Interlude II

Fédryc et Anaclet sortent toujours de nuit. A la longue, Anaclet commence à en avoir assez de toute cette noirceur de comploterie. Il aimerait pouvoir retrouver les calmes soirées à Ducbourg, à la cour, où tous les petits nobliaux baissent la tête sur son passage et où les ragoûts ont meilleure odeur.

-Quand est-ce qu'on rentre ?

-Patience, Anaclet, patience...

Bien sûr, Fédryc ne lui accorde aucune importance, bien trop concentré sur leur mission. Ils se trouvent derrière une pile de sac de patates, à l'arrière d'une guinguette de nuit, où la musique et les chants ne faiblissent pas depuis que le soleil s'est couché. La lune voilée est haute dans le ciel, éclairant les ruelles du faubourg nord de Sérègue d'une lueur blanchâtre.

Comme émanant du noir, un chat errant atterrit sur les genoux d'Anaclet. Il sursaute et un cri d'effroi manque de lui échapper. Mais il se retient au dernier moment, une main se cramponnant à sa bouche ridée. Il ne manquerait plus qu'il perde contenance pour que toute son autorité soit sapée... L'animal, silhouette trouble, le regarde avec de grands yeux perçants, presque rieurs. Dans sa gueule, un poisson en lambeaux.

-Qu'est-ce que tu veux toi ? grogne le comploteur, en agitant frénétiquement sa main. Allez, oust, sac à puces !

Vexé, le chat feule et lui laisse une large griffure sur la cuisse en guise de souvenir, emportant son festin avec lui. La blessure ne lui fait ni chaud ni froid, et il époussète sa cape de voyage en pestant – hors de question que son précieux manteau soit sali par des poils de cette bestiole. Décidément, qu'est-ce qu'il hait les séréguiens... humains comme animaux, les mêmes petites bêtes rebelles.

-Pourquoi s'acharne-t-on à vouloir récupérer ces terres à la fin ?

-Patience, Anaclet, pa... ah !

Au loin, une silhouette. Se ratatinant sur lui-même, Fédryc remonte son capuchon sur son visage, ses yeux observant quelque chose au-delà des amoncellements pestilentiels de leur cachette. Anaclet se penche aux côtés de son acolyte pour apercevoir la rue. Reconnaissant la forme qui s'approche en virevoltant, il persifle :

-La voilà, cette sorcière.

Fédryc lève une main osseuse pour le faire taire.

-Ce n'est pas après elle que nous en avons.

Bientôt, alors qu'elle les dépasse dans un courant d'air, une autre ombre apparaît au détour de la ruelle. Imposante, les deux épées qui battent contre ses flancs à en faire frémir les manants donnent toute la stature à ce chevalier déchu qui ne peut, lui aussi, que sortir la nuit, et raser les murs pour éviter le châtiment. D'un bond, Fédryc sort de sa cachette et va à la rencontre de celui qui a perdu son nom :

-Ô messire ! Messire ! C'est par ici qu'elle est partie !

Interpellé, le chevalier errant s'arrête net. Son visage encapuchonné est invisible dans la nuit. Un silence écrasant se fait soudain, et Fédryc retient un frémissement, mais se reprend vite :

-La chimère ! Cette sorcière ! Regardez ce qu'elle a fait à mon pauvre ami !

Sorti de la cachette, Anaclet, tout voûté, fait mine de trembler et montre la plaie sanguinolente du chat sur sa cuisse.

-Bien sûr, elle a détalé en vous entendant approcher. Une chance !

Le chevalier se raidit et place une main sur son fourreau. Il fixe le lointain.

-Vous l'avez vue ?

Anaclet retient un sourire pincé.

-Oui ! C'est elle ! La sorcière ! L'herboriste !

L'Anommé se remet alors en route, sans plus un regard pour les deux comploteurs. Alors qu'il s'enfonce dans la ville, loin de la lueur de la lune, Fédryc l'appelle une dernière fois, d'une complainte qui résonne dans le faubourg endormi :

-Ô messire, protégez-nous de son courroux ! 

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