Chapitre 3 ( nouvelle version )


Engy


— Tiens, tiens, tiens, chantonne celui derrière le volant. Qu'est-ce qu'on a là ? Vous allez quelque part, mesdemoiselles ?

Même si je suis derrière Beverly, je sais qu'elle leur sourit, à voir le visage du conducteur qui ne détache pas ses yeux d'elle. Mon amie adore avoir de l'attention. Un moment, je me demande même si elle les connaît. Les soupçons s'évaporent quand le mec chauve, assis côté passager, nous demande nos noms.

— Beverly, et elle, c'est Engy, dit-elle avec allégresse en se tournant vers moi.


Beverly me caresse doucement l'épaule comme si elle souhaitait me mettre en valeur. Je fronce les sourcils.

Putain, Bev, pourquoi séduire ces mecs ? Ils sont trois ; j'ai entrevu un type, un rouquin, assis derrière, plus silencieux, mais ils ont l'air d'avoir deux fois notre âge. Quelque chose me dit que ces hommes aux sourires sympathiques sont beaucoup trop amicaux. Mais mon amie est très sociable, alors je la laisse discuter pour nous deux.

— Et vous allez où comme ça ?

— À une fête, à quelques rues d'ici, pointe-t-elle au conducteur. Vous voulez venir ?

J'échappe un rire nerveux avant d'ajouter, d'une petite voix niaise :

— Bev, c'est une fête d'étudiants...

— Non, non, proteste le passager. On adore les fêtes, surtout si deux magnifiques jeunes étudiantes comme vous y vont... On vous y emmène ?

Je n'aime pas du tout ces inconnus. Beverly se tourne une fois de plus vers moi, attendant mon approbation, et elle voit rapidement mon avertissement quand je lui lance un regard menaçant. Il n'est pas question que je monte dans cette bagnole avec des gens que je ne connais pas et, en plus, nous ne sommes qu'à deux rues de la fête. Pas besoin d'un transport.

Elle ouvre la bouche pour contredire mes paroles silencieuses, mais se ravise aussitôt et se tourne vers le véhicule.

— Non, c'est gentil, on préfère marcher.

Soulagée par sa réponse, je laisse mes épaules s'affaisser. Je viens de me rendre compte que j'étais crispée et immobile depuis quelques minutes. Le conducteur continue de sourire, mais son passager semble surpris par ce refus. Il passe une main sur son crâne dégarni, affichant un air inquiétant. Les deux mecs s'échangent un regard entendu pour ensuite se retourner vers nous. Le conducteur ouvre sa portière et descend du pick-up. J'ai un mouvement de recul, car la première chose qu'il fait en sortant est de lorgner ma jupe en mordillant sa lèvre. Beverly ne voit peut-être pas les signaux de danger, car elle a toujours aimé se faire accoster et draguer par des types. Je l'ai déjà surprise à faire une fellation au père célibataire de Dustin par le passé, avant qu'elle soit en couple. D'ailleurs, il le sait ; ce qui explique l'animosité entre Dustin et Bev. Elle aime les hommes plus vieux et, pour attirer leur attention, elle n'hésite pas à user de ses charmes.

Quelque chose d'encore plus bizarre se produit à l'instant : le passager sort à son tour du véhicule. L'un d'eux ouvre la portière arrière et dit avec un demi-sourire qui n'a rien de rassurant :

— Je ne vous laisse pas vraiment le choix, en fait. Montez, mesdemoiselles, ou on devra utiliser la manière forte...

Alors que le conducteur insiste en voulant forcer physiquement Bev, cette dernière détale, sa bouteille se fracasse sur la chaussée alors qu'il commence à la pourchasser !

Je recule, m'éloignant du véhicule, incapable de prendre mes jambes à mon cou, car je fixe le torchon et la bouteille marron dans la main du passager qui s'approche.

Il bondit sur moi, mais je réagis et je me tire en direction opposée de celle de mon amie !

Les pensées se bousculent dans mon esprit : le torchon dans sa main, c'est pour m'endormir ? Pour ensuite me violer, me tuer ?! C'est du chloroforme ?! Que va-t-il arriver à mon amie ?! À moi ?!

Je fonce vers chez moi. D'emblée, je réalise que je ne veux pas les conduire directement à ma maison. Si je leur échappe, je ne veux pas qu'ils sachent où je vis !

En courant, j'essaie de réfléchir à l'endroit où je dois aller me cacher.

Je m'essouffle rapidement et je sens mes jambes qui commencent à se dérober. Je sais que ma vie ne tient plus qu'à la force que je fournis pour fuir. L'idée de frapper à l'une des habitations qui défilent devant moi me passe par l'esprit. Seulement, le temps que je m'arrête, le type aura amplement la chance de m'attraper et de se barrer avec moi sans que jamais on ne me retrouve. Et si je toquais à une maison où il n'y a personne ?! Non, je dois me cacher ! J'aimerais avoir la force de hurler à pleins poumons pour faire sortir les habitants, mais quand je tente une poussée, mon air se bloque. Je suis à bout de souffle. Je crains de perdre mon énergie. Je guette l'homme derrière moi. Il se rapproche. Je vois ensuite des reflets de lumière. Ce sont des phares, ceux de son véhicule qui surgit rapidement dans ma direction.

Le rouquin est au volant.

J'ai soudainement envie de pleurer. L'infime espoir que j'ai cru ressentir s'est évaporé, laissant place au désespoir. Ils ne vont pas me laisser filer. Ma maison se trouve juste à ma droite, mais ne voulant pas y aller ni m'en éloigner, je dévie ma trajectoire sans réfléchir pour me diriger vers la maison d'en face. J'entends les pneus crisser derrière moi. Avant de pouvoir atteindre la porte pour réclamer de l'aide, on me plaque au sol, le ventre contre la pelouse. Mon souffle est bloqué. J'ai un genou enfoncé entre mes omoplates. Impossible de me libérer. Quand l'air regagne enfin mes poumons, j'expulse un cri de détresse. C'est à ce moment qu'il écrase son torchon blanc sur mon visage.

Le premier réflexe que j'ai est de retenir ma respiration le plus longtemps possible. Mais son genou me blesse, et sa main qui bloque ma bouche et mon nez tire ma tête vers l'arrière. J'ai de plus en plus de mal à retenir ma respiration. Les vapeurs du chloroforme me piquent les yeux.

Ne respire pas, Engy ! Ne respire pas ! Tiens bon !

Je me répète ces mots en boucle dans ma tête alors que ce fils de pute m'écrase un peu plus les côtes avec son genou. Le chloroforme, ce n'est pas comme dans les films. Ça peut prendre jusqu'à deux minutes pour endormir une personne. Ce qu'il veut, c'est m'affaiblir.

Je laisse échapper un cri de douleur quand il positionne ses deux genoux contre ma colonne. L'air est aussitôt expulsé de mes poumons. Un spasme me fait inhaler sans le vouloir le chloroforme.

Erreur.

L'odeur est vive.

Un picotement se crée dans mes extrémités, suivi d'une baisse d'énergie.

Peu à peu, je perds ma résistance et mes muscles se détendent, je crains de m'évanouir.

La seule issue qui me reste, aussi infime soit-elle, est de faire semblant que j'ai perdu connaissance pour qu'il retire le torchon et que je saisisse une occasion de fuir.

Je commence à feindre une perte de conscience et consens à abandonner la lutte.

— Ouais, c'est ça, ma jolie... Détends-toi.

Ce sont les seuls mots que j'entends derrière moi.

Maintenant qu'il me croit endormie, il commence à retirer doucement son foutu torchon.

Ça a marché...

Même si je fais semblant d'être dans les vapes, je sais que je vais quand même avoir du mal à m'échapper. Ma tête tourne et ma vision est embrumée. Mon corps est léthargique. Je veux rassembler mes forces, mais mes jambes et mes bras sont si lourds que j'ai le sentiment de devoir soulever plusieurs tonnes.

Mon agresseur s'écarte de moi et siffle à l'intention de son ami dans le pick-up, pour signifier qu'il maîtrise la situation. Les deux rigolent comme des imbéciles, comme si cette mission était amusante. Le premier conducteur, lui, doit toujours être à la poursuite de Bev.

Mon corps me trahit ; j'ai un soubresaut irrépressible et le reste de vapeur me fait tousser. Cherchant mon air, je me retourne sur le dos avec difficulté. Le rouquin sort de la voiture en même temps que mon agresseur se tourne vers moi.

Merde !

Je me redresse et me traîne sur les fesses pour lui échapper. Je n'arrive pas à me lever. Pas encore.

— Tu crois aller où comme ça, toi, hein ? Le seul endroit où tu iras, c'est à l'arrière du pick-up, ma jolie.

À ce moment, je vois le doberman de mes voisins charger le rouquin près de la voiture. Ce dernier se réfugie subitement à l'intérieur pour éviter l'attaque. Le gars sur moi s'inquiète pour son acolyte. Mais afin d'éviter que je profite de ce moment pour détaler, il s'empare d'une poignée de mes cheveux.

Alors qu'il s'agite et crie à son ami qui démarre la caisse, prêt à fuir et à l'abandonner, mon agresseur ne remarque pas l'ombre qui s'approche derrière lui.

Je reconnais cette silhouette. C'est celle de mon voisin : posture intimidante, aura dominante et présence qui glace le sang.

Voulant fuir le chien qui saute à sa fenêtre, le rouquin enclenche une vitesse et décolle en trombe, laissant sur place son complice. Il abandonne la mission pour un chien. À le voir à ce point effrayé, les crocs du clébard doivent être une phobie pour lui.

L'ombre surplombe mon agresseur chauve et, la seconde suivante, un coup violent est porté contre la gorge de mon assaillant. Dans la pénombre, j'entends parfaitement les étranglements provenant du couteau coincé dans sa trachée.

Je suis tétanisée.

Lorsque la lame s'extirpe, je suis aspergée d'un liquide chaud et opaque. Du sang me souille le visage.

Mon corps se raidit. La terreur me fige. Mon voisin vient de le poignarder à la gorge ?! Est-ce que ça vient vraiment de se passer ?!

Mourant, son corps tombe lourdement sur moi et mon réflexe est de le pousser pour qu'il roule sur le côté. Mes capacités reviennent. Mon kidnappeur, qui agonise par terre, a les yeux rivés sur moi. Il remue sous les secousses du supplice. Il tient sa gorge, mais le sang jaillit entre ses phalanges.

Je veux crier, mais je n'y arrive pas. La stupeur agit comme une piqûre d'anesthésie. Aucun message de mon cerveau ne parvient à mes membres.

L'homme arrête de bouger et son regard se voile. Seul le sang qui remonte dans sa gorge crée un bruit effroyable. Comme un évier bouché.

Il meurt... sous mes yeux. 



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