Chapitre 4 ( nouvelle version )


Engy





Ne sachant pas si je suis la suivante, j'articule faiblement :

— Ne me faites pas de mal. Je vous en prie...

Mon voisin essuie la lame de son couteau contre le blouson en cuir du gars qu'il vient d'assassiner. Pendant qu'il se redresse pour me surplomber, j'observe sa tignasse d'un noir de jais et son regard aussi sombre que les ténèbres. Mon corps entier tremble. Des larmes inondent mes joues et je ne m'en aperçois que maintenant.

Il est d'un calme alarmant. Aucun regret ne se lit sur son visage et il ne s'inquiète pas de se faire voir. Son attention est entièrement rivée sur moi. Il agit comme si... c'était un acte... naturel. Il vient... de tuer et pas l'ombre d'un tracas ne traverse ses yeux.

Dès qu'il s'approche, mon corps se crispe. Il appuie la lame avec laquelle il a poignardé mon agresseur sous mon menton. Dans ce moment de terreur intense, je me retiens pour ne pas uriner dans ma culotte.

Je ne pensais pas être menacée au couteau un jour, c'est paralysant. Je sens très bien le sang contre ma peau et dans mes cheveux emmêlés. Le dégoût me donne une violente nausée.

Il me fixe longuement. À mon tour, je n'arrive pas à détourner le regard. Il finit par briser le silence froidement.

— Dégage.

Au son de sa voix, mon corps tressaute et une nuée de frissons envahit mon être. C'est comme être dévorée par une chair de poule qui liquéfie mon âme. Je... je m'attendais à mourir. Il... je... je peux vraiment partir ?

Je le contemple et, voyant qu'il reste figé, la lame sous mon menton, j'en déduis qu'il est sérieux : je peux m'en aller.

Je recule les fesses contre l'herbe, pour commencer à m'éloigner de lui. Je retrouve la force de mes membres, même si mes muscles sont encore engourdis.

Je me hisse sur mes jambes aux genoux flageolants et arrive à me redresser. Son regard est insondable. Je ne peux pas savoir à quoi il pense, ce qu'il ressent.

Je commence à m'éloigner, faisant quelques pas à reculons, les mains relevées comme un criminel qui redoute qu'un flic lui tire dessus. Je ne veux pas qu'on me fasse du mal. Je veux juste rentrer chez moi et que ce cauchemar prenne fin.

Il semble jeter un œil furtif aux alentours, vérifiant qu'il n'y ait pas de témoin.

Quand j'atteins mon porche, je déverrouille ma porte en prenant la clé cachée sous un pot de fleurs et je risque un bref coup d'œil à la maison d'en face...

Mon voisin trimbale le corps jusqu'à sa cour arrière.

Quoi ?!

Je ne comprends pas... Légalement, est-ce de la légitime défense ? Il m'a défendue ? Sauvée ? Est-ce qu'on ne doit pas appeler la police ? Ne pas toucher au corps et laisser les professionnels venir ramasser le cadavre ? Je dois appeler les flics pour donner ma déposition. Lui aussi. Pourquoi il fait... ça ? Il va cacher le corps ? Le faire disparaître ?

J'entre et ferme à double tour. Je n'y comprends rien. J'observe subtilement à travers une fente du rideau du salon. Mon voisin a disparu.

Et mon amie, qu'est-il advenu d'elle ?

Je m'empare du téléphone de la cuisine.

— Allez, décroche ton téléphone ! Je t'en supplie, Bev !

Au bout de plusieurs tonalités, elle répond enfin.

— Engy !

— Bev ! Merde ! Tu vas bien ?

— Oui, moi ça va, mais toi ?

— Je n'ai rien. Je suis chez moi.

Soudain, je ne me sens pas bien. Je vais à la salle de bain et verrouille la porte, même si je suis seule à la maison. Je pose le combiné du téléphone sans fil sur le comptoir et me place au-dessus de la lunette des toilettes pour vomir.

De nouvelles secousses de terreur font trembler mon corps. Je suis encore en état de choc. C'est comme une décharge électrique, ça attaque mon corps, ma vision se trouble, j'ai envie de gerber, je me sens fiévreuse et ma tension chute. Lorsque j'ai terminé de vomir, je m'approche de l'évier et ouvre les robinets pour me rincer la bouche avec de l'eau. Quand mes yeux croisent mon reflet dans le miroir, je vois toutes ces éclaboussures de sang. Il y en a sur mon front, mes joues, mon nez, et même sur mon t-shirt blanc que je retire rapidement. Je lave ensuite mon visage frénétiquement, et quelques mèches de mes cheveux, avant d'avoir à nouveau envie de gerber. Je me hâte d'aller jeter le vêtement à la poubelle sous une pile de déchets pour que personne ne le voie. Pourquoi je fais ça ? Je ne sais pas. Pourquoi dissimuler une preuve ? Quelqu'un est mort. Je pourrais le payer très cher pour avoir fait ça. Complicité ? Non... moi, je n'ai rien fait. Est-ce que j'essaie inconsciemment d'aider mon voisin à cacher ce meurtre ? Parce que même si ma vie était en danger et que ce malade allait m'enlever, je ne devrais pas approuver cet assassinat. Si ? Je... je ne sais plus quoi penser. J'ai besoin de temps pour laisser ma conscience retrouver son jugement.

J'entends les cris de Bev dans le téléphone. Comment ai-je pu l'oublier ? Je suis confuse, perturbée.

— Putain, Engy ! Merde ! Allô ?! T'es là ?!

— Excuse-moi ! J'ai...

— T'as dégobillé ? Je t'ai entendue.

— Ah ouais, ça... non, c'est juste que j'ai rien mangé de la journée, et avec l'alcool dans mon estomac, ça n'a pas tenu. Dis-moi, comment t'as échappé au gars ? lui demandé-je, inquiète.

— Il a rebroussé chemin. Il a juste cessé de me pourchasser. On aurait dit qu'il voulait juste nous faire peur.

— Tu es où maintenant ?

— Je suis arrivée chez Fred. J'aimerais beaucoup appeler mon père, Engy, tu sais... pour lui dire ce qui vient de se passer, mais j'ai peur qu'on passe la soirée au poste, et il me rendrait la vie dure ; on pourrait peut-être plus se voir pendant un moment s'il apprend qu'on a des ennuis en allant à des fêtes.

Marshall Moreno, son daron est flic et s'il apprend qu'elle a eu des ennuis, inquiet, il va l'empêcher de sortir pendant des mois.

— Tout de même, je crois qu'il vaudrait mieux en parler, Bev. Parce que... ils peuvent revenir...

Je pense surtout au fait qu'il leur manque un pote. Et qu'ils ne savent pas qu'il est mort et entre les mains de mon voisin... Ils vont revenir, c'est sûr. Tôt ou tard, il y aura bien un avis de recherche pour ce type. Si toute cette histoire remonte jusqu'à nous et qu'on n'a rien dit, on pourrait avoir des ennuis. Enfin, surtout moi qui protège un meurtrier sans savoir pourquoi je garde le silence.

— Arrête, Engy, ils voulaient simplement nous effrayer. On m'a poursuivie, après le gars s'est arrêté et il rigolait. Ils ne reviendront pas. Tu viens me rejoindre chez Fred ou pas ?

— Euh... je sais pas trop. Je... je crois que je vais laisser tomber pour ce soir. Je me sens fatiguée et... et j'ai mal à la tête, je me sens pas très bien.

— Bon... dommage. Je t'appelle demain, alors. Repose-toi bien.

— Fais attention à toi.

— Ça va, n'en rajoute pas ! s'agace Beverly. Je te l'ai dit, c'était juste des cons qui s'amusent à effrayer les nanas. Sinon, ils voulaient qu'on monte dans leur caisse pour nous emmener quelque part et baiser. C'est classique.

— Juste... Sois prudente, c'est tout.

— À demain, Engy.

+ + +

Après avoir pris une douche brûlante et essayé de calmer mes tremblements qui ne veulent pas s'estomper, j'enfile une serviette autour de mon corps et je reste près de la fenêtre de ma chambre à observer par une petite ouverture du rideau.

J'examine l'autre côté de la rue. Mais il n'y a aucun mouvement ni lumière, rien. Ce que mon voisin compte faire avec le cadavre m'angoisse. Je n'ai jamais été aussi stressée de toute ma vie.

Les images du torchon sur ma bouche, le son de mes cris, la silhouette et ce couteau qui poignarde mon agresseur, le corps qui s'échoue sur moi, puis cette lame sous mon menton... tout ça apparaît brutalement dans mon esprit.

Un vertige me monte à la tête. Je dois m'asseoir une minute sur mon lit. J'allume ma télévision pour que les bruits enterrent ceux dans ma tête et que les images estompent celles dans mon esprit.

Je finis par m'allonger. Effrayée, je m'enroule dans ma couverture et plonge même ma tête sous le drap. Je ne sais pas si je suis en état de choc post-traumatique, mais mon corps se berce, cherchant à me réconforter. Mon esprit veut absolument sortir ces horreurs de ma tête.

L'adrénaline quitte mon corps et au bout d'un moment, même si je ne veux pas fermer l'œil, je m'assoupis...

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