Chapitre 1

       Sirotant mon cappuccino, je la regardais.

       Elle.

       Je ne savais pas qui elle était. Je ne savais pas d'où elle venait. Ni même ce qu'elle était ou ce qu'elle voulait.

       Tout ce que je savais, c'était qu'elle m'observait partout où j'allais.

       Je devrais certainement m'en inquiéter, mais ce n'était pas le cas.

       Ça l'était la première fois que je l'avais vue, mais depuis je m'étais habitué à sa présence. Elle était devenue mon quotidien, sans même que je m'en sois rendu compte.

       Je reposais ma tasse de café devenu froid en soupirant puis enfilai mon manteau et mon écharpe. Je me levai de mon fauteuil pour aller payer mon café puis sortis du salon de thé d'un pas tranquille.

       Je fermai les yeux pour savourer la morsure du vent glacé sur ma peau pâle avant de fourrer mes mains gelées dans mes poches de manteau.

       Je me mis en marche après avoir jeté un coup d'œil à l'heure sur ma montre.

       Autour de moi, les arbres nus tremblotaient au rythme du vent glacial. Ces arbres il y a encore peu étaient pourtant parés de feuillages massifs roux, dorés et ocres, dansant sous les rayons du soleil. À présent ces dépouilles amaigries et tristes n'inspiraient que la pitié et le désespoir ; leurs branches brunâtres et racornies gisaient telles des squelettes, menaçant de se briser face à la moindre brise.

       Du coin de l'oeil, je l'aperçus, Elle, à quelques pas de moi, me suivant comme une ombre. Je l'ignorai et accélérai le pas.

       J'arrivai devant l'agence de presse.  C'était un grand bâtiment de cinq étages, où toute la façade était recouverte de vitrage teinté. Ce lieu que je fréquentais depuis bientôt dix ans m'inspirait une routine aussi rassurante qu'étouffante.

       En entrant, la bouffée d'air chaud me frappa de plein fouet, rappelant mes muscles engourdis et mon visage frigorifié. Une voix me sortit de ma torpeur :

       — Bonjour chef ! Il fait un froid de canard aujourd'hui, n'est-ce pas ?

       — Oui, répondis-je sèchement.

       Je m'installai à mon bureau et entrepris de commencer la correction de la une de journal du mois prochain.

       Du coin de l'oeil, je remarquai les regards indiscrets de mes collègues.

       Je me contentai de les ignorer. Je connaissais la raison de ces regards, de ces messes basses, de ces sourires tristes. Je connaissais la raison de leur pitié.

       C'était Elle. Elle qui me suivait même à mon travail. Elle qui se mettait toujours en retrait dans un coin de mon bureau et se contentait de m'observer à longueur de journée.
Sa présence discrète mais pourtant si envahissante intriguait tout le monde. Pourtant jamais personne ne venait m'en parler en face.
Qu'importait. Je ne m'en portais que mieux.

٭  °☆°  ٭

       Je finis mon travail tard aujourd'hui encore. Je rangeai mon bureau et sortis de l'agence, m'installant sur un banc non loin. Je sortis de ma poche le paquet de cigarettes à peine entamé avant de le triturer un petit moment. Finalement, je me décidai à en allumer une et la coinçais au coin de mes lèvres. Je levai les yeux vers le ciel sombre de la nuit, que nulle étoile ou lune n'éclairait.

       Je pris ma cigarette entre mes doigts et pris le temps d'expirer par le nez. J'observai distraitement la fumée qui s'épaississait autour de moi, ne remarquant pas immédiatement la silhouette qui s'était installée à mes côtés. Du coin de l'oeil, j'aperçus une paire de Converses bordeaux. En remontant mon regard, je reconnus un collègue, dont le prénom m'échappait. Quelque chose qui commençait par M... Marc ? Martin ?

       Je ne lui avais jamais réellement parlé. Seulement une ou deux fois pour le travail. Il avait un visage assez calme, encadré par des boucles auburn. Sa bouche se fendait en un sourire flottant.

       — Vous n'êtes pas encore rentré ?

       Il ne répondit pas. Nous restâmes encore un moment sur ce banc glacé, à observer la fumée de ma cigarette.

       — Vous avez l'habitude de fumer ?

       — Ça me détend...

       Je pouvais sentir son regard accusateur sur la cigarette dans ma main. Ma bouche se fendit d'un rictus amusé.

       — Cette cigarette est comme une vie humaine, Morgan. Elle s'embrase petit à petit jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien.

       Un léger rictus caché par la nuit apparut sur mon visage – je m'étais enfin rappelé de son prénom – qui s'évanouit aussitôt.

       Avec un soupir, j'écrasai la cigarette dans le cendrier de la poubelle.

       — À moins évidement qu'elle ne se fasse écraser avant... complétai-je tristement.

       Je me levai du banc et partis retrouver le confort et la chaleur de mon appartement après avoir souhaité une bonne nuit à mon compagnon de fortune.

       Cependant, sur le chemin du retour, une image m'était revenue en tête.
Celle des yeux de Morgan lorsqu'il les avait plongé dans les miens.

       J'avais eu l'impression qu'un éternel ciel étoilé s'y reflétait.

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