Chapitre 20


Cela fait maintenant une semaine que je reste enfermée chez moi. Quand je ne suis pas à la fac, je suis chez moi. Je ne sors plus et évite de croiser la bande. En cours, Cathy continue de se mettre à côté de moi, et donc les garçons aussi, mais je fais en sorte d'être assise le plus loin possible de Thomas.

Depuis notre discussion dans la cabane, un trouble s'est installé. La façon dont il m'a regardé, avant de se détourner, m'a vraiment ébranlée. C'était la première fois qu'il me regardait comme ça. D'une façon aussi... douce. On aurait dit qu'il s'inquiétait pour moi. Vraiment. J'avais l'impression que son regard allait me consumer sur place. J'étais à la fois inquiète par toute cette histoire, mais en même temps rassurée par sa présence. Comme s'il avait le pouvoir de me calmer, juste en étant proche de moi.

Et notre proximité n'avait rien arrangé. La dernière fois qu'on s'était retrouvé aussi proche, c'était lorsqu'il m'avait avoué qu'il avait fait des recherches sur moi. Je ressens encore ses lèvres frôlant mon oreille et le frison qui m'a parcouru juste après. Mais à la cabane cette, fois-ci, c'était beaucoup plus intense. On était totalement seul. Personne dans les kilomètres à la ronde. Et ce n'est pas mon oreille que ses lèvres ont failli frôler.

J'ai vraiment cru qu'il allait m'embrasser alors qu'on venait de se disputer quelques instants plus tôt. Je ne sais pas ce que je ressens pour lui. Tout se mélange. Un coup j'ai peur de lui puis le moment d'après j'ai envie qu'il soit près de moi. Quand il est là je ne peux m'empêcher de regarder ce qu'il fait, la façon dont il sourit à une phrase de Maxime ou alors quand il fronce les sourcils, contrarié.

Aujourd'hui beaucoup de choses ont changé. Si je l'évite ce n'est plus parce qu'il me terrifie, mais justement parce que je n'ai plus autant peur de lui que ce que je devrais. À de nombreuses reprises il aurait pu s'en prendre à moi. Mais pourtant il n'a jamais levé la main sur moi. Je ne sais pas si c'est une bonne chose mais ça a changé ma vision que j'ai de lui. Je n'angoisse plus quand il est dans le coin.

Il faut vraiment que je reprenne mes esprits. Que tout redevienne comme avant. J'ai beau essayer. Mais en vain. J'ai beau me souvenir de tous les moments horribles, ceux où il me hurle dessus, me menace, me gronde... tout ça ne fait pas le poids face aux autres qui sont beaucoup plus forts.

Le premier moment qui me revient en mémoire est celui du soir où il m'a ramené chez moi après la soirée. Même si je n'ai pas tous les souvenirs, à cause de l'alcool que j'avais ingurgité, je sais qu'il m'a parlé doucement dans la chambre pour ne pas brusquer, et qu'il m'a ensuite porté jusqu'à sa voiture puis jusqu'à mon lit. Il m'avait aussi prêté son pull noir.

Ensuite il y a eu le film chez Maxime. La première fois que je voyais Thomas aussi détendu. Comme s'il avait oublié ces problèmes. Je pense que c'est à partir de ce moment là que j'ai commencé à ne plus avoir autant peur de lui que le premier jour. On a bien rigolé durant la bataille de popcorn. On était dans notre bulle. Il n'y avait plus de film, ni les autres. Juste nous.

Le lendemain aussi, pendant qu'on travaillait sur le devoir en rapport avec la conférence, on était seul. Je me rappelle que nos épaules se frôlaient mais qu'aucun de nous ne s'était écartés. J'ai eu le malheur de lui parler de ces cauchemars et l'atmosphère a complètement changé pour virer au dramatique. Quand j'y repense j'ai envie de me gifler.

Et pour finir, le moment auquel je ne fais que penser constamment. Celui qui hante mes pensées depuis une semaine, en me demandant ce qu'il se serait passé si on était allé plus loin.

Et l'arrivée de Léa dans le tableau ne fait que perturber mes pensées encore plus. Je passe mon temps à me comparer à elle. À me demander si je suis aussi bien. Mais si elle savait que ce sont eux les meurtriers de Wyatt peut être qu'elle partirait non ? Mais si je fais ça je perds la confiance de Thomas, Cathy et tous les autres. Et je ne veux pas.

Alors j'espère. J'espère ne pas être la seule à penser à ses moments constamment. À ce moment précis dans la cabane. Mais de l'autre côté j'essaye désespérément de me convaincre que tout ceci n'est qu'une grosse bêtise et que je n'ai pas envie d'aller plus loin.

Une sonnerie me sort de mes pensées. C'est celle de mon portable qui m'indique l'arrivée d'un message.

Allongée sur le dos en étoile de mer sur mon lit, je tends mon bras et attrape mon téléphone posé sur la table de chevet. C'est un message de Cathy. Elle m'invite à me joindre au reste du groupe qui s'est retrouvé chez Maxime. Tout le monde est là, même Thomas et Léa.

Je ne sais pas si j'ai la force d'affronter Thomas que j'ai esquivé tant bien que mal à la fac. J'ai peur que pour lui tout ça ne veuille absolument rien dire. Que je me fasse des idées. Et je ne veux pas le croiser de crainte de voir une totale ignorance de sa part envers moi.

Alors je refuse. Je réponds à Cathy que je ne viens pas prétextant des choses à faire. Mais à peine le message envoyé que cette dernière m'appelle. Décidément elle ne va pas lâcher l'affaire aussi facilement. Résignée je décroche en soupirant.

-Oui ? je demande en collant le portable à mon oreille.

-T'as intérêt à être chez Maxime dans dix minutes compris ? me menace-t-elle, sinon je viens te chercher moi même.

Je sens qu'elle essaie de paraître sérieuse et se retient de rigoler.

-En fait quand tu m'as invité j'avais pas vraiment le choix c'est ça ? pouffais-je.

-T'as tout compris, annonce-t-elle. Allez dépêche toi on t'attend !

Et elle raccroche.

Je me relève difficilement de mon lit en m'étirant. J'ai passé la journée allongée et mes muscles sont un peu endoloris. Le seul moment où je me suis levée c'est pour déjeuner à midi.

J'appréhende le moment où je vais me retrouver en face de Thomas. Mais bon il fallait bien que ça arrive un moment donné...

Je me chausse, m'habille et entreprends la marche jusque chez Maxime. Quand j'arrive, beaucoup trop tôt à mon goût, j'appuie sur la sonnette et attends. C'est Maxime qui m'ouvre. Il me laisse entrer et referme derrière moi puis nous rejoignons le groupe ensemble.

Les autres sont installés en cercle sur le tapis du salon et discutent. Il y a seulement un trou, où nous nous asseyons, sans interrompre la discussion en cours. À côté de moi Cathy me sert dans ces bras rapidement. À sa gauche Léa me salut de la main et me sourit. Je lui souris timidement à mon tour et me détourne pour observer le reste du groupe. Thomas se trouve en face de moi et j'essaye de ne pas le regarder. Je replis les genoux contre ma poitrine, les entoure de mes bras et je reste silencieuse.

-On ne t'a pas beaucoup vu cette semaine Julia, fait remarquer Aaron, attirant l'attention de tout le monde sur moi.

Pourquoi faut-il qu'il soit bavard quand ça ne m'arrange pas celui là... ? Cette semaine je trouvais toujours un prétexte pour ne pas manger avec eux le temps de midi ce qui fait qu'en effet je n'ai pas croisé Aaron et Nathan. Non que ce soit un problème pour ce dernier loin de là.

-Euh ouais. Je ne me sentais pas très bien. Je préférais rester chez moi au calme, je mens.

Je sens le regard de Thomas me transpercer de plein fouet. J'ose lever le regard un court instant pour voir sa réaction et je comprends qu'il ne me croit pas un seul instant. Mais je n'arrive pas à déchiffrer son regard. Il paraît complètement neutre. Pas un seul rictus ne vient étirer sa bouche pour se moquer de moi, ni de regard noir. Je n'y comprends rien et détourne le visage, gênée.

Mon regard tombe alors sur la télévision qui est allumée sur une chaîne d'info, avec le son en fond sonore, comme la dernière fois. Je le fais remarquer à Cathy qui m'explique.

-On a pensé que ça serait une bonne idée de la laisser allumée. S'il y a une nouvelle info sur... Wyatt... eh ben... on sera au courant tout de suite.

-Oh... je comprends.

On se détourne attiré par les éclats de voix des autres.

-Et vous vous souvenez quand Thomas a essayé de se mettre debout sur la bouée gonflable ? rigole Léa, il avait à peine réussi à trouver un équilibre que Maxime a poussé la bouée pour le faire tomber.

-Je me souviens surtout du plat magistral qu'il y a eu ensuite, s'esclaffe Maxime fier de son coup.

-Moi ce dont je me souviens surtout, ajoute Thomas, c'est que je suis passé à ça du bord de la piscine. J'ai failli me fracasser le crâne à cause de toi mec.

-Pas de quoi, se moque Maxime.

Tout le monde rigole et il se reçoit une tape sur la tête de la part de Thomas avant de reprendre d'un air théâtrale.

-Mais que serait notre vie aujourd'hui, sans le grand Thomas Anderson ?! Dites-moi ! À votre avis ? Nous ne serions pas ici aujourd'hui !

Je ne sais pas si je suis là seule à penser à ça, mais si comme il le dit, Thomas n'était pas là aujourd'hui, c'est toute cette histoire de meurtre qui ne serait jamais arrivée... et je ne les aurais jamais rencontrés.

Les rires de tout le monde se mélangent et me ramènent à la réalité. Thomas est là et tout ça est bien réel.

Cathy prend la parole à son tour pour raconter une autre anecdote.

-Vous vous rappelez la fois en cinquième ou mes parents voulaient nous emmener faire une promenade à vélo parce qu'on était trop turbulent ? On avait failli casser deux fois les pots de fleurs horribles que ma mère adore.

-Oui ! l'interrompt Maxime, ceux qui avait des canards roses qui se baignaient dans une sorte de marre verte et qui dansaient !

-Comment tu fais pour te souvenir de ces détails ? l'interroge Léa.

-J'ai une bonne mémoire, se pâme-t-il en bombant le torse.

-Oui ben y a des choses plus importantes à retenir que des canards roses tu sais ? rétorque-t-elle le sourire aux lèvres.

-Ah bon ? Comme quoi ?

-La date d'anniversaire de tes amis par exemple ?

-Pas besoin. Il y a Facebook pour ça.

Hilarité générale. Cathy souffle un coup après s'être calmée.

-Enfin bref. Ils ont voulu nous faire faire du vélo pour nous défouler. On a tous décidé de crever nos pneus pour ne pas avoir à y aller. Sauf que mes parents nous on dit qu'on irait quand même à pied. On n'a pas eu le choix. Et au final on était dégoûté parce qu'on aurait quand même préféré y aller en vélo plutôt qu'à pied.

-Et en plus on a dû les réparer à notre retour, ajoute Nathan en prenant la parole pour la première fois depuis que je suis arrivée.

Suite à ça un silence s'installe avec seulement les informations en fond. Je me sens un peu à part tandis qu'ils replongent tous dans leurs souvenirs communs.

-Et toi alors Julia ? T'as un truc à nous raconter ? me demande Léa comme si elle lisait dans mes pensées.

Je suis tout d'abord surprise, puis quand je vois le regard de Cathy qui me pousse à raconter une anecdote je plonge dans ma mémoire pour tenter d'en trouver une.

-Alors..., commençais-je quand je l'ai trouvée, c'était avec Alyssa en sixième. Un jour on bronzait au bord de la piscine dans des transats et je me suis endormie. Alyssa a pris une feuille, l'a découpée pour lui donner la forme d'un cœur et l'a posée sur mon bras. Quand je me suis réveillée j'avais bronzé et la trace de la forme était incrustée sur mon bras de façon très visible. Pendant plusieurs jours j'ai dû me balader avec un cœur sur le bras que je ne pouvais même pas le cacher parce qu'il faisait vraiment très chaud. Je me suis faite interpellée par plusieurs mecs qui croyaient que je l'avais fait exprès pour attirer l'attention.

-C'est marrant mais pas très sympa, fait remarquer Maxime en ricanant.

-Au début je lui en ai voulu mais ça n'a pas duré très longtemps. Alyssa est ma meilleure amie, on n'arrive pas à rester en colère l'une contre l'autre très longtemps. Puis pour se faire pardonner elle s'en ait fait un aussi donc au final on était toutes les deux à se balader avec un cœur sur le bras, finis-je de raconter.

Mon histoire est moins marrante que les leurs mais elle a le mérite de les faire sourire. Je croise le regard de Thomas qui est chaleureux. Mais cette fois-ci c'est lui qui détourne le regard pour se soustraire au mien.

Je n'aurais pas dû autant m'éloigner du groupe cette semaine. Quand je suis avec eux je m'amuse. Ça me fait oublier qu'Alyssa n'est plus là. Ils arrivent à me remonter le moral sans le savoir et je me sens tout simplement bien en leur compagnie comme si j'avais toujours été là.

-Hé ! nous interrompt Nathan précipitamment, ça parle de Wyatt à la télé !

On se tait tous immédiatement pour écouter. Mais fausse alerte. La présentatrice ne fait que rappeler que l'enquête est toujours en cours et que les résultats de l'autopsie arriveront bientôt.

On se détourne tous du téléviseur pour souffler après le coup de stress qu'on a eu. J'observe Léa pour voir sa réaction. Pour elle il s'agit juste d'un ancien camarade de classe qui a disparu. Pour nous il s'agit de notre liberté qui se joue à chaque instant.

Mais alors que je pensais que cet intermède était terminé je me fige en entendant Léa.

-Mais comment ils ont fait pour le retrouver ?! Vu la façon dont vous l'avez caché !

Je n'arrive pas à y croire... J'étais persuadée qu'elle n'était au courant de rien. Je veux dire, elle vient de débarquer ! Pourquoi est-ce qu'ils lui ont tout raconté ? Ça fait longtemps qu'ils ne l'ont pas vu, elle a pu changer pendant ce temps et elle peut aller tout raconter à la police. Je me sens mise de côté. Ils lui ont tout raconté à elle, alors que moi ils refusent de me dire quoi que ce soit d'autre que ce que j'ai entendu ce soir là. Et juste savoir ça, ça me met dans une colère noire. Tous les jours j'essaye de leur montrer qu'ils peuvent me faire confiance. Maintenant que je suis dans la même merde qu'eux je pense avoir le droit de savoir. Mais non. Et elle qui vient juste de débarquer et qui n'avait rien à voir, ils lui disent tout.

Je me lève brutalement de ma place, m'attirant les regards surpris des autres, et me dirige vers la sortie en attrapant la veste et mon sac au passage.

J'entends Maxime demander ce qui m'arrive juste avant que je ne claque la porte d'entrée furieuse mais surtout blessée.

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