bruits de talon des femmes, les enfants qui braillent et les hommes qui hurlent au téléphone pour se faire entendre. Seuls les chants des oiseaux et le bruissement des feuilles viennent harmoniser l'ambiance. C'est un havre de paix.
Plusieurs personnes viennent ici pour échapper au bruit de la ville. Certaines sont là pour lire tranquillement. D'autres font un footing ou comme nous, se promènent simplement. Ce calme qui nous entoure, réussi à me faire oublier un court instant le drame qui se passe dans ma vie actuellement. Et la présence de Thomas à mes côtés améliore les choses. On se promène, lentement, en silence, nos bras se frôlant à chacun de nos pas.
Après avoir parcouru une bonne distance on finit par s'assoir sur un banc. Le soleil filtre à travers les branches des arbres et vient nous éclairer. Au dessus de nous des oiseaux se mettent un piailler.
-Tu te sens mieux ? me demande Thomas en me sortant de mes pensées.
-Oui. T'avais raison, c'était une bonne idée de sortir, affirmais-je en souriant pour lui prouver que je vais mieux.
Même si ça me semblait une mauvaise idée, finalement je suis bien contente d'être ici plutôt que dans mon lit. L'air frais sur mon visage me fait du bien. Bien que la douleur soit toujours présente dans ma poitrine, je ne pleure plus. J'ai épuisé mon stock de larme ce matin.
Un bâillement m'échappe. Pleurer autant ce matin m'a fatiguée. Et être rongée par l'inquiétude n'aide pas non plus. Un deuxième bâillement m'échappe à nouveau et Thomas le remarque.
-On devrait peut être rentrer maintenant, non ? Tu as l'air crevée.
On est à peine en début d'après-midi, mais oui j'ai bien l'impression que j'ai besoin de faire une sieste. On se remet donc en route, à faire le chemin inverse. On croise plusieurs couples qui se tiennent la main et je me surprends à me demander si de loin, on a l'air d'en être un Thomas et moi. Au fond de moi j'aimerais que ce soit le cas mais on est loin d'en être un. La seule raison pour laquelle nous nous sommes rencontrés et nous nous parlons est Wyatt...
Je chasse ses pensées de ma tête lorsque nous quittons le parc. Le vacarme de la ville revient au galop nous remplir la tête. On reprend le chemin en direction de chez moi. Notre balade aura été courte mais elle a le mérite d'avoir réussi à me changer les idées le temps d'un instant.
Quand j'ouvre la porte de chez moi les souvenirs refont surface en un block et m'assomment. La tristesse s'installe à nouveau dans mon cœur meurtri. Après m'être déchaussé je tente à nouveau de joindre mes parents, avec l'espoir que cette fois ils décrochent. Mais toujours pas de réponse...
-Tu devrais aller te coucher, me conseille Thomas.
Je me tourne vers lui. Posté à côté de l'entrée, il a l'air prêt à partir.
-Tu restes ? je demande timidement.
Je n'ai pas envie qu'il parte. Il a été là pour moi aujourd'hui et je n'ai pas envie que tout se termine maintenant. Je m'attends à ce qu'il refuse mais contre toute attente, il finit par accepter.
En silence on monte à l'étage pour rejoindre ma chambre où on s'allonge côte à côte sur mon lit. Sur le dos je fixe le plafond n'osant pas tourner les yeux vers lui. Puis la fatigue, m'assommant de plus en plus, je ferme les yeux et finis par m'endormir, bercée par le bruit de nos respirations mêlées.
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