Quelques semaines plus tard.

Elsa fixait le vide, assise dans la bibliothèque universitaire devant son écran d'ordinateur.

Elle apprenait, lentement, à négocier avec sa solitude. Le silence de la maison et le bruit de ses pensées lui faisaient toujours bizarre. Avant, elle discutait presque toujours avec Astrid, maintenant elle devait s'habituer à ne pas obtenir de réponses aux considérations qui lui échappaient encore à haute voix parfois.

Elle en avait parlé avec les autres, puisqu'ils connaissaient l'existence d'Astrid, mais ils ne pouvaient pas combler sa solitude. Et ils ne pouvaient pas tout à fait comprendre ce qu'elle vivait avec cette disparition plus ou moins soudaine.

Elsa souffrait le matin en s'éveillant, doutait d'elle-même à chaque tournant. Elle questionnait sans cesse ses actions, se demandant ce que sa sage amie aurait fait dans les différentes situations où elle se retrouvait.

Certes, Astrid n'avait été qu'un tour de son imagination pour la protéger et la guider dans la vie.

Certes, Astrid n'avait jamais été exactement réelle.

Certes, Astrid n'avait jamais pris une décision, donnant seulement des avis sages et réfléchis, des petites phrases qui orientaient la pensée consciente de l'étudiante.

Mais il restait que la voir disparaître laissait Elsa totalement perdue. Et avec des griffures le long du cœur, le long des bras, une séparation des autres et une envie de la retrouver.

Sauf qu'Astrid était une personne qu'Elsa ne pouvait pas convoquer comme ça, et surtout, la jeune femme sentait qu'elle avait perdu la capacité de se la représenter.

Seule, elle pouvait passer le cap du passé, et comprendre enfin les énigmes de ses souvenirs.

C'était ce que son psy lui avait dit quand elle en avait parlé, et elle avait hoché la tête.

La solitude pesait.

Parce que personne ne pouvait comprendre ce vide-là, même si les ami•e•s essayaient.

Parce qu'aucun n'avait eu une personne imaginaire si importante.

Il devait bien y en avoir pourtant.

Comme ça commençait à peser trop lourd, elle en avait parlé à son psy la veille. Ce dernier avait été très compréhensif, et lui avait expliqué que son sentiment de décalage et de solitude permanente était tout à fait logique. Il lui avait même donné le nom d'un forum de discussion créé par des personnes ayant des amis imaginaires, d'autres adultes vivant une situation semblable. Elle l'avait remercié profondément, et décidé qu'elle devait aller faire un tour là-bas.

Maintenant, face à son ordinateur, dans la bibliothèque, elle hésitait. Se confier à des inconnus, parler d'elle-même et affronter ses blessures était loin d'être habituel.

Avec une profonde inspiration, elle comprit que, sans risque, elle n'avancerait pas. Que ses habitudes ne pouvaient pas continuer, rester en place, alors que la vie entière changeait.

Elle allait devoir passer cette épreuve.

Apprendre à changer et s'adapter.

Apprendre à s'accepter.

Apprendre enfin à grandir d'elle-même.

Astrid l'aurait fait. Elle l'aurait encouragée à agir, à trouver de l'aide, à se réinventer d'elle-même et à lutter face à la nouvelle situation qui se déployait à présent.