Chapitre 5 ( nouvelle version )

Engy

Je suis réveillée par un bruit qui m'est familier : le grondement du moteur de la Challenger d'en face. Quand j'ouvre subitement les paupières, je jette un œil à l'heure sur mon téléphone posé sur ma table de chevet, qui indique 4h du matin. Je pensais ne pas arriver à dormir, mais j'ai tellement mal partout et ma tête m'élance tant, que ces quelques heures étaient nécessaires. Quelque part, j'espérais aussi me réveiller et constater que ces horreurs n'étaient qu'un cauchemar.

Je marche sur ma moquette blanche et espionne derrière le rideau.

Les phares de la Challenger sont éteints, pourtant j'entends bien son moteur tourner. Dans la rue, devant la maison, il y a le fourgon noir du père. Il est clairement au courant de ce que son fils a fait, car ensemble, ils empilent des sacs noirs à l'arrière du véhicule. Comme dans un film d'horreur, c'est forcément le corps découpé en morceaux.

Je fronce les sourcils.

Seulement... je me rends compte que... ce n'est pas la première fois que je les vois faire ça. À chaque pénombre, quand le voisinage dort, je les vois transférer des sacs, exactement comme en ce moment. Seraient-ils à chaque fois remplis de membres humains ?

Non, non ! Je divague. Je deviens parano. Sûrement un symptôme de choc post-traumatique. Ce mec n'est quand même pas un tueur en série ; et son père serait de mèche ? Bah voyons... OK, oui, leurs activités nocturnes m'ont toujours intriguée, mais de là à me retrouver en face d'une maison de psychopathes me paraît surréaliste.

Mais d'un côté... mon voisin a tué avec une telle agilité et... facilité. Dans ses yeux, il n'y avait aucun regret, aucune hésitation. Je ne suis pas psychiatre, mais tuer un être humain, même s'il est un agresseur, ce n'est pas anodin. Ça doit provoquer un amalgame d'émotions, de perturbations. Je ne peux pas croire qu'il ait gardé un tel sang-froid. Pire... sans ne rien ressentir. Je le regarde furtivement balancer les sacs poubelles pour faire disparaître le meurtre et le mec est tellement nonchalant, décontracté, clope au coin de la bouche... Ce n'est pas normal. Je devrais à l'instant même appeler les flics. Mais une part de moi a peur d'eux et veut aussi les laisser régler ce problème. Tout ce que je veux, c'est effacer de ma mémoire tout ce qui s'est passé.

Je vais à la salle de bain pour prendre deux cachets de somnifères à ma mère. Je les engloutis en buvant l'eau à même le robinet et retourne me coucher. J'attends qu'ils fassent effet, même si mes yeux sont grand ouverts à regarder le plafond, et mon estomac, noué.

+ + +

À l'aube, j'ouvre les yeux et vois les rayons du soleil qui pénètrent dans ma chambre. Sur l'écran de mon téléphone, il est 9h. J'ai une sale migraine.

Je m'extirpe du lit et enfile des vêtements, ce que j'ai de plus décontracté : un short et un débardeur noir. Je fais rapidement un tour dans la salle de bain pour me brosser les dents et peigner mes cheveux qui ont séché durant la nuit. En sortant, je croise ma mère qui sort de sa chambre.

— Engy ?

J'évite son regard et m'intéresse surtout à la machine à café dans la cuisine, que je mets en marche.

— C'est la première fois que je te vois te lever à cette heure. Tu es debout tous les jours à 6h30. Tu as fait quoi hier soir ?

— La routine, j'étais avec Bev. On a maté un film, on a veillé tard et son père est venu la chercher.

Elle ne cherche pas plus loin, se contente de tourner les talons et d'aller se coucher. Elle est rentrée comme d'habitude autour de 7h, elle a pris ses pilules et va se coucher pour la journée avant de retourner à l'hôpital ce soir. Mon père, lui, est à Toronto pour un moment. Il a une formation et des réunions pour la recherche médicale.

Dès que le café est prêt, je me verse une tasse brûlante, ajoute de la crème et du sucre et j'emporte mon téléphone avec moi. J'ouvre la porte d'entrée pour aller m'asseoir sur la première marche du porche. Dehors, le fond de l'air est chaud et humide. Mais il y a une douce brise qui est juste parfaite. Elle fait danser les feuilles des arbres et offre de la fraîcheur à l'ombre.

Une passante fait son jogging et monsieur Andrew, mon voisin de droite, répare sa voiture, la tête enfouie sous le capot.

La voiture de mon voisin d'en face est dans l'allée, ce qui est inhabituel. Généralement, il n'y a personne le jour. La Challenger est entièrement noire, allant de la carrosserie aux jantes et aux vitres teintées. Les lumières avant, ces phares Halo, forment un cercle rouge sanguinolent, ce qui glace le sang au crépuscule quand il les allume.

Mon téléphone vibre. C'est Beverly.

— Allô ?

— Hé, relâche-t-elle avec un soupir. Je suis contente que tu sois levée. J'ai une bonne nouvelle. Ce matin, mon père m'a raconté sa soirée – ce qu'il fait souvent ; il m'a dit avoir arrêté un pick-up rouge. Le conducteur rouquin était dans un état d'ébriété avancé. Il a donc passé la nuit au poste de police. Il était avec un autre type, soit celui avec toi, soit celui qui me courait après, et il s'avère que les deux étaient recherchés. Alors tu peux relaxer maintenant. Ils vont peut-être finir dans une cellule. Ce que je trouve bizarre, c'est qu'il a arrêté deux hommes, alors que j'ai le souvenir qu'ils étaient trois.

Un silence plane. Un goût nauséeux me monte à la bouche. Moi, je sais ce qui lui est arrivé.

Soudain, il y a du mouvement derrière la baie vitrée de la maison en face.

— Euh... Bev, dis-je précipitamment, je dois te laisser, je t'appelle plus tard.

Je raccroche.

Sans réfléchir et sans savoir pourquoi, je traverse la rue.

Je devrais rebrousser chemin. Je suis pétrifiée d'aller chez mon voisin. Pourtant, je fonce sans m'arrêter et en moins d'une minute, je suis devant sa porte. Une voix intérieure me dit de vite partir, l'autre insiste pour que je toque.

Mon cœur se déchaîne dans ma poitrine, tellement que c'en est douloureux. Mes mains se mettent à trembler. Je pivote et regarde ma maison.

Allez, Engy, retourne chez toi, qu'est-ce que tu fais bordel ?!

Je m'apprête à cogner, mais ma main bute juste à temps. Je suis nerveuse et terrifiée. Je ne sais pas du tout pourquoi je suis là, mais quelque chose me guide ici.

Enfin décidée, je rassemble mon courage. Maintenant, je suis prête à toquer, seulement avant même de pouvoir le faire, la porte s'ouvre et je sursaute.

Son visage apparaît, me montrant à quel point sa beauté est choquante d'aussi près et à la clarté du jour. Mon souffle se bloque, mon cœur rate un bond.

J'avais l'habitude de le voir à travers sa fenêtre, la nuit, ou assis sous son porche. Il semblait bien foutu, mais là, l'ayant sous les yeux, alors qu'il ne porte qu'un boxer... je confirme qu'il a une délicieuse masse musculaire développée. Son cou et l'un de ses bras sont tatoués. Ses cheveux noir de jais sont ébouriffés et ses yeux sont si sombres qu'ils font pâlir les ténèbres. Ses mains sont robustes et recouvertes de veines dilatées. Ces mains qui ont tué...

L'image de la veille me revient brutalement. Je revois le coup de couteau dans la jugulaire et mon agresseur mourir sous mes yeux. Même les sons me reviennent et un léger vertige s'empare de moi. Je sens mon sang chuter dans mon corps et mon voisin voit que je suis soudainement blême.

Je déglutis nerveusement et commence à trembler de plus belle.

— Je... je... je suis ta voisine. Mais ça, tu le sais. Euh... Excuse-moi, je voulais...

Avant que j'ai terminé ma phrase, alors que mes joues s'empourprent de malaise, il claque la porte et je me prends un vent. 



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